Face aux chenilles ravageuses, des chercheurs proposent des semences améliorées de maïs


Voraces et insaisissables, les chenilles légionnaires déciment les champs. Mais dans les collines fertiles du Nord-Kivu, la riposte s’organise, portée par des semences locales, améliorées et résilientes. Reportage d’Hervé Mukulu réalisé grâce à l’appui de Pulitzer center.

Héritier Mbusa est un ingénieur agronome et enseignant en sciences agronomiques à l’UCG (Université catholique du graben) à Butembo, au Nord-Kivu. Il focalise ses recherches sur des variétés de maïs pouvant résister aux chenilles légionnaires. Selon ses recherches, depuis leur arrivée en Afrique en 2016, les chenilles légionnaires s’installent dans plusieurs régions agricoles. En RDC, elles prospèrent particulièrement dans les hautes terres de la partie orientale du pays. « Le climat tropical humide de notre région est idéal pour la survie de ces chenilles ainsi que pour leur reproduction », explique l’ingénieur agronome Héritier Mbusa.  

La chenille légionnaire entre les mains d’un agronome © Photo Greenafia

La chenille est la forme larvaire d’un papillon capable de parcourir de longues distances à la recherche de conditions favorables. Ce qui facilite sa propagation. L’arrivée de ces chenilles dans la partie Est de la RDC coïncide avec l’introduction de variétés hybrides des semences de maïs entre 2015 et 2017. Parmi ces nouvelles variétés figurent la célèbre Bazooka, appréciée pour son rendement. Pourtant trop sensible aux maladies et aux insectes. Beaucoup de paysans associent donc l’arrivée de la chenille avec l’introduction de ces variétés de Maïs. « Mais il est difficile de le prouver. Il vrai que les variétés hybrides donnent un bon rendement, mais elles sont souvent moins résistantes aux ravageurs », nuance le chercheur Héritier Mbusa.

Il poursuit que les chenilles attaquent surtout les céréales comme le maïs et d’autres plantes. Leur entrée a été favorisée par des échanges commerciaux, notamment des semences, ou par des conditions climatiques propices à leur dispersion. « Les variétés sucrées sont les plus attaquées, en raison de leur teneur élevée en sucre. Lorsque vous mangez les graines de Bazooka, vous remarquez une douceur particulière. C’est ce qui attire les chenilles. Mais, le maïs pop-corn ou fariné attire moins les insectes », fait remarquer le chercheur.

Entretien dans un champ expérimental  de maïs entre  le chercheur Héritier Mbusa (En lacoste) et le journaliste Hervé Mukulu (en chemise) © Photo GreenAfia

« Atteindre 5 à 6 tonnes par hectare »

Les chenilles légionnaires s’attaquent aux feuilles, réduit la photosynthèse et condamne les plants à produire moins. Les pertes peuvent atteindre 45 %. « Si tu devrais récolter 100 kilos, tu peux finir avec seulement 55 kilos », illustre Héritier Mbusa. Il y a encore quelques années, son nom faisait trembler les paysans. La chenille légionnaire a ravagé des cultures de maïs à travers l’Afrique. Apparue en RDC autour de 2017, elle a compromis la sécurité alimentaire dans plusieurs provinces de l’Est, où le maïs est un aliment de base.

Dès 2017, le magazine Afrique Agriculture alertait déjà : « Des paysans déplorent et se trouvent désarmés face à l’attaque de leur culture par des chenilles d’origine brésilienne. Une famine accrue est à craindre… » Aujourd’hui, si la menace persiste, elle ne provoque plus la même panique. Grâce aux recherches scientifiques et à l’introduction de nouvelles semences résistantes, souvent soutenues par des organisations non gouvernementales partenaires du gouvernement, l’agriculture locale commence à s’adapter. « L’adoption de semences améliorées, adaptées au contexte local et résistantes aux ravageurs, offre une voie d’espoir », rassure le chercheur.

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À Luotu, à une quarantaine de Km au Sud-est de Butembo, la CONCENKI (Coopérative centrale du Nord-Kivu) s’attaque au problème à la racine : produire localement des semences certifiées et adaptées au terroir. « Beaucoup d’agriculteurs utilisent encore des semences dégénérées, transmises de saison en saison. Notre objectif est de remettre sur le marché des semences fraîches, certifiées et adaptées », explique Bailo Katsongo, directeur de la coopérative.

En partenariat avec le Centre international pour l’amélioration du maïs et du blé (CIMMYT) basé au Zimbabwe, CONCENKI reçoit des semences de pré-base, les multiplie en semences de base sur le site du CAPSA (Centre d’adaptation des produits du secteur agricole) à Luotu, puis les confie à des agri-multiplicateurs. « Une seule saison agricole suffit pour passer de la pré-base à la première génération (R1) », précise Bailo Katsongo. Le Service national de certification des semences (SENASEM) supervise chaque étape.

Grâce à cette relance semencière, la production moyenne est passée de 1,5 tonne à 3,3 tonnes par hectare. Elle peut même aller jusqu’à plus de 4 tonnes dans certaines zones comme le territoire de Rutshuru. Pour cette coopérative, l’objectif est d’atteindre 5 à 6 tonnes par hectare grâce aux semences certifiées, à l’encadrement technique et à la modernisation des pratiques. Mais la demande reste largement supérieure à l’offre. « Il y a encore des importations, ce qui signifie que la demande est bien plus forte que l’offre », reconnaît-il.

Pour réduire la dépendance aux hybrides importés, CoNCENKI mise sur les variétés composites ZM625 et ZM627. « Les hybrides donnent de bons rendements, mais ne peuvent pas être ressemés sans perte. Les ZM, elles, peuvent être replantées deux à trois fois sans chute significative des rendements », souligne Katsongo. Autre avantage : « elles produisent une farine blanche, préférée dans la cuisine locale ».

Ce graphique compare trois variétés de maïs cultivées au Nord-Kivu selon deux critères clés : le rendement moyen (en tonnes par hectare) et la durée du cycle végétatif (en jours). On observe que Bazooka présente le rendement le plus élevé, mais un cycle plus court, tandis que ZM625 et ZM627, issues de la recherche locale, offrent une meilleure adaptabilité et une tolérance supérieure à la sécheresse.

Le calendrier agricole s’en mêle

En fin de palper les réalités des recherches menées sur les champs agricoles, le journaliste Hervé Mukulu a accompagné une équipe de la CONCENKI (Coopérative centrale du Nord-Kivu) à Luotu. Cette coopérative encadre des paysans dans la culture de maïs. Elle a ses parcelles d’expérimentation dans les enceintes du CAPSA. Pour cette coopérative, le constat est net : « Le maïs est une culture qui exige beaucoup d’eau. Sa production dépend directement de la régularité des saisons pluvieuses », explique Bailo Katsongo, directeur de la CONCENKI.

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Dans les années 1950–1960, des calendriers agricoles de l’époque coloniale donnaient certains repères. Pour la saison de mars, les semis s’étendaient du 15 février au 25 mars. Pour la saison de septembre, on démarrait autour du 15 août. Aujourd’hui, ces repères ne tiennent plus. « Ces dates ne coïncident plus. Il faut des recherches pour redéfinir un nouveau calendrier agricole », indique Bailo Katsongo. Faute de stations météo locales fiables, beaucoup de paysans sèment après une averse isolée… qui n’est pas suivie. « Ils se fient à l’ancien calendrier, pourtant déphasé », déplore-t-il.

Face à ces dérèglements, la nécessité d’une planification climatique à long terme est urgente. « Avec une station météorologique régionale fonctionnelle, on pourrait fournir des prévisions couvrant toute l’année, avec des périodes de forte ou faible pluviométrie », souligne Bailo Katsongo.  

Pas encore éliminées mais maîtrisées

Pour se défendre contre les chenilles légionnaires, beaucoup de paysans se tournent vers les insecticides de synthèse. Efficaces mais coûteux et posent aussi des risques pour la santé et l’environnement. L’enseignant Héritier Mbusa plaide pour des approches plus durables : rotation des cultures, cultures intercalaires et traitements à base de produits locaux comme le tabac, l’ortie, le piment, la cendre de bois ou le titonia. « Ces méthodes simples réduisent la pression des ravageurs sans nuire à l’environnement. Mais elles demandent formation et suivi », insiste-t-il.

Pour Bailo Katsongo, la bataille contre la chenille et pour de meilleures semences ne se joue pas seulement dans les champs. « Ces producteurs vivent du maïs. C’est leur culture principale. Elle leur permet de nourrir leurs familles et de générer un revenu stable », insiste-t-il. Son plan est ainsi de former, encadrer et suivre les producteurs de près. « C’est à ce prix que nous pourrons réduire les importations et positionner notre production à l’échelle régionale ».

Mais un fait est vrai, les agriculteurs doivent composer avec ces ravageurs pour longtemps. Entre semences adaptées, gestion intégrée des cultures et suivi climatique, la lutte contre la chenille légionnaire peut s’inscrire dans la durée. Au stade actuel, il ne peut donc être éliminé mais maitrisé.

Hervé Mukulu


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