De la peine pour des femmes mariées à travailler comme salariées


Sous prétexte de faire respecter la coutume, il est difficile de faire comprendre aux hommes que leurs épouses ont, elles aussi, le droit de travailler et de contribuer aux charges de la famille. Des associations ne parviennent pas à faire changer les avis des hommes ; la grande majorité des maris ayant peur de perdre leur domination… Et les femmes se résignent.

Visage renfrogné et indisposée à parler à quiconque, la prénommée Martine, une habitante de la commune Kimemi, (une commune de la ville de Butembo, à 300 Km au Nord de Goma, à l’Est de la RDC) a failli être répudiée de son foyer en début de janvier. Elle a accepté de travailler dans une organisation non gouvernementale sans l’aval de son mari. « Il m’a dit que ses amis vont se moquer de lui, en disant qu’il est incapable de supporter seul sa famille. « Je ne peux l’admettre», a-t-il tonné… », explique cette dame, larmes aux yeux, regard perdu. Mère de 2 enfants, Katungu Faida, elle n’a pas su convaincre son mari qu’elle veut travailler dans une boutique de vente d’habits. Ses proches sont intervenus, mais en vain.

Des blocages existent même chez certains employeurs, qui craignent d’embaucher une femme et surtout une femme mariée. « Tout le monde va crier que je la courtise », lance un opérateur économique de la ville de Butembo. La grande majorité des maris restent en effet très hésitants à laisser travailler leurs femmes.

Certains hommes qui accordent à leurs épouses la chance de travailler, les emploient directement dans leurs propres entreprises. Celles-ci deviennent des caissières et des vendeuses dans ces services de leurs maris. « Personne ne peut en ce moment-là apprécier tes compétences. Tu ne connaît même pas combien tu gagnes en termes de rémunération. Même ton époux ne sait pas apprécier le rôle que tu joue dans sa boutique. C’est seulement un passe-temps », se plaint Catherine Siviholya, mère de deux enfants, pourtant licenciée en sciences économiques. c’est seulement pour des travaux où on est son propre employeur comme labourer son champ ou élever des petits bétails que épouses pratiquent sans trop d’entraves de leurs maris.

Le mari, chef du ménage ?

C’est seulement pour des travaux où on est son propre employeur

Dans la ville de Butembo comme dans plusieurs coins de la RDC, la femme ne peut travailler que si elle y est autorisée par son mari. Les teneurs de cette conception se prévalent du code congolais de la famille à son article 448 : « La femme doit obtenir l’autorisation de son mari pour tous les actes juridiques dans lesquels elle s’oblige à une prestation qu’elle doit effectuer en personne ». Et, selon l’article 444 de ce même Code : « Le mari est le chef du ménage. Il doit protection à sa femme ; la femme doit obéissance à son mari ».

Des dispositions qui entretiennent une totale dépendance. « Mon mari est vieux et malgré cela, nous attendons tout de lui. Même quand il est sous perfusion ou sous anesthésie », explique la prénommée Madeleine, graduée depuis 3 ans en sciences accoucheuses. « Avant le mariage j’avais un emploi. Aujourd’hui, mon époux m’oblige à rester à la maison tout le temps avec des enfants. Je n’ai pas de choix… »,  s’indigne  Kavira Shangwe,  qui  vient  de  démissionner de son service de comptable d’une organisation non gouvernementale.

Lire aussi : La femme rurale au cœur de l’agriculture familiale en RDC

Pour des juristes, les victimes ont le plein droit de se plaindre au tribunal. Mais des femmes hésitent de déferler leurs époux en justice pour ne pas être taxée des femmes difficiles. Quelques associations de défense des droits de la femme tentent de sensibiliser les hommes, mais sans succès. Nombreuses femmes optent pour la stabilité de leurs ménages. « C’est pour mes enfants que l’on vit ensemble avec mon époux. Je ne peux pas les laisser seuls », explique la prénommée Justine, berçant son troisième fils.

Prétexte de la coutume

Même des hommes qui font étudier leurs épouses peinent à accepter que leurs femmes  travaillent après obtention du diplôme. « Pour qu’on me réduise en esclave ? », a toujours rétorqué un chauffeur de profession, à la demande de son épouse sollicitée à œuvrer comme infirmière dans une clinique à l’issue de ses études à l’ISTM (Institut supérieur des techniques médicales).

Ceux qui refusent à leurs épouses de travailler disent s’appuyer sur la  coutume et la culture locale. « La femme ne doit pas avoir d’initiative. Tout doit lui être dicté par moi et moi seul », pensent-ils. Un argument que rejettent des organisations de défense des droits de la femme. Elles insistent que ce n’est pas seul le travail de la femme qui est source de conflit dans les familles. « J’ai du travail, mais j’aime et je respecte mon époux », déclare Maître Maguy Panza, juriste membre de FJDF (Femmes juristes pour la défense des droits de la femme et de l’enfant).

Même son de cloche pour les rares maris qui ont des épouses qui travaillent. « La femme est aussi responsable du ménage. Il peut arriver que je devienne invalide. Si ma femme n’a pas d’emplois, on ne saura pas survivre. D’ailleurs quand la femme travaille on sait unir les efforts et aller de l’avant », rassure l’Evangéliste Léon Shahava, dans une prédication en marge de la journée de 8 mars.

D’autres maris tentent aussi de tempérer. « Si on évalue le travail de certaines femmes à la maison avec le suivi des enfants, les travaux ménagers, la lessive et autres vous vous rendez compte qu’elles contribuent aussi pour votre ménage. C’est un apport qu’on ne peut pas négliger », explique Georges Kisando, journaliste à Butembo et qui s’oppose toujours à ceux qui fustigent que leurs épouses sont sans emploie. « Quand vous travaillez avec une femme, travaillez en tenant compte de ses droits et de ses particularités. Elle doit devenir mère. Il faut la mettre dans les conditions qui lui permettent de réaliser son rôle de mère », conseille Eugénie Mastaki, enseignante et défenseure des droits de la femme.

Selon ces organisations, « La coutume  n’interdit pas à la femme de travailler. Ce qu’on lui refuse, c’est de prendre le dessus sur  son mari. C’est pourquoi tout ce qu’elle fait doit avoir l’aval de celui-ci », précise Maître Moïse Syaghuswa. Même si aucune disposition légale ne prohibe expressément l’autorisation maritale, cet expert en droit explique que cette forme de discrimination à l’égard de la femme est abrogée tacitement par la Constitution de la République Démocratique du Congo. Une préoccupation également présente dans la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes ratifiée par la RDC. Malgré ces textes, certaines femmes demeurent victimes.

Umbo Salama