A Goma, plusieurs familles se tournent vers des paris sportifs pour survivre

Rond point Instigo, en ville de Goma

Dans la ville de Goma, chef-lieu de la province du Nord-Kivu, pour survivre, plusieurs hommes et femmes chefs de ménages se tournent vers le pari foot. Ceci depuis l’occupation de la zone par le M23. Ils se disent fragilisés par la fermeture de plusieurs entreprises, la perte d’emploi ainsi que l’instabilité économique.

Mardi 21 octobre 2025, il est 14h00 sur l’axe routier « trois Lampes-Mutinga », en ville de Goma. Dans un bâtiment peint en bleu et jaune, les visages des jeunes et vieux sont rivés sur des écrans téléviseurs. Deux grandes équipes du football européen s’affrontent. Des cris, des applaudissements, des murmures… s’entremêlent. Sur des visages, de fois on lit un sentiment de joie et d’autre fois, un sentiment de tristesse. Ticket à la main, un quadragénaire s’exclame : « Aujourd’hui, je dois récupérer tout ce que j’ai perdu la semaine dernière », confie-t-il, en exhibant fièrement son billet de pari foot.

A quelques 500 mètres de cet immeuble, la situation est similaire. Ici Madame Gisèle (nom d’emprunt), une habitante du quartier Mabanga-Nord, vient percevoir ces 5000 francs congolais (environs 2,5$). Cette somme provient du pari du match joué la veille. Elle a dû parier 500 CDF pour gagner ce montant. Pour elle, les tickets de pari sportif représentent son capital sur investissement. « Même quand mon mari me confie de l’argent, je tente d’abord ma chance au pari foot. J’espère que c’est une manière de l’épauler pour la prise en charge de notre famille », se dédouane-t-elle.

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C’est devenu la norme pour plusieurs familles de la ville de Goma. Le pari sportif est devenu une bouée de sauvetage afin de nouer les bouts du jour ou de la semaine ou même du mois. « Chaque jour je tente ma chance pour voir si je peux arriver à nourrir ma famille. Mes revenus journaliers ne sont plus suffisants. Je dois tenter partout », explique Clément, un conducteur de mototaxi et père de famille.

Dans cette ville, des maisons de pari sportif fleurissent. Elles attirent chaque jour des foules : étudiants, chômeurs, motards, parents… Derrière les visages concentrés et les tickets serrés entre les doigts, se dissimulent souvent la peur de perdre, le stress du résultat et la tristesse de voir son espoir s’envoler avec un pari manqué.

Pari sportif comme source de revenus

Depuis l’occupation de Goma, plusieurs personnes ont perdu leur emploi. Ceci suite à la fermeture de banques, de projets des ONGs locales, nationales et internationales ainsi que des institutions publiques. Aussi des rares personnes (personnel éducatif ou médical …) encore en activité, peinent à toucher leurs salaires. Conséquences : « Le pari foot se présente comme l’une des nouvelles sources de revenus ».  

Aussi, d’autres entreprises réduisent considérablement le personnel. « Les clients ne viennent plus, et le peu que nous gagnons sert seulement au paiement du loyer. Nous travaillons donc pour le bailleur. C’est mieux qu’on ferme la boutique », se désole Aloïse Syauswa, propriétaire d’une boutique de vente d’appareils électriques au centre-ville de Goma.

Malgré cette guerre et la perte d’emploi, la vie ne s’arrête pas dans des ménages. Les ménages font face à plusieurs charges : restauration quotidienne, paiement du loyer, la scolarité des enfants, l’habillement, le transport quotidien et même les maladies. « J’étais la première personne qui haïssait ce jeu du hasard. Aujourd’hui je suis le premier à parier. Imaginer vous avez 10 milles francs en poche pour toutes les charges familiales. On se trouve dans l’obligation de tenter un pari espérant gagner en retour plus de 100 mille francs. Mais la chance n’est pas au rendez-vous chaque jour », explique Le prénommé Paulin, ancien agent de Fonds social de la République.     

De plus en plus des étudiants misent même sur leurs frais académiques. C’est le cas de Aganze. Cet étudiant, suit scrupuleusement les statistiques des matchs européens près du port de Kituku. Il a appris à jongler entre les études et le Pari foot. « La vie, c’est une question de risques », déclare-t-il.  « Il faut toujours oser. Quand on gagne, on célèbre, on mange, on boit avec des amis… On paie parfois d’autres factures. Mais quand on perd, c’est la désolation », affirme-t-il.

Quant à Honoré, un autre étudiant, le pari est une manière de soutenir ses modestes économies. « Moi, je mise même mon argent de transport. Mais c’est ma façon d’espérer. Peut-être qu’un jour, un pari changera ma vie. Si je ne gagne pas je pars à l’école en pieds », dit-il en souriant.

Le pari foot, un lieu de secours !

Selon Jemima Salama, de la clinique psychologique de l’Université de Goma, l’engouement vers le pari foot est un évitement émotionnel. Dans ce sens, le pari est un comportement à haut risque. « Lorsque les dettes, la faim ou le chômage accablent une personne, celle-ci cherche un moyen d’oublier temporairement ses souffrances. Le pari devient ainsi un lieu de secours », explique-t-elle. Elle poursuit que ce qui commence comme un simple divertissement finit souvent par se transformer en dépendance psychologique.

Chaque perte nourrit la culpabilité, la honte et la perte d’estime de soi, des sentiments qui peuvent détruire l’individu de l’intérieur. « Après un échec, certains se disent : si j’avais économisé cet argent, j’aurais acheté quelque chose. Certains sombrent dans la dépression, d’autres deviennent agressifs. Il arrive qu’un joueur frustré par une perte s’en prenne à son entourage », souligne-t-elle. Pour Jemima Salama, le problème ne réside pas dans le jeu lui-même, mais dans la mauvaise gestion des émotions liée à la dépendance.

Aussi, les conclusions d’une étude portant sur « La pratique du pari foot » relève que si de nombreux jeunes perçoivent le pari foot comme une opportunité rapide de gain financier, la réalité est tout autre. Cette pratique ne favorise en rien une autonomie économique durable. « Le pari foot offre une lueur d’espoir à court terme, mais ne permet pas, à long terme, de propulser les jeunes vers une véritable indépendance financière ni d’améliorer leurs conditions de vie », conclut l’étude.

Victoire Katembo Mbuto


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