A Butembo, des victimes des violences en ligne hésitent encore à porter plainte


Depuis un certain temps, en ville de Butembo et ailleurs, certaines femmes et jeunes filles subissent des violences, insultes, humiliations, intimidations, menaces ainsi que du sexisme à travers des réseaux sociaux. Parmi ces femmes et filles, nombreuses hésitent encore à porter plainte ou à dénoncer ces actes.

Kavira Kasoki (Nom d’emprunt) est l’une des victimes du cyberharcèlement en ville de Butembo. Il y a une année, à deux mois de son mariage, des photos qui l’exposent nues ont circulé dans les réseaux sociaux. Son fiancé a directement annulé le mariage. « C’était une grande humiliation. Je pouvais même me suicider. Grâce à Dieu j’avais surmonté cette douleur », se rappelle-t-elle encore amèrement comme si c’était hier. Elle a encore du mal à identifier avec exactitude l’auteur de cet acte.  

Comme elle, plusieurs femmes et jeunes filles sont souvent victimes de ces actes de cyberviolence. Selon Maître Magguy Panza, du FJDF (Femmes juristes pour la défense des droits des femmes et des enfants) les auteurs de ces actes se sont déjà constitués en réseaux qu’ils appellent « Brulement ». « Leur objectif est de publier des vidéos et des images des femmes, des positions compromettantes, des humiliations ainsi que des insultes contre telle ou telle autre personne. Des victimes sont en grande partie des personnes qui ne cèdent pas à leurs chantages et menaces », indique-t-elle.

Une dame qui est une des victimes, qui a voulu rester anonyme, témoigne : « Un dimanche soir, je reçoit un message sur mon WhatsApp. Ce message m’exige de déposer 200 dollars à son numéro. Puis le deuxième message qui disait que si je refuse mes images et vidéos où je suis nue vont finir sur les réseaux sociaux. Une heure après, le même numéro m’envoie la première photo. Cette image m’a bouleversée. Et j’ai cédé à ce chantage », témoigne-t-elle.

Mais, le bourreau ne s’était arrêté. « Il commençait à m’envoyer ces messages presque chaque mois : une forme de harcèlement. Et l’unique jour où je n’ai pas cédé à ses demandes, mes photos avaient fait la une des réseaux sociaux. Mais j’ai compris que céder aux chantages ne veut pas dire qu’on échappe à ces bourreaux », pense-t-elle.  

Des bourreaux souvent proches des victimes   

Richard Taghembwa, qui mène une étude sur l’ampleur du cyberharcèlement au Nord-Kivu, indique que ces actes affectent principalement les femmes et jeunes (filles et garçons) qui passent beaucoup de temps sur les réseaux sociaux. « Il arrive que des copains se partagent des images de leurs parties intimes. En cas de rupture, certains ont souvent tendance à humilier leurs copines avec la publication de ces images. C’est ce que nous appelons « pornorevenges ». Donc la vengeance par des images de nudités », explique la prénommée Sophie, proche d’une des victimes de ces cyberattaques.

Ces attaques arrivent aussi suite aux difficultés de manipulation des téléphones androïdes. « De fois quand on demande une assistance, certains profitent pour télécharger vos données et même se connecter à votre compte. Pour dire que les bourreaux des cyberviolences sont souvent proches des victimes », embraye Julien Kabuyahya, enseignant et chercheur en sécurité numérique.

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Pour Eugenie Musivirwa, animatrice de l’émission « tribune femme » à la Moto TV, nombreux minimises ces violences dans la société. Pourtant elles sont aussi à la base de certains. « Elles ont déjà conduit à des séparations des foyers ou même à des divorces, à des conflits entre des individus, à des pertes de travail. Certaines filles finissent par abandonnés les études. D’autres sont contrains de quitter leurs milieux pour aller vivre ailleurs », s’inquiète-t-elle.

Même son de cloche pour Habarirdc. Cette plateforme des bloggeurs de la RDC soutient que « ces violences en ligne, bien qu’invisibles ou banalisées, ont des conséquences graves dans la société telles que l’autocensure, retrait des espaces publics numériques, atteinte à la santé mentale, frein à la participation civique et politique, et parfois même des impacts sur la sécurité physique ».

La honte limite des dénonciations

De leurs côtés, des victimes disent que se plaindre à la justice c’est encore s’exposer d’avantages. Pour elles, ces infractions violent déjà leur pudeur et leur dignité. Et c’est la nudité qui est plus publiée. « C’est déjà une discrimination sociale qui pousse déjà la victime à se replier sur elle-même. C’est cette honte qui pousse les victimes à ne pas réclamer leurs droits », explique Maître Hangi Ranulph, avocat au barreau de la Tshopo.

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L’autre problème, c’est l’absence des juridictions spécialisées pour traquer des infractions sur les numériques. Dans la zone, il n’existe pas de police numérique. « En RDC il n’y a pas des cartes SIM se vendent comme des petits pains. Il arrive qu’on revende des cartes SIM qui ont des identifiants d’autres personnes. C’est aussi un problème qui peut pousser à ce que les victimes du sexisme sur internet ne puissent pas porter plaintes », explique Kahindo Amisi, une étudiante en droit public et privé.

Pourtant des lois existent

Depuis mars 2023, la RDC s’est dotée d’une loi sur les numériques. Mais, le comble est que cette loi n’est pas connue de tous. Aussi certains articles du code pénal peuvent aussi punir les bourreaux de ces cybersexismes. « Par exemple injurier quelqu’un sur les réseaux sociaux, diffamer, vie privée, imputation dommageable et la plainte peut être déposée normalement. Mais il faut avoir suffisamment des preuves », ajoute le juriste.

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Pour lui, la lutte contre les violences sexistes et les violences basées sur le genre dans le numérique demande une forte sensibilisation et une implication toutes les couches de la population. Car pour dénoncer, il faut d’abord connaitre ses droits. « Le plus grand problème ici c’est d’abord le mauvais usage des téléphones avec toutes ses fonctionnalités, mais aussi la maîtrise du code du numérique en RDC ». Selon un agent au tribunal de grande instance de Butembo indique que certaines femmes ont commencé à traduire au tribunal de ces violences et certaines obtiennent parfois gain de cause. « C’est déjà un exemple pour limiter ces violences », assure-t-il.      

Umbo Salama


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