Carnet de voyage : De Butembo à Johannesburg, un périple journalistique aux délices mémorables

Johanesbourg, Afrique du Sud

Johannesburg. Une ville où l’histoire et la modernité s’entrelacent. Les gratte-ciels côtoient les vestiges de la lutte contre l’apartheid. Cette ville évoque à la fois la grandeur de l’Afrique et les cicatrices de son passé. Au cœur de cette métropole vibrante, des centaines de journalistes africains s’y étaient rassemblés pour partager, apprendre et tisser des liens essentiels lors de la 20ᵉ Conférence Africaine sur le Journalisme d’Investigation (AIJC24). Dans ce carnet de voyage, Jérémie Kyaswekera, journaliste d’investigation basée dans la partie Est de la RDC, nous emmène au cœur de ses découvertes.

Mardi 29 octobre 2024, il est 16 heures à Johannesburg. Un ciel bleu et un air doux et frais nous accueillent. En posant le pied sur le sol sud-africain pour la première fois, je ressens une excitation particulière : « Prendre part à la 20ᵉ Conférence Africaine sur le Journalisme d’Investigation (AIJC24), un événement mondialement reconnu, organisé par le Wits Centre for Journalism à l’Université de Witwatersrand, un carrefour d’idées et d’engagement ».

Mais L’aventure a commencé bien avant mon arrivée au pays de Nelson Mandela. Elle a pris racine dans l’attente passionnante de cette opportunité unique où se croisent les voix les plus audacieuses du journalisme. « Participer à cette conférence est une occasion de me plonger dans un univers que je connais bien mais sous une autre dimension : échanger avec des journalistes chevronnés du continent et du monde entier, découvrir des nouvelles techniques d’investigation et surtout renforcer mon réseau professionnel ».

Chaleur, embouteillage et bureaucratie administrative

Postuler en cette conférence n’était que la première étape et c’était facile. Mais attendre des semaines pour l’e-mail magique de confirmation : « Félicitations, vous avez été sélectionné ». A peine le temps de savourer, la pression monte. Il fallait tout organiser le plus vite possible : visa, itinéraire, logistique, etc. J’ai dû me rendre dans la capitale, à Kinshasa, à plus de 2000 km de ma ville, un peu plus d’une semaine avant pour le visa.

La route depuis Butembo jusqu’à l’aéroport de Mavivi, à quelques minutes au nord de la ville de Beni, se faufilent à travers des paysages verdoyants, de petites collines recouvertes de cultures. Le soleil était encore haut dans le ciel, la chaleur écrasante se mêlant à la poussière soulevée par les véhicules. L’air humide du matin pénétrait dans mes poumons, tandis que je m’éloignais peu à peu de ma ville, une sensation étrange de départ et de transition flottait autour de moi. 

L’aéroport de Mavivi, avec des couloirs exigus, n’offrait guère le confort. L’odeur du kérosène se mélangeait à celle du café qui se faisait préparer au comptoir du petit kiosque de la salle d’embarquement. Les quelques voyageurs présents se regardaient en silence, concentré sur des téléphones. L’atmosphère y était une sorte de mélange entre calme et impatience, jusqu’à ce qu’une voix appelle : « Les passagers à destination de Kinshasa sont priés de ….. ».

Il est 11heure. Nous embarquons à bord d’un petit avion du Mont Gabaon Airlines. Le vol à destination de Kinshasa dure environ quatre heures. A l’atterrissage à l’aéroport international de N’djili, des bousculades, des bruits des bagagistes et autres, des avions qui atterrissent et d’autres décollent à tout moment… le tout mélangé à la chaleur, m’intrigue. Les bagages qui circulent sur des tapis roulants se mêlent aux voix des passagers, aux annonces dans diverses langues, et au bruit des portes qui s’ouvrent et se ferment. À chaque coin, des dizaines de gens se croisent, s’interpellent, les visages expressifs et concentrés.

Tarmac de l’aéroport international de N’djili/Kinshasa © Photo Jérémie Kyaswekera

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Mon séjour à Kinshasa a été marqué par une immersion dans l’effervescence de la chaleur, embouteillage et bureaucratie administrative pour obtenir mon visa pour l’Afrique du Sud. A la direction du VFS Global, un centre de demande de visa, l’atmosphère était suffocante, entre les files d’attente interminables et l’agitation des autres demandeurs, chacun espérant que ses documents seraient acceptés sans accroc. Les agents, implacables dans leur exigence, scrutaient chaque détail des pièces présentées, exigeant des documents supplémentaires ou des preuves de plus en plus détaillées, sous prétexte de complétude.

Derrière des comptoirs en bois usé, des piles de dossiers traînaient, attendant d’être traitées. Chaque agent, concentré, examinait minutieusement chaque document, chaque formulaire, et chaque signature. Le processus était rigide, marqué par des étapes systématiques de vérification, de tamponnage et de classement, donnant l’impression que le temps était suspendu entre les longues attentes et les va-et-vient incessants des demandeurs.

« Tout fonctionne en anglais »

De là, j’ai pris un vol pour Addis-Abeba, où le tumulte de l’aéroport international de Bolé m’a rappelé l’effervescence des grandes capitales africaines. Là, le simple fait d’atteindre la salle d’embarquement était déjà une expérience en soit et un véritable parcours de combattant : une foule des voyageurs de tous horizons, des annonces à plusieurs langues, des panneaux de signalisation partout …

Mon vol en direction de Johannesburg avait décollé à 9h30, après un matin de préparation frénétique, chargé d’une ultime vérification de mes documents. Le ciel était encore sombre, et l’atmosphère dans l’avion, bien que calme au départ, commençait à se remplir progressivement de l’excitation des passagers. Les premières heures furent marquées par le bruit constant des moteurs et le léger bourdonnement des conversations entre voisins, mais tout restait relativement tranquille. Peu à peu, les lumières de l’aube ont commencé à éclairer l’horizon, alors que le soleil pointait timidement au-dessus des nuages. L’odeur de café s’échappait des chariots de service, tandis que l’air frais de l’avion semblait réconforter les voyageurs, plongés dans leurs pensées ou leurs lectures.

Après environ 6heures de vol, j’ai enfin aperçu, au loin, les premières lumières de Johannesburg scintiller dans le noir. L’atterrissage à l’aéroport OR Tambo, qui m’avait été décrit comme un modèle d’efficacité, ne m’a pas déçu. Immense, moderne et impeccablement organisé, l’aéroport me donnait l’impression d’être un microcosme de la rigueur sud-africaine. Les files d’attente étaient bien structurées, les écrans numériques indiquaient précisément où se diriger, et tout était fluide, rapide. L’accueil a été tout aussi direct, avec des agents polis, mais professionnels, qui guidaient les voyageurs avec une efficacité presque clinique. Dans cet environnement ordonné, j’ai vite ressenti la différence avec l’agitation des aéroports africains que j’avais l’habitude de fréquenter.

À peine sorti de l’avion, un détail m’a frappé immédiatement : « tout fonctionne en anglais ». Dès les premiers pas dans l’aéroport OR Tambo, j’ai entendu les annonces claires et précises, les échanges entre passagers et agents, tout était en anglais. « Je m’exprime un peu en anglais, bien sûr, mais dans ce contexte formel où chaque mot compte et où l’aisance des locaux déstabilise un peu, je me suis senti quelque peu perdu ».

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À peine sorti de l’avion, un détail m’a frappé immédiatement : « tout fonctionne en anglais » © Photo Jérémie Kyaswekera

Ici, un agent me pose une question en anglais, d’un ton calme et poli : « How many leagages do you have with you today ? » une question simple, mais qui m’a pris de court alors qu’il demandait juste « combien des bagages avez-vous aujourd’hui ». Puis, face à un agent de l’immigration, il m’a demandé de manière encore plus précise : « Could you please explain the purpose of your stay ?(Quel est le motif de votre séjour ?)« . Cette question, claire et formelle, m’a fait perdre quelques secondes pour répondre. Le tic-tac des horloges et la rapidité des mouvements autour de moi semblaient amplifier chaque seconde de retard. Mais très vite, je me suis ressaisi, me rappelant que je suis ici pour apprendre et m’adapter. Après tout, cette expérience faisait partie du voyage.

Un taxi m’amène à mon hôtel en plein cœur du Quartier de ParkLand, non-loin du lieu de la conférence. La nuit sud-africaine, est fraiche mais je suis trop excité pour penser au sommeil. Je vais enfin découvrir ce qui fait de cette conférence, l’un des plus grands événements du journalisme d’investigation en Afrique.

Des rencontres virtuelles aux rencontres en face  

L’entrée sur le campus de Wits University est une autre expérience fascinante. Des grandes bâtisses, des infrastructures impeccables, des étudiants et chercheurs qui circulent, de l’aire fraiche se dégage sur le site. Le système universitaire est la numérisé. Des bornes électroniques nous guident et l’accès au site est géré par des badges scannés ou des empreintes digitales.

Au Centre de la Conférence, l’ambiance est électrique. Les couloirs fourmillent de reporters, d’enquêteurs chevronnés et d’experts du domaine. Toutes les langues sont presque au rendez-vous : anglais, français, Espagnol, portugais, zulu, kiswahili, etc. Certains discutent à voix basse autour d’un café, d’autres échangent des contacts, des cartes de visite… Des figures emblématiques du journalisme d’investigation sont là, prêtes à prendre la parole.

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Les discours inauguraux sont puissants. On parle des menaces contre la presse, des nouvelles méthodes d’investigation, du rôle de l’intelligence artificielle dans le journalisme, l’importance du journalisme d’investigation dans un monde en mutation et surtout, de l’importance du journalisme collaboratif en Afrique. « Chaque mot raisonnait profondément en moi ».

Plus de 450 journalistes d’investigation d’Afrique et d’ailleurs sont présents. Certains, je les connaissais déjà grâce aux échanges en ligne. Aujourd’hui, nous sommes là, dans un même espace, en chair et en os, partageant nos expériences, nos défis et nos espoirs.

L’une des rencontres les plus marquantes a été celle avec Anas Anas, journaliste Ghanéen, toujours portant son masque énigmatique. Pendant des années, j’ai entendu parler de lui dans divers ateliers, vu ses enquêtes percutantes en environnement hostile. Et là, il était devant moi, aussi impressionnant dans son masque que dans ses reportages. Très rapidement, nous échangeons quelques mots. Son humilité et sa passion pour le journalisme m’inspirent toujours.

« Nous devrions travailler en collaboration »

Chaque jour, des ateliers venaient bousculer nos certitudes et enrichir nos pratiques. C’est le cas de la thématique sur « L’intelligence artificielle et l’investigation ». Un sujet que je trouve fascinant. Des panelistes expliquent comment l’IA aide à analyser des milliers de documents en un temps record, parlant des outils numériques existant pour faciliter le travail des journalistes. Une révolution impassable.

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L’autre sujet porte sur « Les crimes environnementaux et la corruption transnationale ». J’y partage mon expérience sur l’exploitation illégale des ressources naturelles en RDC, un sujet sur lesquels je travaillais déjà depuis plusieurs mois. Des journalistes du Mozambique, du Nigeria et du Ghana racontent des histoires similaires. Un constat s’impose : « l’exploitation des ressources africaines suit les mêmes schémas de corruption à travers le continent. Nous devrions travailler ensemble », propose une journaliste du Kenya.

Jérémie Kyaswekera, journaliste d’investigation basée dans la partie Est de la RDC, un des participants à la conférence © Photo WCJ

Une des leçons clés de cette conférence, c’est la mise en avant du journalisme collaboratif. Face aux menaces, l’union fait la force. En RDC, nous avions déjà compris cela en créant un réseau capable de partager les informations et protéger les journalistes : le Réseau des journalistes d’investigations en RDC (www.reji-rdc.org). Ici, je retrouve cette dynamique à une échelle plus large.

Célébrer le journalisme courageux

L’émotion est grande et palpable lorsqu’on commence des annonces des noms des lauréats. Voir des jeunes journalistes être honorés pour leur travail, leur ténacité et la qualité de leurs enquêtes m’a inspiré profondément. Certains ont risqué leur vie pour dénoncer des scandales, d’autres ont passés des mois à analyser des milliers des documents pour révéler les vérités cachées. D’autres encore ont dénoncé des violations des droits humains ou des crimes environnementaux.

Assis à ma table, entouré des confrères du monde entier, l’émotion m’a envahi, j’ai ressenti une immense fierté d’appartenir à cette communauté. Ces journalistes engagés pour la quête de la vérité et déterminés à provoquer le changement. Et ce soir-là, nous célébrions leur courage.

Après plusieurs jours intenses, il est temps de rentrer au bercail. Je rentre avec des nouvelles méthodes, des contacts précieux et la conviction que notre travail, malgré les obstacles est essentiel. Johannesburg-Addis-Abeba-Kinshasa-Beni-Butembo, un long trajet qui me permet de repasser en boucle tout ce que j’ai appris.

Dans l’avion, je repense aux débats, aux témoignages, aux collaborations futures, à cette énergie collective qui anime encore mon esprit. Johannesburg m’a rappelé une chose essentielle : le journalisme d’investigation africain est bien vivant, et il ne cesse de produire de l’impact considérable.

Jérémie Kyaswekera