RDC : Des nouvelles semences pour sauver la culture de la pomme de terre au Nord-Kivu


La pomme de terre est devenue un aliment quotidien et accessible à toutes les familles de la ville de Butembo, dans la partie orientale de la RDC. Autrefois, c’était un menu de fête. Il est ainsi un des piliers de l’économie agricole du Nord-Kivu. Grâce à une collaboration entre chercheurs, ONG, gouvernement et des paysans, la culture de la pomme de terre retrouve un nouveau souffle.

Ce reportage d’Hervé Mukulu a été réalisé grâce à l’appui de Pulitzer Center Reporting on Crisis.

C’est dans son champ que nous reçoit Maman Kakuva Marie Thérèse, cultivatrice à Kitsuku, en territoire de Lubero. Cette sexagénaire, mère de dix enfants, estime récolter environ 500 kg pour cette saison culturale dans un espace d’environ un hectare. Un bon rendement, selon ses dires, qu’elles et ses proches ne parvenaient pas à réaliser dans leur jeunesse. « Aujourd’hui nous produisons plus. Avant nous ne connaissions pas les bonnes pratiques de culture. Nous recevons de bonnes formations qui nous permettent de produire mieux », se félicite-t-elle.

Kakuva Marie Thérèse cultive les variétés telles que carolus, Koaki et carolus rouge, fournies par le SYDIP (Syndicat de défense des intérêts paysans). « Comme dans ce champ, j’ai planté 400 kg de Carolus et j’attends récolter 4 000 kg », indique-t-elle.

Comme elle, son voisin Katsuva Mayele a aussi adopté la variété Carolus. Ce choix est lié au fait qu’elle a connu des échecs avec la varité Kinigi qui ne s’adaptait pas dans son milieu. Avec Carolus, cet agriculteur, également instructeur dans une école locale, témoigne qu’il fait des bons rendements. « Grâce à cette culture, j’ai acheté un champ… Et par saison, avec mes récoltes, je peux gagner jusqu’à 1500 dollars américains », se réjouit-il. Katsuva Mayelé souligne toutefois que les périodes pluvieuses demandent plus de vigilance.

Même son de cloche pour Kazungu Wakalasalya « J’ai construit une maison grâce à la pomme de terre » dixit fièrement Kazungu Wakalasalya qui pratique cette culture depuis 2008. « Aujourd’hui la production a augmenté car nous avons adopté des pratiques agricoles qu’on ignorait », affirme-t-il. Pour accroitre son rendement, M. Kazungu a remplacé l’ancienne variété Kasumbu par des semences comme carolus, Kinigi et Koaki, plus adaptées dans sa zone. Ses gains lui ont permis d’acheter trois parcelles, une moto et de construire une maison.

Améliorer la sécurité alimentaire

Selon la FAO, la pomme de terre est l’un des tubercules clés de la RDC : 101 000 tonnes produites en 2018, mais 610 000 USD importés en 2023. Riche en amidon, elle fournit une énergie facilement assimilable. Sa réussite exige un itinéraire technique rigoureux : préparation du sol, apport organique, fertilisation raisonnée et buttage pour protéger et améliorer le rendement.

Néanmoins, trois grandes menaces pèsent sur la production : le mildiou, le flétrissement bactérien et les maladies virales. Face à la dégénérescence des anciennes variétés, souvent héritées de l’époque coloniale, le CERAVEG (Centre de recherche agronomique et vétérinaire du Graben) crée de nouvelles lignées à haut rendement.

« La plupart des variétés qu’on cultive aujourd’hui dans la région datent de l’époque coloniale. Avec le temps, elles accumulent des infections et leur productivité décline », explique le professeur Charles Valimunzigha, directeur du CERAVEG. Selon ce chercheur, il est ainsi rare pour un paysan d’atteindre 10 tonnes sur une surface d’un hectare avec les anciennes variétés. Et que des nouvelles lignées vont jusqu’à dépasser 20 tonnes à la production, même dans des champs des paysans.

Pour y arriver, il faut passer par un long processus. La sélection commence avec plus de dix milles plantules issues d’une hybridation. « Chaque lignée est suivie séparément jusqu’à la récolte », précise le chercheur Valimunzigha. Celles qui combinent résistance et rendement élevé sont conservées pour les essais ultérieurs. « Ce n’est pas un travail d’une saison », insiste le chercheur.

Lire aussi : RDC : Quand l’éducation scolaire nuit à l’agriculture…

Un autre frein s’impose : le sol. Même avec des semences de qualité, l’épuisement des terres freine la production. « Nous avons utilisé nos terres pendant des décennies sans jamais leur restituer les éléments minéraux que nos récoltes en extraient », explique le Professeur Charles Valimunzigha. « Les tubercules, riches en éléments minéraux, sont extraits du sol… Une fois consommés, les résidus ne sont jamais réintégrés dans les champs », constate-t-il.

Pour les chercheurs du CERAVEG, la clé réside dans une combinaison entre la semence améliorée, les pratiques durables et la fertilité du sol. « En RDC, le rendement moyen est de 5 tonnes à l’hectare selon la FAO. Pourtant, avec des semences de qualité et des intrants adaptés, on peut atteindre jusqu’à 40 tonnes à l’hectare, comme en Europe », ajoute le M. Charles Valimunzigha. Pour dire que l’amélioration de la production agricole ne repose pas uniquement sur la qualité de la semence.

L’autre problème réside au niveau des érosions. Des nombreux champs se trouvent dans des pentes et les eaux de pluies emportent les particules riches en minéraux. « Les variétés améliorées sont gourmandes en éléments fertilisants. Sans ces intrants, elles ne peuvent pas exprimer leur plein potentiel de rendement », insiste-t-il.

Pour maintenir le sol fertile, Charles Valimunzigha suggère la culture des légumineuses entre saisons culturales de la pomme de terre. « On peut par exemple semer du haricot ou du pois… Ces plantes captent l’azote atmosphérique et leurs résidus produisent du nitrate pour enrichir le sol ».

Assainir les variétés locales

Un document technique de l’INERA (Institut national d’études et recherches agronomiques) met en lumière les forces et limites des deux grandes familles de semences utilisées en RDC : les clones améliorés produits localement (N’simire, Enfula, Gahinga) et les semences importées depuis le Kenya, l’Ouganda ou l’Europe.

Côté rendement, l’écart n’est pas énorme : 20 à 35 tonnes par hectare pour les clones locaux, contre 25 à 40 tonnes pour certaines semences importées. L’avantage des variétés de l’INERA réside dans leur adaptation au climat. Elles sont pensées pour les zones humides et d’altitude, là où les variétés importées affichent parfois une adaptation plus faible.

Lire aussi : La femme rurale au cœur de l’agriculture familiale en RDC

Autre point fort des clones congolais : leur disponibilité. Ils sont accessibles via l’INERA et ses partenaires, alors que les semences importées restent coûteuses (douanes, stockage spécifique) et parfois irrégulières dans leur approvisionnement. Pour les producteurs, la différence est nette. Le coût des clones locaux est abordable, contre un prix élevé pour les semences importées.

Comparaison des performances entre clones locaux de pomme de terre produits par l’INERA et semences importées. Les variétés locales offrent une meilleure adaptation au climat et un coût plus abordable, tandis que certaines variétés importées affichent un potentiel de rendement légèrement supérieur mais nécessitent plus d’intrants et un suivi technique renforcé.

Si certaines variétés importées résistent mieux au mildiou, les clones locaux quant à eux conservent une tolérance moyenne. Les producteurs apprécient particulièrement leur goût, leur rusticité et leur capacité de conservation. L’acceptabilité des variétés importées est bonne, mais elles exigent une formation plus poussée pour être exploitées pleinement.

Lire aussi : Faits maison, des champignons boostent l’économie des ménages au Sud de Lubero

Les clones locaux offrent ainsi un excellent compromis entre productivité, résistance et accessibilité. Les semences importées peuvent séduire par leur potentiel de rendement, mais leur coût, leur moindre adaptation et leurs besoins techniques plus élevés les rendent moins compétitives dans les systèmes agricoles locaux. Selon l’INERA, dans la plupart des cas, les clones N’simire, Enfula ou Gahinga sont à privilégier pour garantir stabilité et résilience des exploitations.

Dans le cadre du Programme d’appui au secteur agricole au Nord-Kivu (PASA-NK), un programme du gouvernement congolais financé par le FIDA, un laboratoire pourra bientôt commencer à produit des  vitroplants et mini-tubercules pour assainir les variétés locales. « À travers ces techniques, nous allons régénérer les anciennes variétés et augmenter leur rendement », affirme le professeur Charles Valimunzigha.

Traditionnellement, la pomme de terre est une culture des zones tempérées et d’altitude. Mais la recherche a changé la donne. « La recherche a permis de développer des lignées capables de s’adapter à des environnements moins favorables. J’ai même vu de la pomme de terre cultivée à Kinshasa, dans des conditions très différentes de celles du Kivu », témoigne le professeur Charles Walimunzigha, directeur du CERAVEG. Ces nouvelles lignées ouvrent la voie à une culture plus diversifiée. Avec des semences améliorées, des nouvelles pratiques et des politiques agricoles cohérentes, la pomme de terre peut devenir un levier stratégique pour la souveraineté alimentaire en RDC.

Hervé Mukulu


Laisser un commentaire