Dans l’enclave de Vitshumbi, à 120 Km au Nord de Goma, la pêche ne mobilise plus. Le poisson est devenu une denrée rare. Pourtant, la pêche est l’unique ressource de la population de cette enclave côtière du lac Edouard, dans le parc de Virunga. Le taux de malnutrition y est aussi à la hausse.
Ce mardi 25 juillet. Il est 16h30 à Vitshumbi, à la côte Ouest du lac Edouard, en province du Nord-Kivu. Des dizaines de pirogues sont en ancrage sur le lac. Le ciel vire à l’orage. Au loin, pointent quelques trois petites formes. Au fur et à mesure que les secondes passent, elles grandissent. Ce sont des pirogues.
Elles se fraient un chemin parmi celles qui sont stationnées. « Cette vitesse avec laquelle elles avancent veut dire qu’elles n’ont pas une grande charge. Pourtant, cela fait cinq jours qu’ils sont partis », explique un capitaine d’une pirogue, qui attend impatiemment ces amis revenir des zones de pêche.
A leur arrivée, chaque pirogue a à son bord une dizaine de poissons. Les pêcheurs ont des visages renfrognés. Pas contents de leurs prises. Ils débarquent les filets, les casseroles et les braséros qui leurs servent d’outils de cuisson. « Le lac est vide de poissons ! », lance un autre capitaine de pirogue. Cette lamentation revient sur toutes les lèvres des pêcheurs de cette contrée. Pourtant, il y a encore plus de dix ans le lac Edouard était classé parmi des lacs les plus poissonneux de l’Afrique.
Ici à Vitshumbi, plusieurs pirogues ne sont plus motorisées suite à la baisse de la production. Des pécheurs ont déjà opté pour le système de campement au lac. Une pirogue sans moteur peut faire plus d’un mois sur les eaux du lac et ses petites captures sont évacuées par une autre pirogue qui approvisionne par la suite des pêcheurs en farine de manioc et autres biens de premières nécessités. Ces pirogues sont appelées « Mumbekaye »
Des poissons disparaissent
Auparavant, vers les années 1990 une pirogue de pêche pouvait capturer entre 1000 et 1500 poissons. « Aujourd’hui on a du mal à saisir même une cinquantaine », explique Joseph Kamabale, un pêcheur. Selon la même source, c’est avant 2014 que la production était importante. Pendant cette période des patrouilles étaient sous la responsabilité intégrale de l’ICCN (Institut congolais pour la conservation de la nature). « Cette carence est en croissance vertigineuse depuis près d’une décennie », se désole Kameso Sapata Jeanot, chef adjoint du SAPIAVI (Syndicat des armateurs, pêcheurs individuels, artisanaux et environnementalistes de Vitshumbi).
D’année en année, Vitshumbi voit l’espoir de bonnes pêches s’amoindrir. « Nous sommes passés en peu de temps de 15 000 tonnes à moins de 400 tonnes de poisson par an », déclare Pascal Kasereka Mbakula, coordinateur des officiers de pêche sur le lac Édouard et chef du service pêche et élevage à Vitshumbi. Conséquence notamment, du non-encadrement des pêcheurs et la multiplicité des pratiques prohibées. Chacun pêche comme bon lui semble. Nombreux vont jusqu’à utiliser des filets ayant des petites mailles et qui capturent des alevins.
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Selon Justin Muhindo Muvunga, Coordinateur du collectif des techniciens de pêche et environnementalistes du lac Édouard, la pêche illicite s’organise de plusieurs manières entre autres l’utilisation des filets des mailles inférieures à 4.5 inchs, la pêche à la nasse ou au tam-tam, l’utilisation des filets électriques appelés « Nyatanzube »… « Certains pêchent même dans les frayères (lieux de reproduction des poissons). Et comme ils payent les hommes en arme,… ils sont protégés », dénonce-t-il. De plus en plus des jeunes poissons disparaissent dans ce lac.
Pour des membres du SAPIAEVI, des pêcheurs sont à grande partie auteurs de cette destruction du lac avec la complicité de certains agents de l’État. Même son de cloche pour des techniciens environnementalistes qui lient aussi cette pêche prohibée à la multiplicité des groupes armées dans la région.
De plus en plus des malnutris
La localité de Vitshumbi a toujours rimé avec poisson frais, naturel et bio. Mais les choses ont changé. Aujourd’hui manger du poisson dans cette enclave relève du luxe. « Les gens venaient de partout au Nord-Kivu pour s’approvisionner en poisson ici à Vitshumbi. Tout semblait facile. Un poisson moyen coûtait localement 500 FC (0,3 dollars) ou 700 FC (0,4 dollars) pour le plus cher. Mais aujourd’hui ce n’est plus le cas. Le prix du poisson a augmenté. Un poisson de grande taille coûte désormais 3000 ou 5000 FC (2 dollars) localement », explique la présidente de « Umoja wa mama wa ziwa Édouard », une structure féminine de la place des vendeuses de poissons.
Dans cette localité, la plupart d’enfants n’étudient plus et plusieurs pêcheurs n’arrivent plus à se construire même une maison à pisée. La présidente de l’Union des épouses des pêcheurs pour le développement intègre du paysan, indique que des parents n’arrivent plus à répondre aux besoins de leurs familles. « Actuellement, on enregistre de plus en plus des enfants malnutris. Pourtant cette maladie n’existait pas ici à Vitshumbi », déplore-t-elle.
De nombreux pêcheurs ont ainsi abandonné leurs pirogues pour prendre la houe et sont allés cultiver dans les villages montagneux sur la rive-ouest du lac Edouard. Et en cultivant sur cette zone, ils détruisent le corridor écologique dans le parc des Virunga. Le lac, de son côté, produit en quantité insuffisante et sert plus d’espace de jeu pour les enfants ou de source d’eau pour le village.
Victoire Katembo Mbuto
c’est tellement désolant, on se demande si les autorités de notre pays veulent que les réservent halieutiques congolais tarissent pour qu’elles sachent prendre des mesures conservatoires au profit de ces derniers?