Le 5 juin 2000, la RDF (Rwanda Defense Force) et l’UPDF (Uganda People’s Defence Force) s’étaient affrontées dans la ville de Kisangani, faisant plus de 1000 morts, 3000 blessés et plus de 800 immeubles détruits. C’est la “Guerre des Six jours” qui dura jusqu’au 11 juin. Les victimes attendent toujours réparation, mais sans succès.
« C’était un lundi d’apparence ordinaire. Nous étions au Collège du Sacré Cœur (Maele) comme d’habitude. La descente aux enfers s’était enclenchée à 9h55′ (5’avant la récréation). Quelques minutes plus tard, nous nous sommes enfermés dans la grande salle de l’école. Quelques échos, rumeurs, infos commençaient à nous parvenir : C’était la guerre ! », raconte dans un thread sur compte Twitter, Alesh Chirwisa, rappeur congolais. Il avait 15 ans quand cette guerre avait éclaté.
Six jours durant, la ville est en proie à d’intenses combats, avec usage d’armes lourdes, notamment des mortiers et des batteries anti-aériennes. Selon l’ONG « Groupe Justice et Libération », plus de 6.000 obus étaient lancés. Les civils tués sont recensés dans les communes de Tshopo, Makiso et Mangobo. La cathédrale de Kisangani était aussi touchée par des obus. D’autres lieux sont endommagés, notamment des écoles, hôpitaux, la SNEL, la Régideso, etc. Ces combats durèrent jusqu’au 11 juin, lorsque les militaires Rwandais parvinrent à chasser les Ougandais de la ville.
Rwandais et Ougandais s’étaient déjà affrontés à deux reprises, dans la même ville de Kisangani (un premier affrontement en août 1999 et un deuxième en mai 2000). Mais les affrontements de juin 2000 seront d’une intensité inouïe. Sur son compte Twitter, Banjamin Babunga indique ces deux armées s’étaient affrontées pour le contrôle de la filière du diamant dans la ville de Kisangani.
Se souvenir comme si c’était hier
Il y a des souvenirs qui ne passent pas. Ainsi en va-t-il de la « Guerre de six jours » à Kisangani, entre le 5 et le 11 juin 2000. « On croyait que la situation allait immédiatement redevenir calme, mais rien du tout, la guerre ne faisait que continuer et la situation s’empirait chaque jour davantage. On n’avait plus d’eau, ni d’électricité. Le peu de provisions était épuisé. Notre maison familiale se trouvait sur l’avenue menant vers le plateau. Malheureusement à proximité de là où les rwandais venaient de s’installer. Ils nous avaient demandé d’évacuer le lieu. A peine franchi notre portail, nous avons découvert les affres de cette sale guerre. Sur l’avenue, des cadavres étaient abandonnés à même le sol, des civils blessés sans aucun secours. On était obligé de les sauter pour atteindre le domicile d’une tante, à des centaines de mètres de là », se souvient amèrement Aline Engbe, porte-parole du Collectif des victimes, âgée de 12 ans à l’époque des faits.
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L’autre comble est que les affrontements avaient débuté pendant que les élèves se trouvaient à l’école, des parents au boulot… Le premier réflexe était de de rencontrer sa famille. « Prince, ma nièce, élève à l’école primaire Mapendano, aux heures de 10h du 5 juin fatidique, alors que les obus fusaient de partout, les élèves libérés se débrouillèrent pour rentrer. Le temps de se cacher chez sa collègue de classe, une bombe les emporta avec la famille hôte, laissant un veuf éploré. Badjoko, âgé de 10 ans, était chez lui à la maison, il venait de manger du pondu aux aubergines et se reposait. Il nous est arrivé à la Polyclinique du Canon avec plaies abdominales par éclats d’obus. Nous l’avions stabilisé et référé aux Cliniques Universitaires de Kisangani où il est décédé 10 jours après », se souvient Ngana Placide, médecin à Kisangani.
« J’étais en troisième des Humanités littéraire au Complexe Scolaire Okapi. Nous avions cours d’Histoires et notre professeur venait de décréter une interrogation surprise. Le temps de protester, nous avons entendu le bruit d’une arme lourde (elles avaient toutes le son d’un obus, pour les habitants de Kisangani). Un silence assourdissant avait envahi la salle. Nous en avions un peu l’habitude », explique Marilyn Atoba. « J’avais 8 ans à l’époque élève à l’école primaire mwangaza. C’était trop difficile pour moi de voir la guerre. J’étais parti de l’école vers 11h car j’attendais mon grand frère pour venir m’aider, sans succès. J’étais obligé de rentrer avec mon ami. Malheureusement une belle l’avait atteinte au niveau du nez », indique Swede Busandji.
Des victimes laissées pour compte
Aujourd’hui, il y a près de 3 000 familles victimes de cette guerre de six jours. Il y a des gens qui ne savent plus se déplacer suite à leur situation de handicap physique et qui n’ont aucun moyen pour se doter de béquilles… Il y a des personnes dont les proches ont été massacrés et qui vivent dans une situation de traumatisme atroce. Il y a également des personnes contraintes chaque jour de prendre des médicaments parce qu’elles ont encore des restes des éclats dans leur corps. Jusqu’à aujourd’hui, Kisangani se trouve dans la même situation : des centaines d’édifices détruits, jamais réparés. Des familles sans toit vivent à la belle étoile.
« Nous continuons de réclamer la vérité, la justice et la réparation. La vérité, parce que nous ignorons toujours pourquoi nous avons autant souffert d’une guerre des armées étrangères. Il nous faut bien ouvrir ce passé pour partager les responsabilités, pour que jamais pareils crimes ne se reproduisent chez nous. La justice, parce nous voulons voir les auteurs être sanctionnés, pour que ça soit une mise en garde contre tous les instigateurs des conflits armés. La réparation, parce que c’est le droit des victimes d’être dédommagés pour les préjudices subis », martèle Aline Engbe, porte-parole du Collectif des victimes.
Dans sa résolution 1304 (adoptée le 16 juin 2000), le Conseil de Sécurité de l’ONU avait instruit le Rwanda et l’Ouganda à fournir des réparations. La Résolution prévoyait également la présentation par le Secrétaire Général de l’ONU d’une évaluation des torts causés, afin de déterminer les réparations. En décembre 2005, la Cour Internationale de Justice (CIJ) avait condamné l’Ouganda à réparer les conséquences de son invasion en RDC. La CIJ avait laissé l’Ouganda et le Congo convenir à l’amiable du montant des réparations. Les dommages proposés par les autorités congolaises se fixaient de 6 à 10 milliards USD.
« Ce qui est vrai, c’est que la suite du dossier de condamnation de l’Ouganda est louche. Après la sentence de la Cour internationale de justice, l’avocat de la RDC, le professeur Tshibangu Kalala, avait remis le dossier entre les mains du ministre congolais de la Justice, Alexis Tambwe Mwamba, qui avait aussi participé d’une manière ou d’une autre aux crimes parce qu’il avait une responsabilité dans la rébellion du RCD (Rassemblement congolais pour la démocratie), au compte duquel les deux armées étrangères se battaient. Il garde le dossier et on se demande pourquoi ce silence ? Les politiques doivent dépolitiser l’affaire », insiste Aline Engbe.
Des traces en voie de disparaître
Aujourd’hui, aucune victime n’a obtenu justice, tandis que les chefs militaires rwandais et ougandais impliqués dans ce carnage, sont toujours libres. Aucun responsable politique ni militaire n’a été appelé à répondre de ses crimes devant la justice. « Au-delà de la peine, meurtrissures, on retiendra curieusement que le gouvernement central est resté passif, pire même après la guerre, comme si rien ne s’était passé », indigne Marcus Wanyele, juriste et défenseur des droits humains. Il poursuit que l’espace est en train d’être spolié au vu et au su des autorités. C’est pour effacer les traces des atrocités. « Demain ils nous demanderont où est-ce que les victimes ont été enterrées? Personne ne saura montrer le lieu ».
D’autres vont jusqu’à se demander pourquoi on ne cite pas des congolais qui avaient fait recours à ces armées étrangères. « Plus de 1200 morts et 3000 blessés, c’est trop. La RDC doit se prendre en charge », tonne Mayifilua Innocent, chercheur et activiste. Et bizarrement, ce sont les mêmes pays qui sont rappelés pour « venir à bout » de la guerre de l’Est du Pays.
Umbo Salama