Quand l’accès à l’énergie électrique améliore l’entrepreneuriat agroalimentaire à l’Est de la RDC


Dans le nord-est de la République démocratique du Congo (RDC), la nouvelle centrale hydroélectrique de Butembo, opérationnelle depuis 2017, a redonné des couleurs à l’entreprenariat local. Que ce soit pour faire du pop-corn, de la bouillie contre la malnutrition ou pour construire une chambre froide, cet accès à l’énergie est vital. Hervé Mukulu a rencontré des acteurs de ces entreprises.

Serge Kambale est détenteur d’une alimentation en ville de Beni. Son principal produit est le jus frais de Maracula, fait maison. Comme lui, de nombreux jeunes entrepreneurs font maintenant de bonnes marges en épargnant de colossales dépenses jadis affectées à l’énergie. « Avant, pour l’énergie du groupe électrogène, je dépensais 50 dollars américains le mois. Mais aujourd’hui avec ENK (Énergie du Nord-Kivu), je dépense autour de 17 dollars », s’enorgueillit-il.

Médard Kakule, responsable de la FENAPEC (Fédération des petites et moyennes entreprises en ville de Butembo), lui, parle d’une aubaine pour les entrepreneurs et surtout les jeunes. « Des cabines de recharges téléphoniques, des alimentations, des ateliers d’ajustage métallurgique, des menuiseries, des salons de coiffure commencent même à fonctionner la nuit. Ce courant est un vrai avantage pour les entreprises. Je ne sais combien sont nées avec, mais elles sont vraiment nombreuses », reconnait ce président du Syndicat des petites et moyennes entreprises.

L’énergie hydroélectrique booste l’entrepreneuriat à l’Est de la RDC © Photo hervé Mukulu

Un des atouts pour l’entrepreneuriat des jeunes   

Il y a près de cinq ans, l’énergie hydroélectrique n’était qu’un mot dans les livres scolaires du million et demi d’habitants des villes de Beni et Butembo au Nord-Kivu, dans l’Est de la République démocratique du Congo (RDC). Depuis 2017, une centrale hydroélectrique est opérationnelle à Butembo. Elle fournit cette dernière et sa voisine Beni en courant électrique. Cette énergie a changé la donne dans plusieurs secteurs et en particulier pour l’entreprenariat des jeunes en agroalimentaire.

Sur cette même lancée, Edgard Mateso, vice-président de la société civile du Nord-Kivu, embraye : « L’électricité a toujours été une opportunité pour les jeunes à pouvoir trouver de l’emploi ou à mener leurs activités autour de ceux qui en ont, dit-il. Cela les occupe pour ne pas aller côtoyer les groupes armés ou céder aux antivaleurs. Cette énergie électrique va certainement participer à l’amélioration de la situation socio-sécuritaire ici chez nous », assure-t-il.

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La cité de Lubero, chef-lieu du territoire éponyme au Sud de Butembo, a une histoire particulière avec l’énergie hydroélectrique. Il y a près de trois décennies, une microcentrale hydroélectrique avait été installée dans cette cité. Son plus grand atout a été son apport dans la lutte contre la maladie de kwashiorkor dans plusieurs villages des hautes terres de Lubero. Grâce à ce courant, une association locale a installé un moulin dans cette cité pour moudre les grains de maïs, de blé, de soja et aussi les cossettes de manioc.

Avant l’électricité, des femmes recouraient à ces techniques pour moudre le mil, blé et autres céréales © Photo Robert Mwendera

Utilisé dans le foufou (un plat régional traditionnel), le mélange de ces farines permet de lutter contre la malnutrition. « Il y avait trop d’enfants qui souffraient du kwashiorkor. La farine de manioc n’est pas suffisamment nutritive. Il fallait y ajouter le maïs, le mil et le soja qui étaient désormais disponibles grâce au moulin. En les mélangeant dans le foufou, le résultat a été le même que celui obtenu avec les produits qui étaient importés pour lutter contre la malnutrition », se rappelle Jeanne Kati, membre de cette association locale de développement.  

Diminuer le coût d’exploitation  

Il y a trois ans, dans les villes de Butembo et de Beni, mais aussi dans les cités environnantes, le goût de ces maïs sautés était différent. Pourquoi ? Car le pop-corn était préparé dans une marmite sur le brasero à charbon de bois. L’huile devrait cuire d’abord avant d’y ajouter des variétés spéciales de maïs et du sel. Depuis 2019, il y a eu un grand changement dans la cuisson de cet amuse-gueule très sollicité. Avec la venue de l’énergie hydroélectrique, les habitantes utilisent désormais une machine spécialisée pour faire éclater les grains de maïs et produire du pop-corn. Maintenue dans une cage vitrée, cette marmite électrique est alimentée grâce à la nouvelle énergie.

Debout derrière sa machine à pop-corn, Ghislain Mahese, 23 ans, se réjouit car il ne travaille plus à perte comme c’était le cas à l’époque du charbon de bois. « Avec la résistance chauffante dans la machine, j’ai besoin d’au moins 1 800 Watts aujourd’hui pour que la machine puisse démarrer. Les générateurs d’avant ne produisaient pas assez d’énergie. Aujourd’hui, grâce au courant stable et une touche particulière du cuisinier, la cuisson de nos pop-corns est parfaite. La saveur est supérieure aux maïs qui étaient parfois calcinés suite à la non-maîtrise de la quantité énergétique avec le charbon de bois », s’enthousiasme-t-il. Kakule Mahamba Crysos, 34 ans, a investi dans une chambre froide pour conserver du poisson frais qu’il importe d’Afrique australe ou d’Asie. Il le revend à Butembo. Une chambre froide, « c’était risqué de la faire fonctionner, il y a peu, à Butembo », confesse l’entrepreneur.

Dans sa chambre froide il doit mettre en commun plusieurs congélateurs. Cela sollicite une importante quantité d’énergie électrique. « Avant, les fournisseurs de poisson frais ne pouvaient pas se permettre d’importer d’énormes stocks au risque de voir les poissons pourrir dans les congélateurs dès que le courant généré par des groupes électrogènes est perturbé. En plus, le générateur consommait beaucoup de carburant. On pouvait assister aussi à l’épuisement de l’énergie dans les batteries des panneaux solaires en quand des intempéries qui permettent pas un bon ensoleillement de la ville », explique Mahamba Crysos.

Faciliter l’entrepreneuriat agroalimentaire

On peut aller jusqu’à brancher dix congélateurs dans une chambre froide © Hervé Mukulu

Cette région située à cheval sur l’équateur est moins exposée au soleil : « On a rarement 5 à 6 heures de soleil ardent pendant la journée », soutient John Mumbere Mupenda, ingénieur électricien qui se spécialise dans l’énergie renouvelable. Cela peut ne pas être suffisant pour recharger les batteries des panneaux solaires. Avec l’avènement de l’énergie hydroélectrique, les chambres froides foisonnent dans la ville. « Le courant est meilleur. On peut aller jusqu’à brancher plus de dix congélateurs sans problème », , se félicite Kakule Mahamba Cryso. Des poissons importés d’Asie et d’Afrique Australe comme ceux pêchés dans les étangs piscicoles de la région ou dans le lac Éd à environ 80 km, se conservent sans trop de difficultés. Même des poulets de chair sont devenus un mets ordinaire dans les ménages.

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Des éleveurs de volailles aussi se réjouissent de cet avènement du courant électrique dans la région. Cet élevage connait aussi un certain essor. « Certains entrepreneurs qui élèvent des poussins achetaient à Kampala, la capitale ougandaise, peuvent les égorger et les revendre au fur et à mesure que des clients se présentent », explique un opérateur économique.   Avant,  au bout de deux mois d’investissement dans la nourriture et les soins aux poulets, il fallait tout vendre. Et quand les gens ne trouvaient pas de clients, certains continuaient à les nourrir pendant une semaine ou deux. Mais les frais devenaient insupportables pour espérer réaliser des bénéfices. Faute de moyen de conservation, ils étaient obligés de vendre les poulets au prix de revient, voire à crédit à des clients qui, finalement, ne payaient plus. 

L’élevage des volailles a pris aussi un certain essor dans la région © Hervé Mukulu

Pour les éleveurs de la région, l’énergie électrique ne facilite pas que la conservation des volailles destinées à la vente. Elle facilite toute la chaîne de l’élevage. Plus besoin d’aller s’approvisionner en poussins à Kampala. Kakule Murusi, la trentaine, allie l’élevage des poulets à la pisciculture dans sa parcelle transformée en une véritable entreprise au quartier Matanda à Butembo. Cet élevage de clarias a besoin d’un courant sans faille. Les poissons étant dans des étangs hors-sol, pour maintenir une température uniforme, il doit chauffer ou refroidir l’eau. « La disponibilité du courant est un avantage par rapport aux panneaux qui peuvent ne pas avoir d’énergie suffisante la nuit », indique-t-il. Comme quoi, l’énergie sûre facilite l’entreprenariat agroalimentaire au Nord-Kivu.

Un reportage de Hervé Mukulu, produit en partenariat avec InfoNile grâce au financement de JRS Biodiversity Foundation édité par Claude Sengenya et Umbo salama ; réalisé avec la contribution  de  Juvénal Bulemo, Georges Kisando, Emmanuel Kateri, Jackson Sivulyamwenge et Robert Mwenderwa. 


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