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Dans des pêcheries du lac Edouard, la carence en poisson expose la population à des attaques des crocodiles

Dans des pêcheries du lac Edouard, la carence en poisson expose la population à des attaques des crocodiles


Depuis plus de cinq ans, du côté congolais du lac Edouard, des pêcheries enregistrent des victimes des attaques des crocodiles du Nil. Dans ces pêcheries, le poisson se fait de plus en plus rare. Des crocodiles qui se nourrissent aussi de ces poissons, agressent maintenant la population et les hippopotames.

Ce Vendredi 10 janvier à Vitshumbi, une enclave de pêche située à la côte sud-ouest du lac Edouard, dans le parc national de virunga, à une centaine de kilomètres de la ville de Goma, le soleil tend à se coucher. Kambale Muyisa, un des pêcheurs, va à la recherche des appâts naturels dans la baie de Mugera, près du quartier Chaviboko, pour la pêche à l’hameçon. Sur ce lieu, un crocodile du Nil le happe et l’emporte avec lui dans l’eau. Quelques parties de son corps sont découvertes le lendemain matin aux abords du Lac.

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En effet, depuis plus de cinq ans, dans des pêcheries situées à la côte Ouest du Lac Edouard, des attaques de crocodiles sont en recrudescence. « Actuellement ces crocodiles sont visibles dans notre milieu et leur origine reste inconnue. Le nombre des victimes ne fait qu’augmenter », indique Joseph Kambale, membre de la société civile locale. Ces attaques ne sont pas isolées. Un enfant de huit ans a été tué dans des circonstances similaires le 29 décembre dernier, à Kanyatsi, vers la pêcherie de Kyavinyonge, en territoire de Beni.

Un crocodile du Nil aux abords du pont d’accostage de Vitshumbi © photo Victoire Mbuto

En 2024, plus de dix décès dus aux attaques des crocodiles ont été enregistrés dans la région, selon les acteurs locaux. « Il y’a pénurie d’eau à Vitshumbi et dans d’autres pêcheries, la population recourt au lac pour s’approvisionner. Malheureusement l’endroit est devenu aussi trop dangereux », s’inquiète Esaï Kanyangara, un jeune de Vitshumbi. En 2023, la société civile de la place avait documenté une dizaine de cas d’attaques dont deux enfants et des pêcheurs. Certaines victimes ont déjà perdu la vie et d’autres leurs parties du corps devenant ainsi des handicapés.

Baisse de poissons dans le lac

Ces attaques des crocodiles intensifient la méfiance entre les riverains du parc national de Virunga et l’institut congolais pour la conservation de la nature. Des habitants qui n’étaient pas encore confrontés à ces genres de reptiles attribuent leur présence à une intervention extérieure.

Dans le langage populaire, la population indique que ces crocodiles visent à exterminer les riverains du lac Edouard. « Depuis mon enfance, je n’avais jamais entendu parler de l’histoire des crocodiles dans mon village. Je crois qu’il y a quelqu’un qui a introduit ces espèces dans ce lac pour nous exterminer », indique une habitante en pleure, au deuil d’un membre de sa famille à Vitshumbi, happé par un crocodile.

Des accusations que rejette l’ICCN (Institut congolais pour la conservation de la nature). « Ces crocodiles sont des espèces protégés par la loi sur la conservation de la nature. Ils sont venus du fleuve Nil. C’est pourquoi on les appelles des crocodiles du  Nil », avait éclairci le conservateur Gratien du Parc National de Virunga dans une consultation avec les leaders communautaires de Vitshumbi en Juin 2023.

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Selon plusieurs témoignages dans des pêcheries du lac Edouard, des crocodiles ont toujours existé dans ces eaux du lac ainsi que dans certaines rivières. « C’est seulement récemment, ces cinq dernières années, qu’on enregistre de plus en plus des dégâts de ces reptiles », embraye l’ICCN.

Dans cette même perspective, le média en ligne greenafia.com, écrit que cette agressivité des crocodiles est aussi liée à la carence des poissons. Selon ce média, cette rareté des poissons sur la surface des eaux fait disparaître des oiseaux qui se nourrissent des fretins.

« Suite à la rareté des poissons dans le lac Edouard, les crocodiles manquent également de nourriture et se rapprochent désormais des plages pour happer les pêcheurs ou les habitants qui viennent se ravitailler en eau ». Au premier trimestre de l’année 2024, des associations des pêcheurs ont recensé au moins dix morts dans la seule pêcherie de Kyavinyonge, à la suite des attaques des crocodiles.

« Nous pensons que la diminution sensible des poissons dans le lac pousse les crocodiles à se rapprocher davantage des rives pour se nourrir. Tout ceci doit se faire dans une étude scientifique que nous espérons prochaine », explique Bienvenu Buende, chargé de communication du parc national des Virunga dans lequel se trouve le lac Edouard.

De son côté, le collectif des techniciens de pêche et écologistes du Lac Edouard réclame l’équilibre écologique. Pour ce collectif, ces attaques répétitives prouvent qu’il y a déjà prolifération de ces reptiles dans le lac. Ce collectif s’appuie sur l’Ordonnance-loi n° 23-007 du 03 mars 2023 modifiant et complétant la loi n° 11/009 du 9 juillet 2011 portant principes fondamentaux relatifs à la protection de l’environnement, qui stipule que cette protection se fait en garantissant le bien-être de la population congolaise, et en poursuivant le développement durable de la République Démocratique du Congo.  

Limiter la pêche illicite et le braconnage des hippopotames

D’une superficie de près de 220 000 ha dont 74 % en territoire congolais, ce lac était l’un des plus poissonneux d’Afrique centrale et abritant une diversité exceptionnelle de poissons. On y trouvait « le Bagrus docmac, le Sarotherodon niloticus, le Sarotherodon leucosticus, le Haplochromis ssp, le Hemihaplochromis multicolour, et le Schutzia eduardiana ». Depuis quelques années, la production de poisson a chuté à cause de la surexploitation du lac.

Aujourd’hui dans ces pêcheries, le nombre de pirogues a triplé. Au lieu de 1187 unités de pêches légalement autorisées, ces entités comptent actuellement plus de 4 000 pirogues. A côté de cette multiplicité des pirogues, des pêcheurs utilisent aussi des filets de petites mailles ou même des moustiquaires. Alors qu’on recomande d’utiliser des filets de mailles de 4,5 pouces. Ils vont jusqu’à pêchés dans des frayères (zones de reproduction des poissons) avec ces filets illégaux.

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L’autre constat est que des pêcheries qui échappent jusqu’aujourd’hui au contrôle de l’Etat se développent aussi à côte ouest du lac. Selon des témoignages dans la zone, du côté congolais, il n’y avait que trois pêcheries (Vitsumbi, Kamandi et Kyavinyonge). C’est vers les années 1997, lors de la guerre de libération de l’AFDL que d’autres pêcheries se sont créées (à Lunyasenge, Kisaka, Kasindi-port et Musenda).

Un hippopotame au port d’accostage de Vitshumbi communément appelé Kivé © Photo Victoire Mbuto

D’autre part, le braconnage des hippopotames accentue la rareté des poissons. Surtout qu’ils favorisent la croissance des plantes aquatiques et ses excréments nourrissent les poissons. « Les hippopotames font face à un double problème. D’abord leurs canines d’ivoires les exposent au braconnage. Ensuite, les crocodiles attaquent leurs petits après la naissance », indique Justin Muhindo Muvunga, coordonnateur du collectif des techniciens de pêche et écologistes du lac Edouard. Selon les recherches de Deogratias Kujirakwinja menées en 2010, un hippopotame qui consomme jusqu’à 35 kg de végétation pendant les nuits les plus fraîches, a un impact significatif sur la pêche. Selon le Parc National de Virunga, la population des hippopotames a connu une réduction drastique de 95%. En 2022, Ce patrimoine mondial de l’UNESCO avait environ 1300 hippopotames, contre une baisse de 95 % par rapport au nombre enregistré en 1970.

Pour tenter de protéger la population de ces pêcheries contre des attaques des crocodiles certains leaders locaux suggèrent à l’ICCN de multiplier des bornes fontaines afin que les habitants ne puissent plus avoir besoin de puiser l’eau du lac. « De cette manière, les gens peuvent échapper aux attaques des crocodiles. Mais aussi la population doit éviter d’aller des endroits moins fréquentés du lac. C’est dans ces endroits qu’il y a trop d’attaques des crocodiles », conseille Justin Muhindo Muvunga, coordonnateur du collectif des techniciens de pêche et écologistes du lac Edouard.

Victoire Katembo Mbuto