L’apport des scientifiques sur le dérèglement climatique au Nord-Kivu


Saisons raccourcies, pluies diluviennes, sécheresses prolongée, au Nord-Kivu, les agriculteurs composent avec un climat imprévisible. Des scientifiques proposent des techniques agricoles adaptées ainsi que des semences résilientes et, de plus en plus, d’agroforesterie. Reportage de Hervé Mukulu réalisé grâce à l’appui de Pulitzer center.

Ce graphique généré par GPT retrace l’évolution des pluies entre 1957 et 2010 à Butembo, une ville du Nord-Kivu, dans la partie orientale de la République démocratique du Congo. Il s’agit des données de 2012 de la revue Geo-Eco-Trop. Ces données montrent que la pluviométrie annuelle (ligne bleue) reste proche de 1 500 millimètres (Ligne Orange). Et l’intensité moyenne des jours pluvieux progresse légèrement (+0,1 mm/jour). Aussi, les jours avec plus de 10 millimètres de pluie (pointillés verts) augmentent d’environ trois par an. Résultat : plus d’averses violentes qui accentuent les risques d’inondation et d’érosion. Et quand les pluies se dérèglent, elle impacte aussi la survie des paysans.

D’après cette étude les inondations croissantes sont surtout dues à une urbanisation rapide et non maîtrisée, réduisant l’infiltration et aggravant la vulnérabilité de la ville. La saison des pluies, qui passe de 9 à 7 mois, menace la sécurité alimentaire. Une planification urbaine et des infrastructures adaptées sont essentielles.

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En effet, au Nord-Kivu l’agriculture de subsistance dépend aussi des conditions atmosphériques. Quand les pluies sont rares, les récoltes sont aussi faibles. Et quand les pluies sont abondantes et interviennent hors saison, les champs se transforment en mares. Les sols se détériorent, les maladies se multiplient, les producteurs engagent des lourdes dépenses pour sauver leurs cultures. De l’autre côté, la sécheresse prolongée reste l’ennemi le plus redouté, surtout dans les montagnes où l’irrigation est presque inexistante.

Des mini champs  sous la pluie au site horizon/UCG à Butembo. © Photo Hervé Mukulu

À cette instabilité pluviométrique s’ajoute un autre obstacle : « des semences souvent vieillies, peu productives, travaillées avec des méthodes qui semblent figées dans le temps ». Mais la riposte s’organise. Paysans, ONG, centres de recherche et autorités multiplient les efforts pour mettre au point des variétés capables de résister aux chocs climatiques.

 Cultiver « au rythme du ciel »

Selon le chef des travaux Mulondi Gloire, ingénieur agronome et expert en aménagement du territoire, deux saisons culturales rythment l’année. Il y a la courte saison qui s’étend entre le mois de mars et de mai. La longue saison pour sa part s’étale entre août et novembre. Pour dire que la réussite d’une récolte dépend directement de la régularité des jours pluvieux. « Notre agriculture reste familiale, de petite échelle, et dépend entièrement des saisons de pluie », explique cet ingénieur agronome.

Aussi l’irrigation qui devrait permettre de contourner cette dépendance, reste rare. Faute de moyens financiers et techniques, mais aussi à cause du relief accidenté, plusieurs paysans cultivent encore « au rythme du ciel ».

Charles Valimunzigha, Professeur d’universités en sciences agronomiques et directeur du CERAVEG (Centre de recherche agronomique et vétérinaire du graben), indique que le paradoxe est criant : « L’eau n’est pas absente : rivières, ruisseaux et nappes souterraines abondent. Le problème, c’est notre incapacité à la capter et à la gérer ».

Professeur. Charles Valimunzigha, directeur du CERAVEG

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Les données climatiques collectées par l’ENRA Beni, l’ITAV Butembo et l’INERA Yangambi confirment un changement dans la régularité des pluies. « La quantité annuelle évolue peu, mais leur intensité augmente. Des épisodes extrêmes (grêle, orages violents) frappent plus souvent, parfois en pleine période censée être sèche et détruisent semis et cultures ».

Cette météo instable favorise aussi l’apparition des maladies comme le mildiou ou certaines attaques fongiques. Elle fragilise ainsi les rendements de plusieurs cultures. « Nous assistons à des manifestations locales du changement climatique global liées à l’augmentation des gaz à effet de serre », explique Gloire Mulondi.

Le chercheur en phytotechnie Héritier Mbusa, lui indique la voie à suivre est claire : « planifier, irriguer et diversifier. Passer d’une agriculture de survie à un système capable d’anticiper et de s’adapter, grâce à la technologie, à la reforestation et à des variétés mieux armées face aux aléas climatiques ».

Privilégier l’agriculture durable

Pour le professeur Sahani Walere, expert en gestion des catastrophes naturelles, l’agriculture locale est menacée. « Nous ne pouvons garantir une agriculture durable si nous n’envisageons pas des mécanismes d’adaptation au changement climatique ». Il plaide pour un réseau régional de stations climatologiques afin d’établir un calendrier agricole fiable.

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Ce chercheur explique que des données montrent une hausse moyenne de 1,8 °C en 50 ans et des perturbations accrues pendant les petites saisons de pluie. « Si les émissions de gaz à effet de serre se poursuivent, même la petite agriculture, colonne vertébrale de l’économie locale, pourrait disparaître ». Il appelle ainsi les décideurs à intégrer les données climatiques dans les stratégies agricoles afin de sécuriser la production.

Face à ces défis, le chef des travaux Gloire Mulondi prône une transition vers une agriculture résiliente, basée sur l’agroforesterie et l’agroécologie. « Nous devons adopter des nouvelles pratiques adaptées aux nouvelles réalités climatiques », affirme-t-il. Il insistant aussi sur la préservation de la fertilité des sols et la réduction des émissions issues de la déforestation et des brûlis. Pour lui, la technologie, imagerie satellitaire, cartographie des sols, outils numériques, doivent aussi être mise à profit surtout que « L’agroécologie repose sur l’équilibre entre les plantes, le sol et l’environnement, limite les intrants chimiques et en favorise la biodiversité ».


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