Entrée de l’armée ougandaise en RDC : ces souvenirs qui inquiètent


Depuis le matin du mardi 30 novembre, l’Ouganda et la RDC mènent des opérations conjointes visant les camps des ADF (Allied Democratic Forces) soupçonnés dans des massacres de plusieurs civiles à l’Est de la République démocratique du Congo. Mais au regard de l’histoire récente entre la RDC et l’Ouganda, il s’agit d’une décision sensible.

À 5h30 heure locale de ce mardi 30 novembre, la chefferie de Watalinga s’est réveillée au bruit de tirs d’armes lourdes provenant d’un village ougandais. Selon des sources sur place, des explosions ont aussi été entendues dans la province voisine d’Ituri, vers Boga et Tchabi, des agglomérations connues pour abriter de nombreux rebelles ADF.

Des vidéos amateurs montrant l’entrée de troupes ougandaises au sol, au poste-frontalier de Nobili (Nord-Kivu) dans l’est de la RDC ont circulé sur des réseaux sociaux. Différentes sources de Nobili et Kamango, dans la chefferie de Watalinga, en territoire de Beni ont aussi confirmé cette présence de l’armée ougandaise sur le sol congolais. « Je crois qu’ils ont d’abord testé leurs bombes et localisé précisément les endroits où elles vont tomber. Je viens aussi d’apercevoir un avion de chasse qui pourra peut-être aider à localiser les différentes bases des ADF », indique Mwami Sambili Bamukoka de la chefferie de Watalinga.

L’UPDF ovationnée en RDC

Selon l’armée ougandaise, d’autres opérations sont prévues pour combattre des ADF. Ces opérations seront menées notamment par des troupes qui sont au sol sur le territoire congolais. « Il y aura d’autres attaques. Mardi, c’était des frappes aériennes et d’artillerie, mais les troupes terrestres vont entrer en jeu. La prochaine étape est de rentrer, de tenir le terrain et de continuer nos opérations, pour s’assurer de débusquer les rebelles dans tous leurs campements », a détaillé Flavia Byekwaso, la porte-parole de l’armée ougandaise.

Vers 12 heures, des colonnes de militaires ougandais, certains à pied et très bien armés et d’autres à bord des véhicules blindés, sont entrés sur le territoire congolais. Ces militaires se dirigeaient vers Kamango, localité située à quelques 8 km au nord-ouest de Nobili. La population a ovationné et adulé ces militaires ougandais de l’UPDF (Uganda People Defensive Force) qui ont foulé le sol congolais ce Mardi 30 novembre. « Si notre gouvernement a accepté de travailler avec les ougandais, c’est puisque eux ont des armes lourdes et des avions de guerre que nous venons de voir », embraille le Mwami de Watalinga.

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Pourtant rien n’empêche le gouvernement congolais de doter son armée d’une artillerie à la hauteur. Des FARDC, de leurs côtés, ont été visibles à bord des véhicules des civiles. Il est vrai qu’en juin 2021 le Conseil de sécurité des Nations Unies a prorogé jusqu’au 1er juillet 2022 l’embargo sur les armes imposé en République démocratique du Congo (RDC). Nuance tout de même sur cette question : les Nations unies soulignent que « les autorités légales » peuvent bénéficier des armes, munitions et autres matériels.

Il fallait un alibi pour entrer en RDC

Cela fait des années que le président ougandais tente d’obtenir l’aval de Félix Tshisekedi pour l’entrée des troupes ougandaises sur le sol congolais. Pas seulement pour combattre les ADF car il existe également des enjeux économiques. En mai dernier, Yoweri Museveni et Félix Tshikedi avaient lancé à Pondwe, à la frontière de la RDC et de l’Ouganda, des travaux de constructions de certaines routes à l’Est la RDC. Mais les travaux trainent pour débuter. Il fallait trouver un autre alibi : l’attentat à la bombe en plein cœur de Kampala.

L’Ouganda accuse « un groupe local lié aux ADF » d’être l’auteur d’un double attentat suicide qui a tué quatre personnes le 16 novembre à Kampala. Cette attaque était survenue après un attentat à la bombe contre un restaurant de la capitale le 23 octobre et un attentat-suicide dans un bus près de Kampala deux jours plus tard. « C’est cet évènement qui a permis à Yoweri Museveni d’accentuer la pression sur son homologue Congolais », expliquent des experts de Desk Afrique d’Analyse stratégique.

Des persistantes inquiétudes

Des faits remontent aux années 1998-2003. Plusieurs exactions commises par l’Ouganda à l’encontre de la République démocratique du Congo ont affecté de manière profonde et durable son infrastructure et son environnement, meurtri sa population civile et épuisé son économie et ses ressources naturelles. En juin 2000, ce sont les armées ougandaises et rwandaises qui s’affrontent sur le territoire congolais, à Kisangani, actuelle capitale provinciale de la Tshopo, dans le Nord-Est de la RDC : c’est la triste « guerre des six jours ». Les combats se déroulent en effet du 5 au 10 juin, comme la Guerre des six jours entre Israël et la Ligue arabe, en 1967.

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L’Ouganda s’étant déjà retiré, nombreux soupçonnent encore la présence des officiers rwandais dans le rang des FARDC. D’autres les accusent même d’être derrière ceux qui massacrent la population civile à Beni et en Ituri. « On les a tous vu venir au Congo (Ougandais et Rwandais). Mais certains sont rentrés, d’autres sont restés étant même des généraux occupant tous les postes dans l’armée congolaise. L’Ouganda ne peut pas aussi croiser les bras. L’Ouganda vient vérifier les éléments Rwandais qui seraient derrière les ADF et qui commencent à mener des attentats dans sa capitale », explique un chercheur qui a voulu rester anonyme. Selon cette source on risque encore une fois d’assister à une guerre entre les troupes rwandaises et ougandaises sur le sol congolais.

Des signes qui ne trompent pas

C’est d’ailleurs ce qu’on peut retenir de l’analyse de Jean-Jacques Wondo Omanyundu, analyste des questions sociopolitiques, sécuritaires et militaires. Selon lui « Le déploiement de l’armée ougandaise en RDC va inciter en toute logique le Rwanda à faire de même (…) Cette situation sert d’alibi aux armées de l’Ouganda, du Rwanda et du Burundi ainsi qu’aux groupes armés qu’ils ont créés et qu’ils soutiennent pour intervenir en RDC. C’est notamment le cas du  Rwanda et du M23/Runiga qui ont intensifié leurs activités à l’Est de la RDC (Kibumba, Chanzu, Runyoni) », analyse-t-il.

Le 18 octobre 2021, le village de Kibumba, au Nord-Kivu, a été investi par les éléments de l’armée rwandaise avant d’en être délogés par les FARDC. Le 3 novembre 2021, c’était le tour de la ville de Bukavu, au Sud-Kivu, qui a été le théâtre d’une incursion d’un groupe armé dénommé CMC-A64. Moins d’une semaine plus tard, ce sont les villages de Chanzu et Runyoni, dans la zone frontalière avec l’Ouganda au Nord-Kivu, qui avaient subi les attaques dans la nuit du 7 au 8 novembre de la faction rebelle du M23/Runiga.

ADF, ennemi commun de l’Ouganda et de la RDC

D’autres vont jusqu’à s’interroger sur le vrai mobile de la présence de l’armée ougandaise contre un groupe de gens qui tuent avec des machettes les populations civiles et qui n’ont jamais exprimé l’intention de prendre le pouvoir en Ouganda. « Il faut se demander peut être où seraient les militaires de la 14ème brigade mixée et intégrée qui étaient déployés à Béni? Ce n’est pas pour rien que la société civile de Béni réclame toujours la mutation des certains FARDC ? », s’interroge un activiste des droits humains. « Il y a aussi la problématique du cacao, des planches et des minerais. Puisque Museveni a cherché des financements partout sans rien trouver. L’unique voie de sortie c’est venir en RDC. Sans ces moyens, il ne saura battre campagne pour son élection », explique-t-il.

En 2005 la CIJ (Cours internationale de Justice) avait statué que l’Ouganda devait payer des réparations pour avoir envahi la RDC, provoquant une guerre (1998-2003) qui a fait plus de trois millions de morts. Les autorités congolaises réclament désormais près de 13,5 milliards de dollars de réparation. Une somme que Kampala juge exorbitante.

Umbo Salama