L’Est de la République Démocratique du Congo-RDC connaît depuis plusieurs années des conflits armés. Des filles et femmes pygmées sont parmi les plus victimes. Elles subissent des actes de violence sexuelle. Certaines croyances populaires accentuent ces violences sexuelles.
Dans un site des déplacés à Mbau, en territoire de Beni, vit Kavugho Duniya (nom d’emprunt). Cette jeune fille pygmée a été violée par des jeunes lorsqu’elle rejoignait le site d’hébergement.
« J’étais allée en visite chez ma grande sœur au village, à Upende. Sur le chemin de retour, j’ai croisé des hommes qui m’ont brutalisée et violée. Malheureusement je les ai pas reconnus par figure », témoigne-t-elle.
Des miliciens sont aussi accusés des cas de viol. Kavira Louiza (nom d’emprunt), une survivante, a été violée en brousse par des hommes en arme dans le secteur de Beni-Mbau.
« Mes deux amies et moi cherchions du bois de chauffage dans le champs vers Angulu. Sur notre chemin de retour, on a rencontré plusieurs hommes habillés en tenue militaire. Ils nous ont poursuivies. Chacune a pris sa direction. Par malheur, l’un d’entre eux m’a rattrapée et m’a violée », raconte-t-elle.
Kavira Bwanambele Appolina, une des responsables au site de la CECA 20 Mission, à Oicha, déplore l’environnement de vie qui expose ces pygmées aux violences sexuelles.
« Même ici, nous ne sommes pas en sécurité. Il y a des militaires autour de nous qui devraient nous sécuriser. Mais ils sont aussi parmi ceux qui nous agressent sexuellement. A part ça, certains bantous abusent sexuellement nos filles et les abandonnent après », déplore-t-elle.
Croyances des bourreaux et ignorance de la loi
L’association paysanne pour la réhabilitation et protection des pygmées, PREPPYG asbl reconnait les violences sexuelles faites aux femmes et filles pygmées en cette période des conflits armés. Elle indique qu’elles sont souvent dues à des croyances dans la communauté et à la vulnérabilité des victimes.
« Il y a ces croyances que la femme pygmée constitue un remède pour les hommes affaiblis sexuellement et rend invincible quelqu’un devant son ennemi. Mais aussi quand les femmes et filles entreprennent des activités de survie comme la vente des racines des produits forestiers non ligneux (aphrodisiaques), certains hommes véreux profitent pour les expérimenter chez des filles pygmées », déplore Butelezi Kambale Kakevire, secrétaire exécutif de PREPPYG.
Lire aussi : Quand des civils abusent aussi et violent des déplacés de guerre en ville de Goma
Nombreuses victimes des violences sexuelles préfèrent le silence. Une minorité dénonce mais se renonce plus tard. Elles craignent les représailles de leurs bourreaux. Ce refus de dénoncer rend difficile l’accompagnement des victimes par les organisations de défense des droits de la femme.
« Rares sont les filles qui se livrent facilement à quelqu’un après viol. Même si les faits sont évidents, elles préfèrent se taire. Il y a de ces cas où la victime change de position. Elle dénonce et se rétracte à cause des menaces. Parfois c’est difficile pour une victime de connaitre la figure de ses bourreaux », déclare Butelezi Kambale.
Ces victimes ne sont pas informées de leurs droits. « Le problème c’est la sous-information. Les victimes ignorent qu’elles ont la protection de la loi. Elles ne savent pas qu’en dénonçant, la loi c’est le bouclier pour leur cause », poursuit-il.
Arrangements clandestins et inquiétude de la communauté
Au cas où les auteurs sont identifiables, des arrangements se font entre les deux parties. Ces arrangements ne compensent toujours pas les préjudices subis, avoue Duniya Imani (non d’emprunt), une femme pygmée rencontrée dans le site de Kuka, en ville de Beni.
« C’est de notre ignorance quand nous nous taisons face aux viols. Les auteurs de ces actes qui normalement mériteraient la prison sont libres. Juste parce qu’ils essaient de se couvrir en donnant un petit rien à la famille de la victime. Parfois nous l’acceptons comme ça, c’est parce qu’il nous manque l’information suffisante. Ca réduit notre valeur en tant que femme », se désole-t-elle.
Lire aussi : Mieux informer sur les violences sexuelles pour limiter ce fléau en RDC
Mutuli Kisubi Jean-Pierre, l’un des responsables du site Mission CECA 20 à Oicha, s’inquiète de l’avenir des enfants conçus après le viol de leurs mères.
« Nos sœurs pygmées sont souvent abandonnées avec des grossesses. Ces enfants qui naissent, nous les encadrons. Mais nous nous inquiétons pour leur avenir. S’ils ne sont pas bien intégrés socialement, ils risquent d’intégrer les groupes armés pour se venger des familles de leurs pères », craint-il.
En juin 2022, le Sénat a voté la loi portant protection et promotion des droits des peuples autochtones pygmées. Elle a été promulguée en novembre 2022, par le Chef de l’Etat. Cette loi reconnait officiellement les droits des peuples autochtones pygmées, les protège de toutes formes de discrimination et violences. PREPPYG vulgarise cette loi au sein de la communauté pygmée.
« Nous avons trouvé urgent de vulgariser cette loi auprès des leaders autochtones pygmées et des coutumiers. Nous comptons rendre disponible cette loi en images caricaturées pour permettre même à ceux qui ne savent pas lire, d’identifier les formes de violences. […]Le souhait c’est de voir les jeunes leaders pygmées être eux-mêmes à la première ligne dans la dénonciation des cas de violences sexuelles », explique Butelezi Kambale Kakevire.
Depuis environ trois décennies, des groupes armés locaux et étranger, dont les ADF pillent les biens et tuent des civils au Nord-Kivu et en Ituri. Cette insécurité a poussé des milliers des habitants fuir leurs milieux de vie, aggravant ainsi la situation humanitaire dans cette partie du pays. Aussi, le besoin accru pour l’accompagnement sanitaire, psycho-social, économique et judiciaire s’avère une urgence pour permettre le bien-être des femmes et filles pygmées.
Providence Birugho