Contre covid-19 au Nord-Kivu, à chacun ses raisons de port de masque


Parmi les mesures barrières pour prévenir le coronavirus figure le port correct du masque bucco-nasal. Mais le constat fait état d’une situation peu reluisante au Nord-Kivu, à l’Est de la RDC. Beaucoup de personnes démontrent aujourd’hui une lassitude à porter le masque malgré que les autorités sanitaires continuent d’insister… Chacun évoque ses raisons.

Assise au coin, dans son dépôt de vivre sur avenue « Du Marché », en plein centre-ville de Butembo, Masika Judith range de l’argent dans les poches de son tablier. Elle a un masque bien placé qui couvre son nez et sa bouche. En première vue on dirait qu’elle se protège contre le coronavirus… C’est vrai à juger de la fréquence des clients dans son dépôt. Heureusement à notre arrivée vers 12h00 de ce Mercredi 1er Septembre, des clients n’y sont pas nombreux. Masika Judith sort avec précipitation de son coin croyant venir servir des clients. Présentations faites, elle comprend que nous sommes des journalistes et nous indique deux tabourets à bois. Elle, pour sa part, s’assoit sur des sacs de Maïs.

Elle n’en revenait pas quand nous lui demandions si elle prend au sérieux la lutte contre le covid-19 puisqu’elle porte correctement son masque. Masika Judith, se met à rire, ôte son masque. « J’utilise des masques depuis que je travaille ici. C’est même avant cette histoire de coronavirus. Je mets mon cache-nez suite à des poussières qui proviennent des sacs de maïs, haricots… pour ne pas attraper la diarrhée par exemple », explique-t-elle. Elle poursuit qu’elle lessive ce cache-nez chaque soir qu’elle le récupère le lendemain matin.

Même son de cloche pour Kakule Wikongo Jérémie, conducteur de mototaxi. Il indique qu’il utilise le masque bucco-nasal pour deux objectifs. « D’abord c’est pour me protéger contre la poussière qui ne cesse de ravager la ville de Butembo et qui nous expose à des maladies surtout nous les taximen. En second lieu, comme nous taximen nous sommes exposés, portons sur nos motos plusieurs personnes et on ne sait pas où elles sont passées, de peur d’être contaminés, nous nous trouvons face à une obligation de mettre le masque », se justifie-t-il.

Lire aussi : En RDC, le respect des mesures barrières contre covid-19 n’est pas l’affaire de tous

Des éléments de la PNC (Police nationale congolaise) ont même sillonné certaines artères des villes afin de sensibiliser sur les mesures barrières plus particulièrement le port obligatoire de masque. De fois, des personnes sans cache-nez étaient contraintes de rebrousser chemin ou de s’en procurer sur place auprès des marchands ambulants. Dans d’autres villes comme Goma et Kinshasa, des amandes ont même été instituées contre des personnes sans masque. Mais la démarche policière n’avait pas aussi payé.

C’est seulement dans certaines entreprises et organisations que le port de masque est obligatoire. « On nous demande toujours de faire un choix entre port de masque et le travail. Mais pour la plus part de cas c’est seulement une clé d’entrée. Mais dans des bureaux c’est rare de voir des gens avec leurs masques », explique un agent dans une organisation humanitaire. Une autre dame, agent dans une institution financière indique que dans son quartier elle est déjà surnommée « Maman Cache-nez ». « Quand on me voit sans masque la première chose qu’on me demande c’est « coronavirus est déjà fini ? » », explique-t-elle. 

La beauté d’abord

Photo Pixabay

En ville et lors des grands événements comme le deuil ou le mariage, une femme sur dix supporte à peine le masque sur son visage. Parmi les raisons avancées par certaines, on estime que lorsqu’on est maquillé et que l’on porte un masque, on a toutes les chances de perdre son rouge à lèvres en pleine journée. Or refaire son maquillage, ça prend du temps qu’on n’a pas toujours.

A l’attente de la levée du corps d’une personnalité à la morgue de l’Hôpital de Matanda de Butembo, une jeune dame confie que c’est pendant ces genres de circonstance qu’on a la chance de rencontrer son âme sœur : l’homme de sa vie. « Mais comment le rencontrer si je dois passer inaperçue, le visage masqué ? Je pense que les hommes ont même peur de m’approcher lorsque je porte cette histoire », s’est-elle amusée en rigolant. Elles sont nombreuses, les filles qui pensent comme elle. « On ne sait jamais ! », disent-elles. Pour dire qu’on peut trouver un homme partout.

Selon d’autres femmes, si elles font une journée sans être complimentées elles ne se sentent pas à l’aise. Surtout quand il s’agit d’un compliment d’un inconnu. « Toute femme a besoin de recevoir un compliment sur la robe qu’elle porte, sur ses belles chaussures, sur sa coiffure ou encore sur son nez pointu ou sa bouche ronde. Pour cela, elle a besoin d’exhiber tout son potentiel, et se montrer belle », affirme Charline Kyakimwa, étudiante à l’ISC (Institut Supérieur de Commerce).

Lire aussi : Trop de bourdes dans la lutte contre la covid-19 au Nord-Kivu et en Ituri

C’est seulement quelques rares personnes qui portent des masques pour se prévenir contre covid-19. C’est le cas de Justin Cuma Muyoya vendeur au supermarché « Kwetu Partners shop (KP Shop) ». « Je mets mon cache-nez pour se protéger contre la covid-19 et d’autres maladies. Vous me voyez en cache-nez parce que je reçois une diversité des clients qui viennent de tous les coins. Je dois être trop prudent vraiment », précise-t-il.

Masque dans le sac

Il y a un bruit qui court dans plusieurs carrefours : les masques que nous portons pour nous protéger de la covid-19 seraient dangereux. « Il y aurait un poison que les Chinois mettent sur ces masques afin de nous rendre malades », m’a expliqué un ami. Il a même acheté un masque à la pharmacie pour montrer des traces foncées présentes sur certains masques chirurgicaux. Elles seraient la preuve de la dangerosité attribuée à ces masques, suspecte-t-il. Et il n’est pas le seul à penser ainsi. Beaucoup croient dur comme fer que les masques sont dangereux.

Si certains disent que les masques les étouffent, ne leur permettent pas de bien respirer, d’autres encore accusent le coût d’achat. Face à toutes ces excuses, Docteur Vughanyiri Mangala Pitié indique que le meilleur masque doit-être léger et doit faciliter la respiration. Il reconnait qu’actuellement tout le monde n’est pas à mesure de se procurer le cache-nez à usage unique. « On peut même utiliser le cache-nez fabriqué localement qui est plus économique. Mais à la fin de la journée cet outil doit être trempé dans l’eau de javel pour le désinfecter et l’utiliser encore le lendemain », conseille-t-il.

Malgré ces multiples excuses, nombreux ne se déplacent jamais sans masque. Il peut-être dans le sac-à-main, dans la poche, sur le bras ou même sur le menton et ne l’utilisent que sur exigence par rapport au lieu qu’ils fréquentent.

Serge Nzanzu Muyisa