La gestion décentralisée de l’ivoire et d’autres stocks alimente le commerce illicite d’espèces sauvages en RDC

L’activiste de la protection de la faune et la flore Adams Cassinga tient des restes de buffles indiquant l’existence de cette espèce par le passé dans l’aire protégée de Bombo Lumene près de Kinshasa © Conserv Congo

En RDC, après la saisie, des espèces sauvages protégées finissent, souvent, encore entre les mains des trafiquants illégaux. Pour causes : Manque de mécanismes de stockage/conservation, de traçabilité ainsi que la corruption,… Des activistes de la protection de la faune suggèrent la création des sanctuaires pour accueillir les espèces sauvages rescapés du trafic.

Cet article est repris sur le site de icicongo.net avec l’autorisation de son auteur. L’article original est à retrouver sur le site de InfoNile.

Presque chaque mois, la police nationale congolaise, les services douaniers, ainsi que l’ICCN (Institut congolais de la conservation de la nature) notifient des cas de saisis des espèces sauvages protégées ainsi que de l’ivoire. Les postes frontaliers, les parkings, les aéroports, les ports, les hôtels ainsi que les habitations des particuliers sont des endroits où ces saisies s’effectuent.

Une des saisies record a été enregistrée à Uvira dans la province du Sud-Kivu en 2022, avec près d’une demi-tonne d’ivoire, équivalant à environ 20 éléphants abattus, selon les estimations des responsables du Parc national de Kahuzi Biega. Certains parmi ces ivoires saisies avait déjà un marquage, on ne sait de quel service étatique. Pour dire qu’ils ont déjà fait l’objet d’une autre saisie précédente ou d’un stockage antérieur.

Un Eléphant s’abreuve au bord du Kazinga Canal dans le Queen Elizabeth National Park. © Tuver Wundi

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A fait, selon un activiste environnemental d’Uvira au Sud-Kivu qui préfère garder l’anonymat, ces ivoires portaient des marquages (lieu, poids, date) qui montrent qu’il s’agit d’objets volés dans un stock quelque part en RDC. Cette source ajoute cependant, que les trafiquants peuvent utiliser des faux permis ou marquer eux-mêmes l’ivoire pour tromper la vigilance. « Pire encore, la destination de ces objets n’est pas connue », regrette Josué Aruna, président de la société civile environnementale  de la province du sud Kivu.

« C’est ce qui se passe. Je vous donne l’exemple d’Uvira, ça (ivoire) a été saisi, mais aujourd’hui on ne connaît pas sa destination. Nous n’avons pas la certitude qu’ils (ivoires) ont été transmis à Kinshasa… Pour ce cas d’Uvira, c’est retourner sur le marché noir puisque rien n’a filtré sur la destination, rien ne conduit à savoir qu’ils ont été remis à l’ICCN ou  transférer à Kinshasa », s’inquiète Josué Aruna.

Un cercle vicieux…

Les trafiquants illégaux sont arrêtés et incarcérés. Des espèces sauvages et des ivoires saisis et entreposés dans des postes de la police et des rangers de l’ICCN avant de finir encore les mains des trafiquants illégaux. Il devient de plus en plus courant de trouver les objets saisis entre les mains des trafiquants. Même quand il y a des poursuites et condamnations, rien ne garantit que ces ivoires et espèces animales sauvages saisis ne pourront plus retomber entre les mains d’autres trafiquants.  

Nombreux ont été arrêtés alors qu’ils se dirigeaient vers l’Ouganda via des villes et villages de l’Est de la RDC, notamment Butembo, Beni, Goma, Bukavu ou dans le parc de Garamba à la frontière avec le Soudan du Sud. En juillet 2022, quatre trafiquants dont un célèbre pasteur d’une église locale, ont été condamnés par le tribunal de grande instance de Bukavu, trois mois après leur arrestation pour détention et/ou de possession illégale des défenses d’éléphants.

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En juillet 2021, à Butembo, à environs 300 Km au Nord de Goma, en province du Nord-Kivu, une opération de filature d’un présumé braconnier menée par les autorités de ICCN avait bâclé et avait déversé une cinquantaine des kilogrammes d’ivoires, selon les estimations de la police, entre les mains des habitants. Cette cargaison avait ainsi échappé au contrôle des services étatiques. Plus au sud du pays, à Lubumbashi dans la province du Haut Katanga, des bébés chimpanzés étaient volés dans un sanctuaire. Les ravisseurs avaient réclamé auprès du propriétaire du sanctuaire un montant de deux cents mille dollars américains (200.000 USD).

Les exemples peuvent se multiplier avec des attaques contre des cachots de la police ou des postes de patrouilles des rangers de l’ICCN où sont déposés des objets saisis ou encore pour libérer des détenus accusés de braconnage ou de trafic des espèces protégées.

Contourner des services de conservation

Singe doré dans au Mgahinga gorrilla national park frontalier avec le parc des Virunga et le parc de Volcan, © Tuver Wundi

Anicet (nom d’emprunt), a déjà fait du trafic de défenses d’éléphants. Dans un village situé en territoire de Beni dans la province du Nord-Kivu à proximité du Parc national des Virunga, il est surnommé « Le boucher » avec pour spécialité la vente de viande bovine. Il témoigne qu’étant donné la ressemblance entre les cornes de bœufs et l’ivoire, il est facile de faire passer l’un pour l’autre, sans se faire repérer par la police ou autre service étatique.

« Pour déplacer nos troupeaux, nous partons la nuit pour permettre aux animaux de se déplacer sur de longues distances sans se fatiguer. J’en ai profité plus d’une fois pour transporter de l’ivoire vers des grandes villes comme Butembo sans que personne ne s’en aperçoive », a révélé cet homme d’une quarantaine d’années.

Tous ces actes sont nourris par manque de connaissance sur les espèces endémiques à protéger, l’absence de l’autorité de l’État, les conflits d’intérêts, la corruption, la recherche du gain facile et la légèreté dans l’application des lois en la matière. Lors de la dix-huitième session de la Conférence des Parties Colombo (Sri Lanka, 23 mai 3 juin 2019), la Convention sur le Commerce International des Espèces de Faune et de la Flore Sauvages Menacées d’Extinction (CITES), a dit être « au courant d’un certain nombre de vols d’ivoire dans les stocks détenus par les gouvernements membres ces dernières années… ».

Ce manque de surveillance augmente le braconnage et expose des bébés gorilles piégés par des braconniers, s’inquiète Bienvenu Bwende qui est chargé de communication du parc national des Virunga. Il ajoute qu’au centre du parc il y a l’activisme des miliciens MAI MAI et des FDLR qui s’attaquent à la faune et la flore du parc, alors qu’au Nord c’est la menace des terroristes de l’ADf qui pèse sur le parc.

Kivu Security Tracker, un projet du Groupe d’étude sur le Congo de l’Université de New York et de Human Rights Watch, répertorie plus d’une demi-douzaine de groupes armés qui pratiquent le commerce transfrontalier illégal entre la RDC et l’Ouganda. Les revenus générés par le trafic des ressources naturelles du Parc sont estimés à 175 millions de dollars américains par an. Plus de 100 000 personnes tirent également leur gagne-pain direct des activités illégales dans le parc national des Virunga.

Entre 2017 et 2020, on estime que 50 millions de dollars ont contribué à l’enrichissement des milices et groupes armés. L’argent des enlèvements, des vols et des meurtres renforce leur pouvoir. Les redevances perçues aux différents péages établis aléatoirement représentent également des revenus indirects du Parc. Les trafics internationaux portent essentiellement sur l’ivoire et le bois précieux. Ceux-ci représentent une menace sérieuse, notamment pour les éléphants, mais leur impact demeure relativement faible en comparaison aux trafics à l’échelle locale, estime l’alliance Virunga qui gère le parc.

Des lois existantes, mais muettes sur le stockage des objets saisis

Les efforts nationaux de lutte contre le braconnage et contre le commerce illégal des produits, sous-produits d’éléphant ainsi que d’autres espèces sauvages, passent notamment par la traçabilité et la transparence dans la gestion des stocks existants d’ivoire. Un rapport de Traffic une organisation internationale de lutte contre les trafics de la faune et de la flore publié en 2020, affirme le fait qu’en RDC, « il n’existe pas de système national de gestion des stocks d’ivoire ».

Les stocks d’ivoire sont dispersés au sein de plusieurs structures étatiques notamment la Banque Centrale du Congo (BCC), les postes de patrouilles de l’ICCN, la Direction Générale des Douanes et Accises (DGDA), Cours et tribunaux, les postes de polices, les services provinciaux et locaux de l’environnement etc… Cette décentralisation prédispose l’ivoire au vol et à la corruption du conservateur en ce sens que chaque service qui saisit, peut conserver les ivoires ou les espèces pour une durée illimitée.

Gorille de montagne de la famille Binyindo dans la foret impénétrable de Bwindi,© Tuver Wundi

Aussi, le cadre légal et réglementaire national de la RDC n’aborde nulle part la question de gestion des stocks d’ivoire d’éléphants. Dans la pratique, les espèces sauvages protégées ainsi  que l’ivoire saisi en RDC et celui retrouvé sur les carcasses d’éléphants morts ou sur le sol sont confiées à l’Institut Congolais de la Conservation de la Nature (ICCN). « Cette institution l’entrepose dans ses bureaux et/ou sites en attendant de les consigner à l’Hôtel des monnaies de la Banque Centrale du Congo, lequel détiendrait des stocks d’ivoire assez importants », peut-on lire dans le rapport de Traffic (ndlr).

La corruption et le trafic d’influence minent ce secteur

« En matière de biodiversité, il est souvent très difficile, dans un système judiciaire corrompu, d’apporter la preuve devant un juge. Actuellement avec la corruption, il nous arrive de contribuer à des arrestations des braconniers avec de la viande d’éléphant par exemple, mais demain devant le juge, cette viande ou ses restes seront déclarés comme appartenant à une chèvre. Ce sont des cas que nous avons rencontrés », témoigne Olivier Ndoole qui travaille comme activiste de l’environnement et du foncier en RDC depuis une dizaine d’années.

Selon ce même activiste, les mêmes difficultés s’observent dans la protection de la flore. « Un individu peut être arrêté en train de produire de la braise dans le parc ou dans une aire protégée. Mais, devant le tribunal on va demander la différence entre la braise qui vient du parc de celle d’ailleurs ou de prouver réellement qu’elle provient du parc », embraye-t-il.

Ce point de vue est soutenu par Adams Cassinga, activiste de la faune et de la flore. Il est aussi responsable de l’organisation Conserv Congo. Lui et son organisation mènent des enquêtes sur les crimes contre la faune et la flore dans le bassin du Congo. Pour cela, il a un réseau d’une centaine des points focaux (agents) à travers la RDC. « En fait, c’est un phénomène qu’on n’a jamais compris. Et, cela devient difficile quand il y a une main noire derrière », déclare Adams qui indique avoir des exemples, mais qu’il ne peut pas rendre public pour éviter des « ennuies ».

Soulignons que la RDC dispose d’un Plan d’Action Nationale pour l’Ivoire (PANI). Son objectif global est de « renforcer la lutte contre le braconnage des éléphants et le trafic illicite d’ivoire et d’autres spécimens d’éléphants en collaboration avec tous les acteurs concernés ». Ce plan s’articule autour de 7 objectifs spécifiques, parmi lesquels celui portant sur l’amélioration du système de gestion et de traçabilité de stock d’ivoires en RDC. Si ce plan est mis en œuvre, des avancées positives pourront être enregistrées dans l’avenir.

Jonas Kiriko

Cette enquête a été soutenue par InfoNile, en collaboration avec le projet Oxpeckers #WildEye Eastern Africa, avec un financement du projet Biodiversity Media Initiative de Earth Journalism Network.


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