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Ces passerelles qui unissent les communautés du Rwanda et de la RDC

Ces passerelles qui unissent les communautés du Rwanda et de la RDC


La guerre et autres manipulations politiciennes ont tendance à diviser des populations de la RDC et du Rwanda. Pourtant, des communautés qui vivent à la frontière de ces deux pays partagent des éléments de cohabitation et de cohésion peu médiatisés et qui méritent d’être renforcés.

En novembre 2022, dans plusieurs agglomérations de la RDC, des gens ont manifesté pour, selon eux, soutenir les FARDC et dénoncer l’agression Rwandaise à travers la rébellion du M23 qui s’est emparé de plusieurs localités dans la province du Nord-Kivu, à l’Est du pays. Ces manifestants lançaient des cris et scandaient des chansons hostiles au régime du Rwanda. Des centaines de jeunes se sont même portés volontaires pour s’enrôler dans les FARDC (Forces armées de la République Démocratique du Congo) et combattre le M23.

Dans d’autres villes, des services de l’ordre et d’autres populations interpellaient des personnes qui parlent le Kinyarwanda ou qui ont une morphologie « Tutsi », les qualifiant des ennemis de la RDC. Une attitude qu’avait fustigée le commissaire provincial de la Police nationale congolaise de Kinshasa, le commissaire divisionnaire adjoint Sylvano Kasongo. « On ne peut pas arrêter quelqu’un parce qu’il a une morphologie différente de la nôtre. La stigmatisation est une mauvaise chose. Les rwandais ne sont pas tous nos ennemis. Nos ennemis sont connus », avait-il déclaré dans une communication à la police de Kinshasa.

Même son de cloche pour Chantal Faida, une activiste qui s’engage pour lutter contre la stigmatisation, conseille dans une interview sur la BBC que « nous devons dissocier les personnes qui ont intégré volontairement le mouvement rebelle et les communautés qui sont pacifiques et vivent avec nous depuis plusieurs années. Nous devons faire la part des choses et ne pas tomber dans le piège de l’ennemi qui voudrait saisir une opportunité de pouvoir pérenniser le cycle des violences ».

La faute à l’histoire ?

Selon plusieurs observateurs, la tension entre certaines populations congolaises et celles du Rwanda remontent depuis la guerre de l’AFDL (Alliance des forces démocratiques pour la libération) en 1996 ayant conduit à la chute du régime de Mobutu avec une forte implication sur le terrain de l’armée rwandaise. Depuis lors, plusieurs rébellions notamment du RCD (Rassemblement congolais pour la démocratie) en 1998, du CNDP (Congrès national pour la défense du Peuple en 1999 et maintenant du M23 en 2013 et en 2022, ont fortement plombé les relations entre les communautés de la RDC et du Rwanda dans la mesure où toutes les affres de ces guerres sont mises sur le passif du Rwanda et des Rwandais.

Dans plusieurs coins de la RDC, des Congolais se considèrent souvent comme des victimes des Rwandais. « Comment pouvez-vous nous demander l’état de nos relations avec celui qui nous agresse continuellement ? », s’énerve Kasoki Maliyasasa, une commerçante de Kirumba, au Sud de Lubero et qui s’approvisionne souvent en articles divers à Goma et à Bujumbura, au Burundi pour son commerce. Aujourd’hui, elle ne sait plus s’approvisionner dans ces villes suite à la guerre entre le M23 et les FARDC dans les territoires de Rutshuru et Nyiragongo.

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Dans cette perspective, Jean Morbert Senga, chercheur à Amnesty International demande de mettre une nette distinction entre ceux qui tirent profit de ces guerres et d’autres personnes qui ne connaissent ni les tenants, ni les aboutissants de ces violences. «  parmi les Rwandais ordinaires sont peu nombreux ceux qui trouvent leur compte dans cette folie.  Seuls quelques officiers militaires, hommes d’affaires et politiciens en tirent profit. On en dirait autant, d’ailleurs, pour les autres groupes armés soi-disant communautaires (Hunde, Nande, Hutu, Lega, Nyanga, Tembo, Shi, etc.), dont seule une poignée de manipulateurs sont toujours bénéficiaires », explique-t-il.

Des relations peu médiatisées

Pourtant, vers les années 1980 – 1990, les relations entre les communautés congolaises étaient meilleures. « En cette période, même pour la fécondité des vaches dans nos villages (territoire de Lubero vers Lukanga, à environs 17 Km au Sude de Butembo) on recourait aux vaches des Rwandais qui vivaient déjà dans ce milieu », se souvient Kakule Jérome, un notable de Lukanga. Un « paradis perdu » dans les relations entre les deux voisins, une période au cours de laquelle, selon plusieurs personnes, « ils allaient au Rwanda sans se gêner », parle avec humour Kambale Kivindi, ancien chauffeur sur la route Butembo-Goma.

Capture d’écran de Google Maps sur crtaines agglomérations de la RDC et du rwanda

Ceux qui vivent dans des milieux proches de la frontière de la RDC et du Rwanda témoignent des améliorations dans des relations entre les communautés de deux pays. A Goma, par exemple, les petits commerçants comme les travailleurs des douanes et autres services étatiques se réjouissent du flux des personnes et des biens dans les deux sens. Tout comme à Kibumba, à 30km au nord de Goma et à un jet de pierre de la frontière rwandaise, où les Rwandais offrent leur main d’œuvre agricole aux paysans congolais et où les mariages transfrontaliers sont fréquents. Comme le résume madame Jeannette Adidja, une commerçante au marché de Birere à Goma : « ces relations de proximité sont réelles, propres et visibles, même si on ne les médiatise pas autant que les relations superficielles entre les autorités », indique-t-elle avec sourire.

D’autres estiment que les relations entre les deux communautés dépendent des rapports personnels que l’on a au niveau du Rwanda. « Certains ont des familles au Rwanda, d’autres n’en ont pas », précise Marie Kyasingo, une étudiante de Goma en sciences politiques et administratives. Charles Mathe Kisughu, enseignant à l’Institut de Katwa, en ville de Butembo indique qu’il a déjà changé sa perception de la population rwandaise depuis qu’il a eu à participer à une rencontre avec différents ressortissants des pays des Grands-Lacs. « Ceux qui nous donnent une mauvaise image du Rwanda doivent nous demander pardon sincèrement. Aujourd’hui j’ai plusieurs amis dans ce pays, et cette amitié m’ouvre plusieurs opportunités », témoigne-t-il.  

Des passerelles à renforcer

Le long de la frontière avec le Rwanda une partie importante de la population partage le Kinyarwanda comme langue vernaculaire. « Au Rwanda on parle la même langue que nous. Nous sommes un même peuple divisé seulement par un accident de l’histoire », explique la prénommée Françoise Kayisavira, quarantaine d’âge et qui a passé une majeure partie de sa vie à Rutshuru. Aussi, ce sont les mêmes clans qui se retrouvent de part et d’autre des frontières.

Ces traits culturels sont renforcés par les mariages transfrontaliers, très fréquents à Kibumba et à Goma. « J’ai déjà assisté à un mariage entre une Rwandaise et un Congolais à la mairie de Goma. C’était merveilleux », indique Solange Kathina, rencontrée à l’hôpital Provincial du Nord-Kivu. Aussi, la tendance actuelle des radios de Goma, Nyiragongo et Rutchuru de produire des émissions en kinyarwanda et de jouer de la musique rwandaise sur leurs antennes est également un important facteur de rapprochement entre les communautés des deux pays.

Le commerce est un autre facteur de cohésion entre les populations transfrontalières, et cela crée une relation de confiance mutuelle. « Moi, j’achète des poules au Rwanda et je viens les revendre à Goma. Parfois je n’ai pas de capital et mes partenaires me donnent de la marchandise que je paie après la vente », témoigne Espérance Mihigo, une vendeuse de Goma. Sa consœur qui vend des tomates renchérit : « Chaque semaine nous organisons une tontine (« likilimba ») au Rwanda. Nous donnons un capital à tour de rôle aux femmes de notre secteur et tout se passe bien ». A l’ouverture de la frontière entre la RDC et le Burundi, après la baisse des cas de Covid-19, Mélance Maniragaba, journaliste Burundais, lance dans une conversation téléphonique : « Je suis très content car des commerçants congolais vont nous amener des dollars américains ».

La cité de Kirumba, au Sud de Lubero au Nord-Kivu

Le phénomène d’étudiants transfrontaliers fait partie de la réalité quotidienne à Goma. Chaque jour des élèves et des étudiants viennent de Gisenyi pour suivre leurs cours à Goma car censés être moins chers. Dans l’autre sens des enseignants congolais traversent régulièrement la frontière pour aller assurer des enseignements au Rwanda car censé payer mieux. « Il y a des enseignants rwandais qui étaient appréciés dans des universités même ici chez-nous en territoire de Lubero. C’est le cas de l’université de Lukanga », explique Léon Ngusu, un des ressortissants de cette université.

Des petits commerces, des cultivateurs journaliers, des voyageurs, ainsi que des étudiants et enseignants qui vont et viennent entre la RDC et le Rwanda… font parties des ponts à renforcer pour la cohabitation entre les communautés de deux pays. Le jour où la population aura intériorisé cette réalité, personne ne pourra plus se servir de l’instrumentalisation ethnique pour justifier ou essayer de légitimer les violences dans la région des grands lacs. Puisque de plus en plus de gens réalisent combien on est tous perdants dans la guerre, combien les guerres qui opposent les uns aux autres ont toujours leur manipulateur, au pays ou à l’étranger, qui en tire parti et qui a intérêt à ce qu’elles perdurent.

Umbo Salama