Peu attractif, moins médiatisé et trop désordonné,… le championnat de football en RDC ne mobilise plus. Dans ce pays, des funs du ballon rond, pourtant loin d’Espagne, de Paris ou même de Berlin… se tournent vers le championnat européen.
Samedi 15 juin, la finale de la 58ème édition de la Coupe du Congo de football a vécu au Stade des Martyrs de la Pentecôte, à Kinshasa. L’Association sportive Vita Club, a remporté cette coupe (1-0) face au Football Club Céleste. A l’issue de cette compétition, le Président de la République, Félix Tshikekedi a remis des médailles aux athlètes des deux équipes ainsi que le trophée aux vainqueurs. Il a également remis un chèque de 100 000 $ à l’Association sportive Vita Club et celui de 60 000 $ au Football Club Céleste.
Mais l’évènement n’a pas connu assez d’engouement. Certains congolais n’étaient même pas au courant de la tenue de cette compétition. Pourtant grâce à cette coupe, l’Association Sportive Vita Club vient de décrocher son ticket pour participer à la deuxième compétition continentale des clubs organisée par la Confédération africaine de football (CAF).
Au cours du même mois, le samedi 1er juin, en Europe, s’était la finale de la Ligue des Champions. Tous les bars, terrasses, Nganda (bars locaux), et restaurants des différentes villes de la RDC étaient transformés en véritables stades. L’achat d’une bouteille de boisson donnait droit à une chaise, permettant ainsi aux clients de suivre le match dans une ambiance électrisante.
Même des salons des maisons des particuliers étaient bondés. Des billets de pari-foot se sont vendus comme des petits pains. « Pour un championnat congolais certains matchs n’interviennent même pas dans des paries. C’est pour quoi nombreux ne sont pas informés du déroulement de ces compétions », indique Valery Syaghuswa, qui ne rate jamais des matchs européens.
Trop de désordres dans le championnat national
Il y a plus de vingt ans, en RDC, des compétions nationales et locales mobilisaient tout le monde. Des stades bondaient du monde. Certains funs allaient jusqu’à parier contre leurs parcelles, maisons, voitures ou contre leurs objets les plus précieux… Des populations adulaient des joueurs nationaux et des jeunes n’hésitaient pas à s’attribuer leurs noms. « Nous avons connu l’émergence des noms comme Trésor en référence à Trésor Lualua ou à Trésor Mputu… », explique Hangi Ivaghe, qui dispense des cours d’histoire dans des écoles secondaires de Butembo. Aujourd’hui ce charme a laissé place à des compétitions européennes.
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En effet, l’attrait pour le football européen est profondément enraciné dans la culture locale. Les grands clubs comme Barcelone, Real Madrid ou Manchester United ont une base de supporters massive en RDC. Ce phénomène éclipse largement les clubs locaux qui peinent à susciter un enthousiasme similaire. Martial Bendelo, journaliste à la RTVH (Radio victoire horizon), une radio émettant à l’est de la RDC et capitaine de l’équipe de football des journalistes de Butembo, pense que cette démotivation se justifie.
« Nos compétitions ont toujours connu des désordres qui s’étendent jusque même dans des compétitions provinciales. On enregistre souvent des reports des matchs… Tel au tel autre club peut écrire qu’il ne sera pas disponible tel jour, alors qu’on a déjà publié le calendrier… Il est ainsi difficile que ce calendrier soit respecté. Ça démotive… Un fun peut s’attendre à un match et la veille on l’annule parce que telle ou telle équipe n’a pas effectué le déplacement ou parce que les arbitres ne sont pas disponibles. C’est décevant », regrette-t-il.
Pour dire qu’en RDC, l’amour du football a atteint de nouvelles proportions. Loin de Madrid et de Barcelone, de Paris ou de Berlin, le foot européen a réussi à conquérir les jeunes. Des noms comme Cristiano, Kylian Mbappe, Neymar, Messi… reviennent dans tous les débats et pronostics…
Pas de spectacles particuliers
D’un côté, des clubs congolais manquent de ressources financières pour attirer des talents de haut niveau ou pour investir dans la formation des jeunes. Les conditions de jeu et de vie des joueurs locaux sont souvent précaires. « Il y a carence des grandes figures sportives dans les compétions de la RDC. Pas de spectacles particuliers », souligne Eloge Muhiwa, un activiste pour les droits humains et qui a un goût du football.
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De l’autre côté, des infrastructures sportives sont souvent vétustes et mal entretenues. « Pas de stades modernes. Au même moment, il y a trop de casses, incidents et corruption… lors des différents matchs. C’est pourquoi nombreux préfèrent suivre les championnats d’Europe et ça fait du bien, même si c’est à la télévision. Il y a de l’ambiance entre supporters, des débats et surtout ici on connaît l’évolution des joueurs des différentes équipes », embraye Bienfait Chichibanji, membre du comité des journalistes sportifs du Nord-Kivu.
Pour pallier le problème de moyens financiers, la RDC tente de changer le format des compétitions, mais en vain. « On peut même avoir des petits moyens mais le transport cause aussi problème. Ce qui fait que de temps en temps on change le format du championnat. On dit par exemple regroupons des équipes selon les zones. Parce qu’on estime que ça peut diminuer le coût de transport, par exemple. Mais on se retrouve dans le même problème d’atteindre le lieu de la rencontre. Et on reste dans un éternel recommencement », explique Martial Bendelo.
La politique s’en mêle
Depuis un certain temps, en RDC, le football est intimement lié à la politique. Des clubs de football sont devenus des moyens pour se constituer une base politique et électorale. De nombreux politiciens s’impliquent dans les clubs pour renforcer leur image. Le football est également un espace d’expression politique. Des politiciens financent des clubs de football. Cela fonctionne parce que ces clubs ne bénéficient pas d’un soutien commercial ou étatique structurel ou suffisant.
Dans cette même perspective, Albert Malukisa Nkuku, démontre que le niveau de performance de certains clubs de football s’accroît quand l’équipe est sous la direction d’un politicien proche du parti au pouvoir. « Avant 2007, les performances de l’AS Vita Club étaient médiocres. Sous la direction du Général Gabriel Amisi (communément appelé Tango Four), l’équipe a remporté trois titres nationaux et s’est illustrée sur la scène internationale. Les joueurs se souviennent que son leadership leur a apporté une stabilité financière, avec des salaires réguliers et des fournitures en matériels », affirme ce chercheur.
Il en est de même sous le régime actuel de Félix Tshisekedi, qui utilise le football comme un outil politique. Les principaux clubs de Kinshasa (Daring Club Motema Pembe et AS Vita Club) ainsi que d’autres clubs évoluant en provinces, ont des présidents qui sont de proches du Président Félix Tshisekedi.
Des clubs eux-mêmes moins motivés
Pour plusieurs chroniqueurs sportifs, médiatiser des matchs au niveau national est également un défi. Les chaînes de télévision et les médias locaux diffusent des grandes compétitions européennes, qui attirent plus d’audience et de revenus publicitaires. Conséquence : le public est moins exposé aux talents locaux et aux compétitions nationales.
« Par exemple la Côte d’Ivoire diffuse déjà son championnat sur Canal+. Mais chez nous nous avons du mal à suivre notre championnat. Même notre propre chaine nationale a du mal de nous proposer le match. Et donc le match peut se jouer à l’insu du grand public », s’inquiète Martial Bendelo.
Aussi des clubs eux même ne sont pas motivés. Ils n’obtiennent presque pas de subvention. Et même des clubs qui se distinguent n’ont pas presque de récompenses. « Si on prend la LINAFOOT Par exemple, les équipes dépensent beaucoup d’argent mais la récompense est médiocre », indique Martial Bendelo. Dans cette même perspective, Gilbert Bwambale Muhanirya, délégué de la ligue de football du Nord-Kivu, embraye : « Imaginez, la LINAFOOT remet seulement 100.000$ au champion en ignorant tous les autres clubs. La coupe du Congo, 100 000$ au gagnant et 60 000$ au deuxième club. Tous les autres, même ceux qui sont arrivés aux quart de finale ne reçoivent même pas un petit dollars », fustige-t-il.
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Pour inverser cette tendance, nombreux pensent qu’il est crucial de moderniser les infrastructures, de professionnaliser la gestion des clubs, d’améliorer la couverture médiatique des compétitions locales et de promouvoir activement le football national.
« Il faut d’abord des sponsors pour nos compétions. Pour le football européen grand nombre de finances viennent des Emirats Arabes Unis. C’est donc important d’attirer ces genres de sponsors. Quand le gouvernement prenait en charge le déplacement des équipes, ça semblait marcher. Mais tellement notre pays est immense et le gouvernement ne met pas suffisamment de moyens, tout est encore bloqué. Aujourd’hui le pays n’a même pas de compagnie d’aviation, comment les équipes vont se déplacer », interroge Martial Bendelo. Pendant ce temps, le football congolais vit dans l’ombre du football européen et la seule fois où le ballon rond fédère et attire les funs, c’est lors de la Coupe d’Afrique des Nations… Si la RDC est qualifiée.
Umbo Salama