Le journalisme peut-il aussi sauver la planète ?


Le journalisme environnemental. Cette thématique s’intègre de plus en plus dans la sphère médiatique de beaucoup de pays d’Afrique. Mais nombreux sont des journalistes qui disent éprouver des difficultés à trouver des sujets dans ce domaine. Le jeudi 10 novembre 2022, pendant que se tenait à Charm-el-Cheikh, en Egypte, la Cop 27, le Forum Pamela Howard de l’ICFJ (International center for journalisme) sur le Reportage des Crises Mondiales, a organisé un webinaire sur comment proposer des sujets (pertinents) sur l’environnement, afin de pallier cette difficulté. Certains journalistes, de leurs côtés, ont accepté de nous partager leurs expériences dans le domaine de l’environnement.  

Merveille Saliboko en plein reportage dans une zone d’exploitation minière et forestière à l’Est de la RDC

Merveille Kakule Saliboko, est un journaliste basé à Butembo, à environs 300 Km au Nord de Goma, en province du Nord-Kivu, à l’Est de la République Démocratique du Congo. Depuis 2010, il s’intéresse à des thématiques de l’environnement, l’agriculture, la santé et le développement durable. « Une partie de mes études supérieures étaient en sciences de l’information et de la communication dans une université de la Conservation de la Nature et de Développement. Parmi les cours, certains se rapportaient à la Conservation de la Nature. En cette même période, un proche avait lancé à Butembo la Radio Soleil fréquence verte. Devinez la ligne éditoriale de ce nouveau média ? L’environnement ! Les étoiles s’alignant, j’ai intégré cette radio à son implantation à Butembo en décembre 2010. Depuis lors, je me meus à la fois dans l’environnement et les thématiques connexes comme la santé, l’agriculture », explique-t-il.

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Comme Merveille Saliboko, de plus en plus des journalistes intègrent des questions de l’environnement dans leur travail. Mais ce n’est pas encore fameux. « C’est un type de journalisme essentiellement axé vers l’enquête, donc loin des couvertures médiatiques qui produisent quelques subsides dans un contexte de pratique journalistique compliqué et de survie. Puisque l’enquête est onéreuse, dangereuse et longue, les adeptes du scoop s’en éloignent », indique Gaétan Bernard, journaliste camerounais et CEO du média Ecogreen-africa.

« Les rares fois où on parle de cette thématique c’est quand il y a une déclaration d’un acteur politique. Or, l’intérêt des journalistes pour une telle déclaration n’est pas la quintessence de la déclaration mais plutôt le « transport » qui est derrière. Le transport, c’est des billets de banque qu’on donne aux journalistes comme motivation », embraye Merveille Saliboko.

Pour nombreux des journalistes, c’est un travail qui vous rend fier surtout quand on traite des sujets peu reportés dans des médias, comme le dit ici Hervé Mukulu, un journaliste congolais, plusieurs fois récompensés pour ses articles sur l’environnement, la santé et même l’agriculture. « En novembre 2016 j’ai écrit un article sur les sauterelles pour le compte du magazine Afrique Agriculture. Quelques mois après j’ai écrit un autre article sur les abeilles pour le compte de infocongo.org. Ce travail m’a rendu fier et depuis je m’étais dit que c’est mieux que je traite plus des questions environnementales. C’est de cette façon que j’ai commencé à travailler sur des sujets peu reportés dans des médias. La fierté est aussi de contribuer à quelque chose de particulier », se réjouit-il.

Trouver l’angle, un casse-tête

Certains journalistes se justifient qu’ils ne trouvent pas assez d’angles dans le domaine de l’environnement. D’autres fustigent que les environnementalistes ne donnent rien en termes de sous pour recomposer le service rendu. Chose que réfute Denise Kyalwahi, fondatrice du média cent pour cent environnemental naturelcd.net. « Des sujets environnementaux sont très nombreux. Tout ce qui nous entoure, les cours d’eaux, les forêts, les animaux, les lieux publics… sont des sujets à exploiter. Nous avons aussi des chercheurs, universités, des services de tutelle, les habitants vulnérables des catastrophes naturelles et changement climatique, des livres et rapports des organisations environnementales,… où on peut trouver des bons sujets et angles », affirme-t-elle.

Hervé Mukulu, au Studio de la radio La voix de l’Université catholique du Graben

Pour Hervé Mukulu, il y a plusieurs défis dans ce domaine et qu’on peut traiter d’une manière ou d’une autre. Selon lui faut répondre à certaines questions : « Pourquoi ces problèmes ? Quelles sont les causes ? Quelles sont les conséquences ? Que peuvent être des solutions Pratiques ? », indique-t-il. Il ajoute que le domaine de l’environnement est encore vierge et donc peu exploité. Il suffit de trouver un angle très intéressant. Il donne l’exemple d’une mauvaise récolte alors que c’est la saison culturale. « On va se demander pourquoi il y a des mauvaises récoltes ? Et là on peut se rendre compte qu’il y a des incidences du changement climatique sur l’agriculture. On peut alors chercher des spécialistes à la matière qui peuvent envisager certaines solutions. Et de cette manière on peut trouver un sujet », conseille-t-il.     

Dans cette même logique, Merveille Saliboko indique qu’il faut d’abord avoir une passion sur les enjeux de l’environnement. Aussi, il faut être motivé par une bonne cause (pas les frais de transport). « Les sujets d’environnement sont tellement partout qu’on ne peut pas en manquer et nombreux sujets sont peu médiatisés : gestion des déchets en milieu urbain, gestion du sable des rivières,… Il y a d’autres sujets qui se trouvent en milieu rural. Il suffit d’aiguiser son intérêt : qui cherche, trouve », conseille-t-il. Gaétan Bernard, lui, a déjà développé un réseau de sources dans les zones où il mène des enquêtes. « Mais aussi j’observe beaucoup et je suis l’actualité environnementale de notre continent », précise-t-il.

Lors du 104ème webinaire du Forum Pamela Howard de l’ICFJ (International center for journalisme) sur le Reportage des Crises Mondiales, du jeudi 10 novembre portant sur « Comment proposer des sujets (pertinents) sur l’environnement », Augustine Kasambule, coordinatrice régionale du Rainforest Journalism Fund pour le Bassin du Congo au Centre Pulitzer, qui explique sur la pertinence de l’angle, prend l’exemple d’un éboulement sur un site minier. « Alors que tout le monde a tendance à rapporter les faits, à parler du nombre de morts,… un autre journaliste, peut choisir de faire la différence en se posant ces questions : Y-a-t-il eu une entreprise minière qui a travaillé sur le site avant les exploitants artisanaux ? Est-ce qu’il y a eu des études des impacts environnementaux qui ont été réalisées ? Quelles sont les conséquences de cette activité sur les communautés ? »… Et lorsque je propose cet angle à un éditeur il ne va pas refuser », rassure-t-elle.

Daouda Sow, rédacteur en chef de la télévision marocaine Medi1 TV pour le bureau de Dakar au Sénégal, aussi intervenant dans ce webinaire, conseille qu’il ne suffit pas seulement de parler des problèmes à chaque fois. « Au-delà des problèmes, il est possible de montrer aussi les solutions qu’il y a », embraye-t-il. Il indique qu’il est aussi important de voir ce qui a été déjà fait par les autres confrères sur la même question. Cela servira de base pour mieux préparer un sujet. « L’environnement est un domaine vaste ayant un lien avec la santé, l’agriculture, le transport,… On ne peut pas manquer de sujets à force de chercher », insiste Augustine Kasambule.

Prôner un travail collaboratif

Combiner plusieurs outils multimédias : données, cartographies, graphiques, vidéos, sons,…  renforce l’impact d’un article environnemental et augmente son audience. Dans ce sens Rainforest Journalism Fund a toujours privilégié un travail collaboratif. Des journalistes peuvent se mettre ensemble sur des sujets au niveau non seulement local mais aussi sur des sujets transfrontaliers. Par exemple vous aimerez raconter une histoire non seulement de façon simple, mais aussi évoquer des données. Et, celui qui peut vous aider pour que les lecteurs comprennent facilement ces données, c’est un journaliste qui vit dans une autre zone ou travail dans un autre média. Vous pouvez collaborer avec lui. « Un travail collaboratif c’est la somme de plusieurs intelligences. L’impact est beaucoup grand que si l’on avait travaillé seul », explique Augustine Kasambule.

Mais Merveille Saliboko hésite encore sur un travail collaboratif. « Il faut un degré de confiance qui doit s’installer pour faire de la collaboration. Car, les journalistes congolais sont tellement amis des politiciens qu’on ne peut pas facilement faire la collaboration. Si le sujet est sensible, un membre de l’équipe pourrait en parler à l’homme fort sur qui on enquête. C’est un risque qu’il faut prendre en compte car les journalistes et les médias ne sont pas indépendants. De nombreux médias sont mis en place par des politiciens. Je ne vois pas un journaliste scier l’arbre (politique) qui le nourrit, sur lequel il est assis », s’inquiète-t-il.

Pour Gaétan Bernard, la collaboration donne encore plus d’espoirs que de craintes. « C’est une satisfaction de travailler en collaboration parce qu’en même temps, nous partageons nos expériences et méthodes de travail. C’est plus que les ateliers auxquels nous participons souvent. Forcément, lorsqu’on est nombreux à travailler sur le même sujet, les acteurs qui cachent des choses et sont enclin à nous menacer reculent un peu et se montrent moins agressifs », indique-t-il.

« L’avantage d’un travail collaboratif c’est de ne pas être borné par sa seule manière de voir les choses », avance Hervé Mukulu. il ajoute que le journalisme environnemental demande aussi l’accès à plusieurs données ainsi qu’à plusieurs ressources et que la collaboration a plus d’avantage que de travailler seul. « Récemment j’ai travaillé les produits forestiers non lignés, PFNL. Au début, j’allais travailler seulement dans la zone de Beni, au Nord-Kivu. Mais quand je me suis mis au défis de le rendre national dans cinq provinces de la RDC, nous avons pu accéder à d’autres réalités, à d’autres personnes ressources, qui n’étaient pas à ma portée », raconte-t-il.        

Un travail de terrain

Quand on parle de l’environnement, nous sommes tous concernés car cela touche à l’eau que nous buvons, à l’air que nous respirons, au sol que nous exploitons pour l’agriculture, à nos sécurités alimentaires et à notre santé. « C’est une question de vie et de mort », insiste Kossi Balao, directeur du Forum Pamela Howard de l’International Center for Journalist (ICFJ) sur le Reportage des Crises Mondiales et modérateur de ce 104ème webinaire. Citant les études de « lancet planetary earth », Kossi Balao indique que la pollution de l’air, de sol et de l’eau cause trois fois plus des morts que le Sida, la tuberculose et le paludisme. Lorsqu’un journaliste couvre un enjeu aussi complexe, aussi sensible, aussi vaste que l’environnement, il faut s’assurer de proposer un sujet pouvant permettre au public de comprendre l’urgence de la situation.

Denise Kyalwahi, fondatrice du média en ligne Naturelcd.net

Des journalistes qui travaillent dans le domaine de l’environnement indiquent qu’ils sentent la contribution de leur travail dans la lutte contre le réchauffement climatique. « Nous faisons souvent bouger les lignes. Nous sommes régulièrement lus par les gouvernants qui tiennent compte de nos articles pour se remettre en cause », s’enthousiasme Gaétan Bernard. Dans ce sens, Denise Kyalwahi préconise d’intégrer dans des rédactions des desks dédiés à l’environnement. « Si on parle au moins une fois par jour dans nos éditions, en-dehors des émissions des organisations environnementales, nous allons vivre un monde meilleur que nous laisserons à la génération future », pense-t-elle.

Selon ces journalistes, ce qu’on gagne dans le journalisme environnemental, c’est la satisfaction d’un travail bien fait et le fait de donner la parole à des gens à qui on donne rarement de la parole avec le « journalisme politique ». « Au moment où les journalistes politiques courent vers les politiciens à cause du transport, vous vous prenez le sens inverse pour aller rencontrer les personnes impactées. C’est comme si vous donnez la matière aux politiciens pour venir s’enquérir de la situation que vous avez exposée », indique Merveille Saliboko.

Pourtant c’est un travail qui demande beaucoup de descente sur le terrain pour rencontrer différentes sources d’informations, une grande curiosité, rencontrer des experts. « Ce journalisme nous permet d’entrer en contact avec le monde scientifique. On est en contact avec les autres journalistes du monde. Il est vrai que nous perdons beaucoup d’énergie pour confronter les sources, mais ce qui est important est que quand il y a des appels à proposition d’article sur l’environnement là on se sent soulagée », explique Dénise Kyalwahi.

Gaëtan Bernard dans un reportage sur l’élèvage au caméroun, photo tirée de son compte facebook

Pour Gaëtan Bernard, dans ce domaine on ne gagne pas nécessairement en termes d’argent. « On gagne en expérience parce qu’aucune enquête ne ressemble à une autre. Le terrain est le meilleur espace d’expression du vrai journalisme et le journalisme environnemental est le meilleur moyen de se montrer performant. On perd peut-être les perdiems des ateliers mais ce n’est rien à côté de la satisfaction d’une bonne enquête », s’enthousiasme-t-il.

Eveiller la conscience

Pour la plupart des journalistes, il est difficile de quantifier l’impact d’un article environnemental. Mais dans l’immédiat c’est l’éveil de conscience du public. « Faire connaitre les problèmes et les réussites, voilà ce qu’on fait. Et si, à côté, il y a des gens qui agissent sur base d’un article et son contenu, alors c’est waouh », indique Merveille Saliboko.

Mais l’inquiétude est grande. Faire connaitre les problèmes et les solutions envisageables est une chose et amener les gouvernants à agir en est une autre. Si les décideurs ne se bougent pas, euh bien, la population n’est pas dupe. C’est elle qui choisit les dirigeants sur base des intérêts éclairés par les révélations des journalistes. « Le comble est que dans notre région, beaucoup de politiciens sont ceux qui incitent la population à occuper les aires protégées. Et malheureusement, on ne peut pas faire autre chose que d’exposer la situation. Le gros problème, c’est parce que les institutions judiciaires au pays ne fonctionnent pas correctement », s’inquiète-t-il.

Pour lui, chaque journaliste devrait a minima connaitre les bases du journalisme environnemental car la crise climatique concerne le monde entier. Si les problèmes environnementaux ne sont pas identifiés et les solutions possibles envisagées et explorées, alors on va subir de plein fouet les changements climatiques. Et chaque personne, d’une façon ou d’une autre, sera impactée. Les journalistes ont un grand rôle à jouer. Pourtant les journalistes spécialisés dans les thématiques environnementales sont encore peu nombreux. « Parce que plus nous serons nombreux, mieux le monde se portera s’il tient compte de nos sujets », souhaite Gaëtan Bernard. « Il s’agit d’un journalisme qui permet d’éveiller la conscience surtout quand le sujet est bien traité, avec des preuves, des bonnes données, des sources pertinentes et de cette manière ce journalisme permet aussi de protéger l’environnement », conclut Hervé Mukulu.

Umbo Salama


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