Des troupes de l’EAC sont déjà déployées en RDC et se sont déjà départagées les anciennes positions du M23. Les FARDC restent seulement dans leurs anciennes positions. Malgré ces déploiements, les déplacés ne savent pas regagner leurs milieux et les journalistes n’ont pas encore libre accès à la zone.
Drapeau de la Communauté d’Afrique de l’Est, EAC, trônant sur le blindage, les chars ougandais sont en RDC par le poste frontalier de Bunagana le 31 mars 2023. Aux côtés des militaires kényans et burundais, arrivés respectivement mi-novembre 2022 et début mars 2023, des soldats ougandais et Sud-Soudanais (arrivés à Goma le dimanche 2 et lundi 3 avril 2023) viennent aussi renforcer des troupes de l’EAC sur le sol congolais.
Les différents contingents occupent des positions libérées par les rebelles du M23. « Sake, Kirolirwe et Kitshanga pour les Burundais ; Kibumba, Rumangabo, Tongo, Bwiza et Kisheshe pour les troupes Kenyannes ; Rumangabo pour le Soudan du Sud en collaboration avec l’armée kényane et enfin, Bunagana, Kiwanja, Rutshuru et Mabenga pour les troupes Ougandaises ».
Un déploiement couvert de ruse
Beaucoup de questions se posent sur cette force. Particulièrement sur le contenu de son mandat qui n’est pas trop clair. Kinshasa insiste sur le caractère offensif de la force. Ce que démentent les discours déjà prononcés par des responsables de ces forces. Un déploiement qu’Edgard Mateso, vice-président de la société civile du Nord-Kivu, qualifie de ruse. « Pour convaincre la population de l’arrivée de ces troupes il faillait utiliser la ruse, mensonge et démagogie comme ils viennent combattre aux côtés des FARDC pour imposer la paix », explique cet acteur des forces vives.
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En effet, des calendriers de retrait du M23 ont été plusieurs fois fixés sans succès. « C’était des dates fétiches qui, une fois dépassées, il fallait utiliser la force. C’est le cas du mini-sommet de Luanda du 15 janvier 2023, le processus de Nairobi du 28 février 2023, la mini conférence d’Addis-Abeba du 30 mars 2023. Toutes ces dates sont passées et le narratif a changé « we are not comming to fight but to help congolese to talk » (nous ne venons pas pour nous battre mais aider les congolais à dialoguer) », se plaint Edgard Mateso.
Les chefs d’armées des pays membres de l’EAC y compris le Rwanda, avaient approuvé à Nairobi le partage entre leurs troupes, des zones actuellement sous occupation du M23. Un nouveau calendrier avait été établi pour l’organisation sous régionale afin que les rebelles puissent se retirer des zones conquises. Les FARDC ne figurent cependant pas dans cette distribution des zones.
Peur même de l’EAC
Sur le terrain, les populations restent sceptiques. Le jour de l’entrée des soldats ougandais, le fils de Yoweri Museveni avait partagé une photo d’un militaire ougandais souriant dans les bras d’un combattant du M23 à Bunagana. Il qualifie le cliché de « belle image » et ajoute que les M23 sont ses frères et qu’il n’est pas nécessaire de les combattre, suggérant plutôt un dialogue. La veille, le président ougandais lui-même avait affirmé que ses troupes ne sont pas sur le sol congolais pour ouvrir le feu sur ce mouvement sanctionné par l’ONU et qualifié de terroriste par le gouvernement congolais.
« Nous sommes convaincus que les troupes de l’EAC et les éléments du M23 sont les mêmes. Ils ont seulement changé la couleur des tenues de M23 pour porter celle de l’EAC », confie un habitant dans la zone. Toutefois, il explique qu’il a du mal à identifier les anciens du M23 dans les troupes de l’EAC. « C’est très difficile de les identifier. Vous n’allez pas nous demander d’identifier Willy Ngoma, Bertrand Bisimwa ou d’autres qui intervenaient dans des meetings populaires et qu’on puisse les retrouver avec des tenues de l’EAC ? Vous savez vous-mêmes qu’ils ne peuvent pas commettre cette erreur », réagit au téléphone, un journaliste du coin, visiblement fâché par notre insistance sur la question.
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Même des déplacés qui avaient fui suite à l’entrée du M23 ne sont pas encore prêts à regagner leurs milieux pourtant déjà sous occupations de l’EAC. Des journalistes aussi n’accèdent pas facilement à ces zones déjà sous occupations des forces régionales. « Si réellement les M23 se sont déjà retirés, pourquoi les déplacés ont encore peur ? Pourquoi les troupes de l’EAC ne laissent pas les journalistes de Goma et d’ailleurs organiser des reportages en toute liberté dans ces zones ? Les forces de l’EAC ne garantissent pas la paix des populations car elles sont en complicité avec le M23 », embraye un notable du milieu et qui a voulu rester anonyme.
Question d’intérêt et non d’amitié
Les forces de l’EAC se retrouvent dans les anciennes positions du M23, partout là-bas sans l’œil regardant de la RDC alors qu’il était prévu le déploiement de 200 à 250 éléments des FARDC dans chaque zone occupée par des troupes de l’EAC. « Tout laisse croire à la protection des intérêts de chaque pays. L’Ouganda devra protéger ses frontières et économiquement la douane de Bunagana, le Kenya s’occupe de la frontière terrestre de Nyiragongo jusqu’aux zones fertiles de Rutshuru et protège les intérêts du Rwanda, le Burundi et le Sud Soudan, eux, ont visé plutôt les zones minières de Masisi », opine la société civile du Nord-Kivu.
Une opinion que partagent plusieurs personnes qui craignent que ces troupes aient une prise en charge exorbitante que les FARDC. « C’est une question d’intérêt et non d’amitié », lance Anelka Mwanya, membre de la Lucha. Selon Edgard Mateso, la Société Civile n’a jamais été d’accord avec l’entrée des troupes de l’EAC pour multiples raisons : « leur proximité avec la politique sécuritaire de certains pays limitrophes, mêmes intérêts en cas de balkanisation, mais aussi l’expérience du passé avec les armées étrangères (cas de la MONUSCO)… Les FARDC ne devraient pas rester éternellement sous tutelle ».
L’arrivée de cette nouvelle force vient se rajouter aux nombreux dispositifs militaires présents dans la région. Le territoire congolais accueille aussi, de manière officielle, des soldats ougandais depuis novembre 2021 pour lutter contre les ADF dans le territoire de Beni et dans l’Ituri à travers l’Opération « Ushujaa ».
A côté de ces troupes, il y a aussi les forces de maintien de la paix de l’ONU, la Monusco, actuellement composée de plus de 14.000 soldats indiens, pakistanais, indonésiens ou sud-africains… « Nous avions adulé les troupes ougandaises quand elles sont entrées en RDC pour traquer les ADF en territoire de Beni et dans la province de l’Ituri. Aujourd’hui rien n’a changé. Les massacres, l’insécurité, des cas d’agressions sont toujours signalés même dans des zones occupées par les troupes Ougandaises », regrette Edgard Mateso.
Pour le Professeur Jaribu Muliwavyo, chercheur sur des questions des groupes armés à l’Est de la RDC, le mieux est d’améliorer la logistique, les questions sociales et autres situations de FARDC. « Nous pouvons recourir à d’autres forces extérieures si nous avons déjà une armée bien structurée, bien équipée, bien nourrie, bien habillée, bien payée avec une bonne logistique », insiste-t-il. Pendant ce temps, des interrogations sur le mandat de la force de l’EAC persistent : Quel est leur rôle ? Combien de temps vont-ils rester en RDC ? Vont-ils rendre aux forces loyalistes ces localités qui viennent de leur être cédées par les éléments du M23 ? Autant de questions qui malheureusement restent sans réponse.
Umbo Salama