Depuis un temps, la mode c’est aussi le port des vêtements avec déchirures. Ce style est une bonne affaire pour le commerce, pourtant taxé par certains de dépraver les cultures locales. Pour d’autres, c’est une expression des sociétés qui sont aussi déchirées.
Bwambale Mathieu, 21 ans, coiffé d’un bonnet, des casques enfoncés dans ses oreilles, traverse tout fier la rue d’ambiance, en plein centre-ville de Butembo, ce mercredi de juillet 2023. Son pantalon déchiqueté au niveau des genoux suscite trop de commentaires à son passage. Si certains pensent que ces déchirures sont dues à un accident de circulation, d’autres croient ferment qu’il s’agit d’un vieux habit qui ne l’honore pas. Pourtant ce n’est pas la réalité.
Pour Bwambale Mathieu, il s’agit d’un style vestimentaire en vogue et qu’il enfile fièrement depuis plus de cinq ans. « C’est un bon style. La plupart de mes habits ont des déchirures. Ces habits nous permettent de créer une différence avec d’autres personnes au niveau de l’esthétique et de l’apparence. C’est la mode », explique-t-il, avec un brin de sourire aux coins des lèvres.
La mode est aux habits déchirés
Ce style est souvent fait des T-shirts, pantalons, culottes ou pardessus en « Jeans ». D’après certaines sources, c’est vers les années 1970 que cet habillement existe sous le nom de « Luc-à-la-folie (lisez : Luk à la folie) ». Le style avait disparu à la suite des critiques des vieux qui l’accusaient de défier les cultures locales.
Il est réapparu et a emballé les jeunes au tour des années 2010. « Jâ Luk-à-la-folie avait cédé la place au style Patsanga. C’est vers les années 2013-2014 que la déchirure est encore réapparu », indique Kambale Christian Kasonia, vendeur des friperies. Nombreux qui enfilent ces habits disent imiter des grandes stars de la musique, de la télévision ainsi que des réseaux sociaux.
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Aujourd’hui, il colonise plusieurs couches de la population. Des filles comme des garçons l’adulent. La prénommée Francine qui se range parmi les femmes stylées confie que la déchirure c’est pour des stars. « Tu vois toutes les filles ne mettent pas ce genre d’habits… Moi je suis une star, c’est pourquoi je les mets », se félicite-t-elle.
Sur le marché, la « déchirure » est une bonne affaire. Jospin âgé de près de 19 ans et qui a son point de vente sur rue Denis Paluku, très concentré sur son téléphone pour le marketing sur WhatsApp explique que le prix de cet habit varie selon la qualité. « C’est une bonne affaire parce que le prix dépend aussi d’une personne à une autre. On regarde l’état de l’habit, la qualité du tissu ainsi que la marque. Si on connait la tendance, on s’en sort bien », s’enthousiasme-t-il.
Vendeuse dans une boutique dans la galerie Guangzhou, la prénommée Jissy témoigne qu’aujourd’hui les déchirures font parties des articles qui ne trainent pas sur l’étalage. « Elles s’écoulent rapidement contrairement à d’autres habits. Les filles, les garçons voire les enfants sont en train de les acheter. Nous pouvons vendre des dizaines d’habits avec déchirure par jour », fait-elle observer. Ici le prix varie entre 5 et 20 $ américains. Et le nombre des boutiques et points de vente de ces habits est croissant.
Expression des sociétés déchirées
Certains vont jusqu’à indexer cette mode de contribuer à la dépravation des mœurs. Ce que des jeunes qui adulent cet accoutrement rejettent. « Ce n’est pas porter ce style qui cause problème, mais plutôt la conduite de celui ou celle qui l’enfile. Plutôt que d’être catégorique, il faut un dialogue. Parce qu’aujourd’hui, les jeunes voient qu’ailleurs ces habits ne causent pas problème », défend Kasereka Siriwayo.
Kahindo Sihingirwa Honorata, Assistante à l’ISAM (Institut supérieur des arts et métiers), dans son étude sur les incidences de la mode vestimentaire sur les jeunes, constate que le jean déchiré est devenu une mode suivie par beaucoup de jeunes. « On ne s’arme plus de ses paires de ciseaux pour le réinventer. On l’achète déjà prêt », explique-t-elle.
Le chef de travaux Karongo Pantaléon, enseignant et chercheur en langues et cultures africaines indique que ce style peut être une expression des sociétés qui ont des déchirures dans leurs tissus sociaux, humains ainsi qu’au niveau des relations interpersonnelles.
Ce chercheur a l’impression que les jeunes ont un autre goût qui cache peut être leur propre déchirure interne. « Ils sont écartelés, ils ne savent plus à quel saint se vouer, ils sont comme dirait Vumbi Yoka Mudimbe entre les eaux », opine-t-il. Dans cette situation, s’habiller de cette façon se justifie.
« Ces jeunes sont en train de nous interpeler comme on le dit souvent : « Est le monde c’est lequel!» C’est devenu courant aujourd’hui quand les gens sont déçus ils se disent “est le monde c’est lequel”, c’est-à-dire le monde est devenu non-sens », indique-t-il. Selon le chercheur, il y a mutation de la culture, mais l’important c’est de comprendre le pourquoi.
Glodi Mirembe