En Juin 2024, le territoire de Lubero et la ville de Butembo, à l’Est de la République Démocratique du Congo, ont enregistré plus de trente cas de justice populaire. Selon plusieurs sources, des patrouilleurs civils qui ont érigé des points de contrôle dans certains quartiers, soupçonnent des victimes de collaborer avec les ADF et le M23.
Dans la nuit du dimanche au lundi 1er Juillet, à Kivunano, à la limite Sud-Est de la ville de Butembo et le territoire de Lubero, des jeunes de la « local defense » (des patrouilleurs civils) ont intercepté un convoi de cinq véhicules de l’ONG Britannique TearFund.
Le convoi quittait Lubero pour Beni via Butembo. Ces jeunes veilleurs ont d’abord administré des coups à l’équipe du convoi. On a enregistré des blessés et la mort de deux membres du staff (un Ingénieur en wash et un chauffeur). Ces veilleurs ont aussi incendié cinq jeeps ainsi que des motos transportées dans un pick-up du convoi.
Cette rumeur met ainsi en danger plusieurs ONG qui ne savent plus comment se retirer de la zone après la suspension de leurs activités à Kanyabayonga, Kayna et Kirumba. Selon la cellule de communication de la mairie de Butembo, ces dégâts sont des conséquences des folles rumeurs qui assimilent des ONG locales et internationales aux collaborateurs du M23.
« Certains agents de cette ONG ont d’abord trouvé refuge chez une des autorités locales. Mais des jeunes en colère ont menacé de brûler sa maison. Cette autorité s’est trouvée dans l’obligation de chasser ces agents de sa maison », explique un habitant, qui a voulu rester anonyme pour sa sécurité.
Trop de soupçons et des morts
Dans la journée du dimanche 30 juin, à Kyambogho, à la limite Sud de la ville de Butembo et du Territoire de Lubero, deux militaires des FARDC ont été lynchés et brûlés vifs car soupçonnés d’appartenir à des groupes qui alimentent l’insécurité dans la partie Est de la RDC. Dans la même contrée, deux hommes qui avaient de la peine à s’exprimer en dialectes locales ont été aussi brûlés vifs.
En plus de 4 personnes lynchées, trois autres ont été atteintes de balles tirées par les forces de sécurité qui sont intervenues pour tenter de sauver les victimes. Ce qui ramène à 7 le nombre de personnes mortes dans cette contrée en une journée.
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Le Samedi 29 juin, d’autres jeunes ont pris d’assaut « l’hôtel Believe », un des grands hôtels de la ville de Butembo. Des rumeurs ont d’abord circulé selon lesquelles des éléments du M23 étaient hébergés dans cet hôtel. En réaction à ces rumeurs, des groupes se sont formés et ont commencé à jeter des projectiles sur cette bâtisse.
« L’hôtel a été saccagé. Des véhicules des clients ont été touchés par des projectiles. Certaines motos qui étaient garées dans le parking externe ont été aussi emportées. La police est intervenue pour rétablir l’ordre, face à ces troubles causés par des informations erronées », écrit le journaliste Geaorges Kisando sur son compte Facebook.
Selon la même source, des manifestants ont lancé des étoffes imbibées d’essence enflammées sur l’hôtel. Dans la nuit de ce même samedi 29 juin, les manifestants ont incendié un hangar érigé au bureau de la société ENK (Énergie du Nord-Kivu), une entreprise qui dessert les villes de Butembo et de Beni en énergie électrique.
Tous ces dégâts au nom de l’appelle à la vigilance populaire !
A côté des morts, des dégâts matériels (étalages, kiosques, macadam… détruits), la police de la ville de Butembo déplore aussi la perte de deux armes. « Je suis obligé de vous dire que ce jour-là on avait ravi l’arme à un militaire de l’auditorat militaire et hier même, dimanche, on a encore ravi une autre arme à un policier », déplore le Commissaire Adjoint Laurent Katsumba, Communicateur de la Police Nationale Congolaise de la Ville de Butembo.
Selon Alberto Lusenge, un activiste des Droits de l’Homme, à l’espace d’une semaine, Butembo et Lubero ont enregistrés plus de trente cas de justice populaire et plusieurs dégâts matériels. Dans un communiqué rendu public ce mardi 2 juillet 2024, le REDHO (Réseau pour les Droits de l’Homme), indique qu’au moins 18 personnes sont mortes dans différentes circonstances à Butembo et environs entre le 15 et le 30 juin 2024.
Certains ont été lynchés, d’autres brulés vifs d’autres encore par fusillade. « Nous enregistrons chaque jour de morts dans des circonstances différentes. Pourtant, coupables ou pas, c’est mieux qu’on les traduise devant la Justice. Nous risquons de nous exterminer dans ce cas. D’autres vont profiter pour se régler des comptes », s’inquiète Maître Muhindo Wasivinywa, défenseur des droits de l’homme au sein du REDHO.
Ces derniers temps, des déplacements des populations s’intensifient dans les environs de la ville de Butembo. Le nombre de déplacés est croissant. Si certains fuient des attaques des présumés ADF à Mabalako, Cantine et Mangurejipa… d’autres se déplacent face à l’avancée des éléments du M23 vers les agglomérations du territoire de Lubero (Kanyabayonga, Kayna, Kirumba,…).
Dans cette vague des déplacements des populations, certains jeunes redoutent que des gens qui ne s’expriment pas bien en dialecte local (Kinande) soient des combattants ADF ou encore des éléments du M23. Pourtant plusieurs déplacés ne connaissent pas des adresses précises des quartiers de Butembo et Luber… D’autres ne s’expriment pas facilement à Kinande. « Bref : les jeunes ont remplacé les services de sécurité » s’étonne Gentil Kombi, un activiste de la société civile.
Perte de confiance
Ce qui inquiète aussi des autorités locales. « Actuellement les jeunes sont très agités à la suite de la progression rapide du M23 en territoire de Lubero vers la ville de Butembo. Mais également à cause des massacres (des présumés ADF) qui se passent dans la région de Manguredjipa. Ils ont intercepté des suspects et les ont lynchés », déplore Kasereka Kakundika John, secrétaire de la localité Ndando qui se trouve en chefferie des Baswagha.
Chaque jour, aux heures vespérales, en ville de Butembo et dans les environs, des jeunes civiles barricadent des routes avec des grosses pierres, allument le feu dans différents points chauds de la ville,… et vont jusqu’à ériger des checkpoints (points de contrôle) dans différents quartiers. Selon eux, c’est pour limiter des infiltrations des ennemis dans la ville. « Nous devons rester vigilants », lance un jeune dans un point de contrôle à Katwa, sur la route Butembo-Luotu.
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Pour des chercheurs en psychologie, la population ne sait plus canaliser sa colère et cède facilement face à la rumeur. Et parmi ces patrouilleurs, nombreux sont plusieurs fois victimes de l’insécurité. Certains ont déjà perdu leur proche soit tués par arme blanche, soit par des balles réelles… d’autres ne se sont jamais senti en sécurité même à côté des forces de l’ordre… D’autres encore ne comprennent pas ce qui se passe et agissent selon les tendances de la foule.
Sur des réseaux sociaux, de plus en plus des messages de précautions, sans signature, circulent. « Vous devez toujours vous munir de votre carte d’électeur. Ne porter jamais des T-Shirts, chapeaux, gilets avec mention d’une ONG ou des partis politiques. Devant des jeunes, soumettez-vous à leurs exigences et passez calmement sans trop de disputes. Si vous avez un sac, laissez les jeunes les contrôler ».
Umbo Salama