En juin 2000, lors de la guerre de six jours à Kisangani (du 5 au 11 juin 2000), Alesh Chirwisa avait 15 ans. En 2017, ce rappeur et activiste congolais avait invité sur ses comptes Facebook et Twitter les témoins de ce conflit meurtrier à raconter ce qu’ils ont vécu avec les hastags #JoubliePas #Kisangani6Jours. La toile s’était emballée, les témoignages s’étaient multipliés. En 2022, il écrit des thread sur son compte Twitter « pour qu’un jour personne n’ose l’écrire à notre place. oui, il ne faut pas que nos enfants ignorent notre histoire », indique-t-il.
« Tant que les réseaux sociaux existeront, Du 5 au 10 Juin de chaque Année, je raconterai l’histoire de la guerre la plus meurtrière et impitoyable que j’ai vécue afin que le monde n’oublie pas », annonce-t-il dans son thread du 5 juin 2022. Selon ce rappeur et activiste congolais, « quand on a connu la laideur de la cruauté humaine, entretenir la mémoire et combattre l’oubli afin que les mêmes erreurs ne se reproduisent est une obligation », insiste-t-il.
Au même moment, il annonce un projet de livre, de spectacle musical et de bande dessinée qui est en cours. « oui, il ne faut pas que nos enfants ignorent notre histoire », explique-t-il, avec insistance. « L’objectif est de lutter contre l’Amnésie populaire », embraye-t-il. « Kisangani, c’est vraiment ma ville et ça me fait mal de voir un épisode aussi grave passer inaperçu. On ne veut pas que les gens nous racontent une autre version de l’histoire, on veut l’écrire et la raconter telle qu’on la vécue », avait expliqué Alesh à Jeune Afrique.
Jour 1 : Parcours de combattant de l’école jusqu’à son domicile
Lundi 05 Juin 2000. c’était un lundi d’apparence ordinaire, nous étions tous au Collège du Sacré Cœur (Maele). La descente aux enfers s’était enclenchée à 9h55′ (5’avant la récréation). Les premiers sons que nous avions entendu n’étaient pas des sons de tirs d’une arme légère. Mais le grondement de trois grosses bombes qui avaient éclaté juste derrière le bureau administratif de notre Collège.
Je devrais « faire l’aîné » (puisque je devrais aller chercher mon Grand-frère dans sa classe. Ya Guy avait 4 ans de plus que moi mais Il était plus stressé que moi. « Il avait déjà été blessé par une balle et des éclats de roquette durant la guerre de 3 jrs qui avait eu lieu 1e année plus tôt (en 1999) ».
Lire Aussi : Entrée de l’armée ougandaise en RDC : ces souvenirs qui inquiètent
Quelques minutes plus tard, Mon grand-frère, moi, et plusieurs autres centaines d’élèves nous nous sommes réfugiés dans la grande salle de l’école. « J’étais personnellement sous le podium). Tentant de comprendre ce qui se passait, et recherchant comment on pouvait avoir des infos par du bouche à oreille ». Quelques échos/rumeurs/infos commençaient à nous parvenir : C’était la guerre ! « Et nous apprîmes que des militaires Rwandais avaient pris en otage quelques élèves de l’athénée de Kisangani, et qu’ils les obligeaient à porter des caissons de munitions (balles, chargeurs, grenades) ».
Nous avions fini par comprendre que nous étions dans un gros pétrin et qu’il fallait à tout prix quitter l’enceinte de l’école, de peur que des militaires Rwandais ne tombent également sur nous, même si le prix à payer serait de braver la mort. Nous décidâmes de flirter avec la mort et de quitter le Collège Maele sous les tirs intensément nourris d’armes de guerres, espérant atteindre la maison sains et saufs… « Nous étions une quinzaine d’élèves qui habitions le quartier des musiciens, le bloc universitaire, ainsi que le Plateau Boyoma ».
« Un chemin que nous parcourons en 20 minutes, nous avions passé 4 heures »
Le Collège Maele est situé à quelques centaines de mètres du Gouvernorat de Province. C’était également à côté de la résidence officielle de Laurent Nkunda (Commandant ville à l’époque). Et étant à portée de vue des militaires du « Commandant », ils avaient ouvert le feu sur nous. « Je n’avais que 15 ans et je me faisais tirer dessus pour la 1ère fois ». Histoire vraie ! « Nous avions fini notre course dans un gros caniveau qui reliait le Collège Maele au Lycée Mapendano (ceux qui connaissent Kisangani voient exactement de quoi je parle) ». « Et sur un chemin que nous parcourions en 20 minutes (Trajet Maison – École), nous avions passé ce jour-là 4 heures de parcours sous les balles avant d’atteindre notre maison, mon grand-frère et moi ». Sur le chemin de notre calvaire, il nous arrivait d’entendre des bombes qui tombaient sur des maisons et décimaient des familles. « Même des oiseaux avaient arrêté de chanter »! Personne d’entre nous n’osait l’ouvrir sa bouche même une seconde.
Vers 13h de cette journée, nous avions enfin atteint notre maison sur la 6ème avenue du Plateau. À notre arrivée, un intense affrontement a éclaté sur notre avenue, au point qu’on a dû passer 5 h de temps face contre terre « pas au sens figuré ». Pour vous donner une idée, nous avions rencontré Papa Sangwa Tito (à l’époque employé de la Banque Centrale du Congo) coincé chez nous. C’était notre voisin et un grand ami à mon père. Sa maison et la nôtre n’étaient séparées que par un mur mitoyen, mais il lui avait fallu plus de 5h de temps pour rejoindre sa famille.
« On croyait que ça va vite s’arrêter. Mais ce n’était que le début du calvaire ». En fin de journée, sans trop savoir pourquoi, nous (population) avions développé une petite «sympathie» pour l’armée Ougandaise. « Nous en avions probablement vraiment marre de l’asservissement de la rébellion du RCD (Rassemblement congolais pour la démocratie). « Ils étaient les boss les plus intouchables de la ville depuis le 23 Août 1998 ».
Jour 2 : Le cheval de Troie de l’armée rwandaise
Mardi 06 juin 2000, nous sommes au Plateau Boyoma, l’une des lignes de front. Cette journée avait un goût plutôt amer… L’armée Ougandaise qui avait le contrôle de la plus grande partie de la ville depuis le Lundi et le Mardi jusqu’à environ 14 heures s’était butée à un challenge déterminant : Ses militaires avait des sérieuses lacunes de maitrise de la carte de la ville, contrairement à l’armée Rwandaise qui connaissait tous les recoins et raccourcis de la ville (mieux que même plusieurs congolais).
Des militaires rwandais avaient ainsi trouvé une formule magique, « un vrai cheval de Troie… » : Distraire les Ougandais par des tirs de Kalachnikovs et Machine-guns sur la grand-route (où avait lieu le plus gros affrontement… vers la maison Daniel Comboni), alors que dans les avenues, d’autres militaires rwandais trouaient des clôtures des résidences pour surprendre les Ougandais par l’arrière.
Vers 16h, ils avaient surpris par l’arrière les ougandais qui avaient leur position devant notre maison. Une pluie de balles comme jamais entendue… Ils les massacrèrent tous. « C’était une boucherie, un véritable carnage ! ». Pendant ce temps dans la maison, tous à plat-ventre avec une hypertension artérielle de malade.
Personne ne parlait… Même pas le moindre mot… Après près d’une bonne heure d’affrontements nourris, c’était le silence de mort… « C’était fini… non… pas la guerre… mais le règne ougandais sur cet emplacement stratégique de la ligne de front ». Les Rwandais avaient pris possession du terrain (devant notre maison). La vraie guerre pouvait commencer… et nous étions vraiment mal barrés… au cœur de la ligne de front. Devant la maison, la limite Rwandaise (ils avaient placé 14 mortiers dans notre parcelle). Derrière notre maison, dans la parcelle de la Famille Likunde, la limite de l’armée Ougandaise… « Les conditions étaient enfin réunies pour que nous assistions, pris entre deux feux, au plus grand carnage dont je me souviens même jusque aujourd’hui ».
Pendant ce temps, nous étions parmi les rares familles de la ville dont tous les membres s’étaient retrouvés sous le toit familial. Au moins je n’étais pas seul dans cette traversée de l’enfer et parfois… « Quand j’avais peur, je pouvais m’accrocher à l’un des membres de ma famille. Nous étions tous là : Mon père, ma mère, mes 3 frères, mes deux sœurs, et moi… ».
Jour 3 : des obus dans le ciel Boyomais
Nous sommes le Mercredi 07 Juin 2000, Il est 5h55′, nous sommes cloîtrés dans la maison tels des bêtes dans un guet-apens. Pas de bouffe, pas de courant, et surtout plus d’eau dans la maison. Nous étions obligés de contenir nos besoins physiologiques puisque la toilette est déjà sale (avec une cadette de 9 ans et un cadet de 11 ans, la priorité ne pouvait clairement pas être les plus âgés). Nous n’avons presque pas dormi de toute la nuit tellement que les affrontements étaient intenses (l’armée Rwandaise devait bien s’affirmer dans les nouvelles positions conquises parmi lesquelles, devant notre maison).
A 5h55′, les Rwandais devant notre maison, commençaient à bombarder les positions Ougandaises se trouvant à environ 100m derrière notre maison. « Plus de 30 obus projetés. « Vous n’avez aucune idée du bruit, des détonations et de la peur que tout cela cause… ». Je suis à deux doigts de me pisser et de me chier dessus. Les Ougandais qui étaient super doués en calculs de trajectoire décidèrent de répliquer… ils ne donnent que 3 obus en réponse… Forts de notre expérience de 3 jours de ligne de front, après avoir entendu partir 3 coups d’obus, fallait compter 3 détonations d’explosion pour être sûr que les 3 bombes avaient explosé et que notre tour de mourir n’était pas encore arrivé.
Le 1er obus explose dans le voisinage… Gros Boum! On compte…. le 2ème explose… et était venu enfin le tour de la 3ème bombe… « La plus grosse détonation que je n’aie jamais entendue ». La bombe avait explosé dans la chambre où mon pauvre frère Patrick, ma Sœur Rachel et moi étions cachés. J’étais torse nu, allongé à plat ventre… Des éclats de vitres de notre fenêtre ainsi que du feu venant de la bombe étaient tombées sur mon dos… Grosse fumée et grosse poussière venant du mur perforé de la chambre… Je ne voyais plus rien. J’ouvre grand mes yeux mais rien. « Connaissant par cœur la cartographie de la maison, l’instinct de survie me pousse à ramper aussi rapidement qu’un cafard en danger ».
Lire aussi : Guerre de six jours à Kisangani : toujours des souvenirs, mais pas de justice
Je voulais m’enfuir et rejoindre ma mère qui s’était cachée dans le couloir. Rampant à l’aveuglette, voulant atteindre la porte de sortie de la chambre, quelqu’un m’attrape par la jambe… Ma peur décuple… Je donne un coup de pied avec le peu de force qu’il me restait… Mais la personne ne me lâchait pas… C’était ma sœur Rachel… Elle s’accrochait désespérément à moi pour pouvoir se sauver elle aussi. A deux, nous avions réussi à rejoindre notre maman dans le couloir.
« Maman.. Maman.. La bombe est rentrée dans la chambre… » disais-je tout tremblotant. « Mais où est votre frère ? Où est Patrick? »… j’avança juste ma tête vers la porte de la chambre sombre de poussière et de fumée… « Ya Patty… Ya Patty… »… silence radio… « Ya Patty! … Ya Patty…»… Enfin je vis une ombre venir vers moi… Il n’a pas pu se déplacer après l’explosion tellement il ne voyait rien… Je resterai marqué à vie par cet événement… mais la suite n’est pas moins pire…
Jour 4 : Choix entre mourir des armes ou de la faim
Des coups de feux restent toujours aussi intenses que dangereux… les Ougandais avaient ramené des chars de combat sur la 7ème avenue (je rappelle que notre maison est située sur la 6ème avenue au Quartier Plateau Boyoma). Ils avaient également ramené une batterie anti-aérienne qu’ils avaient placée au rond-point Comboni (7ème Avenue Plateau Boyoma). On entend de nouveaux sons d’armes jamais entendus… ça devient de plus en plus infernal mais nous n’avions malheureusement aucun moyen de sortir pour nous enfuir.
Quitter la maison quand ça tirait était carrément du suicide… même les oiseaux ne chantaient plus. Mais un autre challenge était face à nous et il nous fallait à tout prix prendre une décision suicidaire… « il n’y avait plus une seule goutte d’eau dans la maison, il n’y avait plus de bouffe… du fait du manque d’eau, les toilettes étaient devenues crades, risquant ainsi de nous provoquer de maladies…. ». C’était soit se cloîtrer de peur dans la maison et crever de faim et de soif, soit tenter de sortir pour trouver à boire et risquer sa vie.
Pour la nourriture, on avait trouvé une solution alternative… Mon père était agronome et nous avions des sacs de paddy dans la maison « Initialement, semences pour ses plantations… ». Il avait ordonné à ma sœur Rachel d’en piler quelques kilos afin d’en tirer quelques gobelets de riz. Mais avec la menace de la soif et la saleté des installations sanitaires, la famille avait pris une décision très difficile : « Tous les garçons, Papa inclus, devraient aller puiser de l’eau… ».
« Des gens avaient même manger de la pelouse »
Nous avions décidé de nous rendre sur la 4ème Avenue (il y avait des étangs chez le feu «Vieux Deschauds»). C’était tous les hommes de la maison exceptés mon frère Gloire âgé de 11 ans à l’époque… Et mon grand frère Guy, qui lui, avait déjà été touché par une balle et des éclats de roquettes durant la guerre de 3 jours… « Oui, la guerre de 6 jours n’est pas la seule guerre qu’on ait vécue. De ma vie j’ai survécu à 4 guerres ». Donc au final, il n’y avait que 3 hommes de la maison qui étaient allés puiser de l’eau : Mon Feu père, Mon Feu Frère Patrick et Moi. La 4ème avenue n’était qu’à 2 avenues de chez nous mais l’impression était qu’il fallait parcourir 100 km pour y arriver.
En nous voyant sortir, certains de nos voisins nous avaient rejoint… nous avions formé un groupe suicide d’hommes partis à la recherche d’eau pour sauver nos familles. En sortant, en plein milieu de notre avenue (Devant la parcelle de la Famille Odia), il y avait un obus non explosé que je n’avais malheureusement pas vu. J’avançais vers cet obus avec mes 2 arrosoirs en main, avec la plus grosse peur au ventre d’attraper une balle perdue. Soudain j’entendis tout le monde crier « Alain non.. Regarde sous tes pieds, toko kufaaa… (Nous allons mourir ». Jusqu’à présent je n’ai jamais compris comment j’avais fait deux pas de suite avec la jambe gauche sans que la jambe droite, qui s’apprêtait à piétiner l’obus, ne touche le sol.
Enfin commença le long périple vers la « source » ou plutôt l’étang de la 4ème avenue pour trouver de l’eau. « Potable ou pas, là n’était plus la question. L’essentiel était de trouver soit de quoi boire, soit de quoi manger… J’avais vu des gens manger de la pelouse, car n’ayant pas d’autres choix ou d’autres boire l’eau sale des caniveaux ». Arrivée à la source, une grosse bagarre éclata entre les familles puisque tout le monde voulait puiser de l’eau en premier…
Quand nous avions tous fini de remplir nos récipients (puisqu’on ne pouvait quitter les lieux qu’en groupe), un militaire (visiblement du camp Rwandais) avait commencé à s’amuser en tirant de façon rafale dans les étangs du « Vieux Deschaud » pour nous faire peur… « C’était la débandade totale… » Toutes les dizaines de personnes sur les lieux avions couru dans la petite maison de « Vieux Deschauds » pour nous abriter… il n’avait pas le choix, on n’avait pas besoin de sa permission pour entrer.
« La cigarette qui nous avait attiré des ennuis »
Plus de 3h de temps après, nous avions quand même tous réussi à regagner nos domiciles sous l’énorme joie de nos familles. La toilette pouvait être nettoyée, nous pouvions nous décharger de nos besoins physiologiques et ns pouvions préparer le peu de riz que nous avions.
L’après-midi, mon père qui était un grand fumeur, ne pouvait plus se retenir… il avait allumé sa cigarette… Une cigarette qui nous avait attiré des ennuis. En effet un militaire Rwandais senti l’odeur de la cigarette allumée… quelques minutes après… « toc toc toc… ». Le militaire avait frappé à la grille fermée. Ma mère avait failli s’évanouir… puisque ces genres de scènes précédaient souvent des massacres de masse…
Personne n’avait répondu… Mais le militaire avait insisté « Toc Toc Toc…. ». « Silence de mort… ». Je crois que le militaire avait compris que nous avions peur mais il avait toujours insisté… « Toc toc toc Mzee,… Mzee… Unipe moto… Nataka vuta… (Vieux… Donnez moi du feu, j’ai envie de fumer)« . Papa était sorti pour lui allumer son splif de chanvre… Le gars avait refait la scène plusieurs fois cet après-midi là jusqu’à ce que papa s’était senti obligé de lui offrir son briquet, mais à contrecœur.
Jour 5 : bagarre à la source d’eau
Nous sommes Vendredi 09 Juin 2000. C’était un jour d’anniversaire dans ma famille… Ma petite sœur, la cadette de la famille « fêtait »… non… venait d’avoir 9 ans.
Des hommes désignés à aller chercher de l’eau, se réunissaient peu à peu pour le 2ème tour d’aventure. Cette fois-là, quelques femmes courageuses s’étaient jointes au groupe… « J’ai encore en tête l’image des grandes sœurs de la Famille Odia ». Il était environ 8h30 quand la marche vers la 4ème avenue avait commencé (lieu où se trouvait la source… disons l’étang).
Le quartier était ce jour-là d’une puanteur horrible… Une mauvaise odeur provenant des certains corps sans vie qui commençaient à se décomposer… 30 minutes après notre départ, après plusieurs stops en se couchant au sol à chaque fois que les coups de feux retentissaient, nous arrivâmes à la source. Et comme vous pouvez l’imaginer, tout le monde voulait puiser l’eau en 1er et des querelles de familles éclatèrent à nouveau.
Quelques sages présents avaient dû intervenir pour calmer les plus chauds. Après plusieurs heures, nous avions tous réussi à rentrer à vers 13 heures. Des membres de nos familles s’inquiétaient déjà.
Une heure après, ma sœur Rachel nous fit des petits bols de riz… en milieu d’après-midi, la situation s’était empiré encore… L’armée Rwandaise avait décidé de faire du forcing et repousser les Ougandais. Il y eût beaucoup de morts. L’armée Rwandaise avait reçu des renforts. Il y avait un groupe de militaires qui se battaient nus avec des foulards rouges attachés à la tête et poussaient des cris bizarres…
Jour 6 : « Papa, vous étiez dans cette maison durant tous ces six jours ? »
Samedi 10 Juin 2000… sixième et dernier jour de guerres. C’est aux environs de 17h30 que les flammes de notre « enfer » s’étaient finalement « éteintes ». Nous n’avions pas dormi de la nuit. Des chars de combats des ougandais avaient tiré comme pas possible. Nous avions eu droit à un dangereux feu d’artifice toute la nuit. Nous étions éclairés par des coups d’obus jusqu’à 6 heures du matin.
Nous priions qu’il pleuve pour que les deux camps s’arrêtent un peu, mais sans succès. Je n’avais entendu aucun cri d’oiseau depuis presque 6 jours. Les combats avançaient un peu plus vers la 7ème avenue (bastion ougandais)… « On pouvait maintenant passer 30 minutes sans coup de feu dans notre parcelle ». On commençait aussi à suivre de plus près les informations avec le petit poste radio de papa. Ni les déclarations de l’ONU, ni les condamnations de la communauté internationale, ni les dénonciations des autorités politiques, ni les demandes d’un cessez-le-feu « humanitaire » ne pouvaient nous sortir de cet «enfer-sur-terre». Aucune de deux armées ne respectaient ces simples condamnations.
L’odeur des corps sans vie était devenue intense et omniprésente. Nous avions tous maigri et nous nous sentions tous mauvais. Toutefois, le combat s’éloignait de la maison et avançait de plus en plus vers le pont Tshopo. Nous pouvions, pour la 1ère fois, observer la situation de notre véranda. Vers 17h30, le calme était devenu presque total et nous avions commencé à voir des militaires Rwandais revenir dans notre avenue en chantant et en sifflant…
Il faut évaluer les dégâts
Puis l’un d’eux s’était approché de notre maison (visiblement un haut gradé). Il s’était adressé à mon père en disant : « Mzee, mulikuwa tu umu mu iyi nyumba izi siku sita? » Traduisez « Papa, vous étiez dans cette maison durant tous ces six jours ? » Mon Père avait répondit : « Oui ». Et à ce haut gradé d’ajouter : « Akini, mungu iko mkubwa, muli kuwa fasi mbaya sana Mzee » Traduisez « Dieu est grand. Mais vous étiez à un mauvais endroit… ». Et Papa avait demandé : «Vita ime isha? (La guerre est-elle finie?)». Il lui avait répondu : « Ndiyo Mzee tume wa gonga, weko mbali sasa »… Traduction : « Oui Papa, ils sont maintenant en débandade »…
Quand ce militaire était partit, Papa était rentré dans la maison. Mais, un autre militaire était apparu : « Mzee iko wapi? (Où est votre Père ?)»- Nous avions répondu : « Haiko (Il n’est pas là) ». Cette réponse était motivée par la peur car on s’était demandé pourquoi un militaire viendrait chercher notre papa en pleine guerre?).
« Ok, aki fika mumu ambiye niko tu, siku kufa! Miye njo nili mu ombaka moto » traduction : « Ok, s’il arrive, dites lui suis encore en vie. c’est moi qui lui avait demandé du feu pour fumer ma cigarette ».
Ainsi, s’était achevé la guerre de six jours… L’étape suivante avait débuté le septième jour… l’étape où nous avions commencé à palper du doigt et à réaliser l’ampleur des dégâts. Je resterai marqué à vie par ces événements…
Tiré du compte Twitter de Alesh Chirwisa