Ceinturée par des champs de café, des bananiers et des collines, la ville de Butembo, réputée commerciale depuis les années 1980-2000, sombre depuis un certain temps suite à la prolifération des groupes armés, aux guerres à répétition, massacres, pillages… La réputation des hommes d’affaires de cette zone reste encore d’actualité de Johannesburg (Afrique du Sud) à Shenzhen (Hong-Kong), en passant par les grands ports d’Afrique de l’Est. Malgré la situation difficile, ces hommes d’affaire, en majorité peuple Nande, s’efforcent de garder le cap… D’où vient ce dynamisme ?
Au Nord-Kivu, à environs 300 Km au Nord de Goma, se trouve la ville de Butembo. Cette ville qui tire son nom d’un arbre (le Muthembo), est réputée pour ses activités économiques et pour ses échanges commerciaux avec des pays d’Afrique de l’Est ainsi que de l’Asie. « Je suis le deuxième commerçant de Butembo et donc de la RDC à avoir posé un pied en Asie, en 1983 », s’enthousiasme Katembe Kahehero, ancien marchand de café, aujourd’hui à la tête d’une myriade de sociétés et d’un parc immobilier considérable.
Les opérateurs économiques de Butembo sont les pionniers à ouvrir les routes commerciales reliant l’Asie à ce qui était alors le Zaïre (la RDC), via les ports d’Afrique de l’Est à Mombasa au Kenya et en Tanzanie. Ils ont acquis des dizaines puis des centaines de camions qui arpentent les routes de l’Ouganda et du Kenya pour acheminer des marchandises jusqu’à Butembo, où affluent des acheteurs des différentes provinces. « Lorsque vous prenez Goma, Butembo, Beni,… ce sont des gens qui ont découvert l’Asie avant les années 1990. On peut même dire que les premiers millionnaires de la RDC sont à Beni, Goma, Butembo… », explique Julien Paluku Kahongya, ministre de l’industrie, lors de son intervention dans l’émission jeudi-économie de Top Congo FM. Avant ce ministère, il a déjà été successivement gouverneur du Nord-Kivu, maire de Beni, de Butembo et admnistrateur du territoire de Lubero.
Nostalgique, Polycarpe Ndivito, président de la FEC (Fédération des Entreprises du Congo) à Butembo-Lubero, se souvient des commerçants qui affluaient de Bunia, Kisangani, Isiro, Bumba… dans l’ancienne Province-Orientale, du Kasaï ou encore de l’Equateur… pour venir s’approvisionner à Butembo. « Butembo était considérée comme la capitale commerciale de la République Démocratique du Congo. Pour dire que la richesse du Nord-Kivu date des années 1970 lorsque les opérateurs économiques ont découvert la voie de la Chine, de Dubaï… Bref la voie de l’Asie », réitère Julien Paluku Kahongya.
Sur les pas des colons et des grecs
Butembo a bâti son développement sur la culture du café et du commerce du sel de cuisine. « Le trafic commercial était luxuriant et était basé essentiellement sur l’importation du sel de cuisine à partir des gisements de Katwe, en Ouganda. Ce trafic avait un impact considérable sur le développement et la vie sociale de la population », explique Alphonse Ndivito, chargé des questions de développement et d’entrepreneuriat à la FEC (Fédération des Entreprises du Congo) Butembo-Lubero.
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A part ce commerce, il y avait aussi des forges. Des pierres contenant du fer (Mathali) étaient fondues pour fabriquer plusieurs objets comme des serpettes, lances, haches, épées, javelots, couteaux, grelots, cuvettes,… « A certains endroits on exploitait des pierres plates comme sur le mont Lubwe. L’Agriculture, la pêche et l’élevage faisaient aussi partie des grandes activités économiques », renchérit Alphonse Ndivito.
A l’arrivée des colons Belges ainsi que des commerçants grecs, l’entrepreneuriat avait pris une autre allure. Certains s’étaient orientés vers la coupe-couture en plein air surtout les jours des marchés, d’autres avaient créé des ateliers de coutures où ils recevaient leurs clients. Des exploitations agricoles des cultures pérennes avaient surgi un peu partout. « On cultivait du café, quinquina, purêtre, légumes,… », explique l’opérateur Kasereka Nzuki, s’endossant dans le canapé, installé au balcon de sa maison.
Les autochtones avaient commencé ainsi à imiter des colons et des commerçants grecs qui avaient des boutiques et entrepôts. Quelques-uns s’étaient lancés dans le commerce ambulatoire allant de village à village avec des produits manufacturés. Les produits agricoles d’exportation (café, purêtre, quinquina…) étaient vendus aux fournisseurs et aux colons.
Selon plusieurs témoignages, les colons belges préféraient travailler avec des Nandes par rapport à d’autres populations. Les Nandes étaient réputés pour leur agilité agricole en tant qu’ouvriers dans des plantations. Les mêmes témoignages indiquent que d’autres populations fuyaient les colons ou leur affichaient une résistance farouche. « À partir de Beni et Lubero, les belges avaient souvent exporté de la main d’œuvre dans les plantations. Progressivement, les migrations Nande s’étaient intensifiés en partant des territoires de Beni ou de Lubero », indique Anaclet Kasivirehi, dont le père avait travaillé comme cuisinier d’un Belge à Butembo.
Le mouvement de l’indépendance avait créé des grands bouleversements au point que la plupart des colons avaient abandonné brusquement leurs unités de production (plantations, fermes, magasins, ateliers,…). Seuls certains commerçants grecs comme Geongadelis, Sodhechos, Damianon,… et des commerçants belges comme Eslen de la société TMK (Transport et Messagerie du Kivu), avaient continué avec le commerce des légumes vers Kisangani, Isiro. De là, ils ramenaient en retour de la bière, l’huile de palme, le savon, farine de formant, ciment,…
Cela avait attiré la curiosité de quelques autochtones qui avaient aussi repris le même trafic. « C’était l’ouverture vers d’autres horizons. Car à part Isiro, Watsa, Bunia, Kisangani,… les commerçants locaux avaient aussi entrepris le trafic vers Kinshasa, Kampala, Nairobi et plus tard vers l’Asie et ailleurs », indique Alphonse Ndivito.
Prospérité des initiatives locales
Certains agriculteurs et commerçants s’étaient aussi regroupés en association et avaient créé des sociétés comme CUGEKI (Culture Générale du Kivu), COPROAC (Coopérative pour la promotion agricole et commerciale),… COODEC, devenu plus tard COODIZA et aujourd’hui COODEFI (Coopérative financière de développement économique)…
Des initiatives privées avaient aussi prospéré. C’est le cas de Kafundi avec Butembo Safari, Mwembo avec BRIBO (Briqueterie Industrielle de Butembo), Kasereka Siviri avec MENIBO (Menuiserie Industrielle de Butembo), Kitambala avec COBEKI (Compagnie des Boissons du Kivu), Feu Katembo Musevuli, mieux connu sous le nom de sa société CETRACA, qui à part le café, avait raffiné l’huile d’arachide, fabriqué la craie et avait une compagnie d’aviation. D’autres avaient investi dans des garages comme Mwalimu, Sadrou,…
Avant la conférence nationale souveraine, il y avait une certaine prospérité qui suscitait des jeunes entrepreneurs. Certains faisaient le trafic Bukavu-Butembo ou Butembo-Bunia-Watsa,… pour ouvrir des boutiques et vendre sur des étalages. « Les plus nantis importaient des produits à partir de Nairobi vu que la route de Kisangani devenait de plus en plus impraticable », indique l’historien Raphaël Kambalume, Chef des travaux et chercheur sur l’histoire des civilisations. Ils importaient de l’huile végétale, du savon de toilette, OMO, mayonnaise, fils à tricots, couvertures, objets scolaires, sacs, plastics,… y compris l’importation des produits pétroliers.
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Selon le chargé de développement et entrepreneuriat au sein de la FEC Butembo-Lubero, les nouvelles générations qui ont franchi les frontières de l’Afrique vers l’Asie, l’Australie, la Chine, le Canada,… sont des grandes entreprises actuelles à l’instar de la maison Palos, Nzoli, Kabed, Kahehero, Kisonia, Mahembe, Nganza,… et une multitude des jeunes entrepreneurs qui importent individuellement ou en groupe.
Le fondement de la richesse du Nord-Kivu c’est l’agriculture. « Les commerçants venaient du Nord-Kivu pour Kisangani y vendre des choux, pommes de terre,.. Ces pommes de terre étaient même chargées dans des bateaux pour être acheminées jusqu’à Kinshasa », embraye Julien Paluku.
Très attachée à la terre
Les commerçants et agriculteurs de Butembo Lubero se retrouvent actuellement dans presque tous les coins et recoins de la République. A part les produits manufacturés qu’ils vendent dans ces milieux, ils initient aussi des cultures vivrières, maraichères et même industrielles. Selon une recherche de l’institut interculturel dans la région des grands lacs, Pole Institute, sur la mobilité des populations de Culture Nande, « plus on s’approche des terres où vivent les Nandes, plus on a une diversité des produits agricoles et une certaine prospérité alimentaire. Plus on s’éloigne des zones habitées majoritairement par les Wanande, plus on fait face à des carences des produits agricoles, car les populations autochtones s’adonnent plus à l’exploitation minière et à la chasse dans la forêt qu’à l’agriculture », démontre cette recherche.
Au-delà de régions agricoles et commerciales, le peuple Nande se déploie également dans toutes les provinces pour des raisons d’opportunités d’emplois. Selon des témoignages, le peuple Nande a assez de facilités d’étudier et de se spécialiser dans des emplois comme l’enseignement, l’infirmerie… « Dans des agglomérations de l’ancienne province orientale, un bon nombre de premiers enseignants et des infirmiers sont originaires des territoires de Beni et Lubero », témoigne Marie Léa Wasukundi, ancienne enseignante à l’ISP Bunia et ancienne journaliste à la Radio CANDIP, aujourd’hui responsable de la sous station de la RTNC à Butembo.
Même son de cloche pour ce ressortissant de Mungwalo et qui vit actuellement à Butembo. « Le peuple Nande est très courageux par rapport à nous. Par exemple, moi si on me donne un travail de 2,5 dollars par jour, je vais d’abord évaluer ça et si on me dit de cultiver je ne vais pas accepter. Mais un Nande, il va travailler rapidement et très bien, avec un bon cœur. Il le fait bien comme si c’était son propre travail. Il vous cultive aussi de grands champs et achète des concessions et les mettent pleinement en valeur », indique Héritier Umirambe.
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Dans d’autres milieux, ce peuple est accusé de venir exploiter les terres d’autres provinces pour ensuite aller développer chez eux. « Il ne s’agit pas du pillage. Mais ce qui est sûr, un Nande préfère d’abord acheter une parcelle et construire une maison dans sa ville ou territoire ou même son village avant d’aller investir ailleurs. Même pour épouser, il doit venir chercher la fiancée dans sa communauté. Et en cas de décès, le corps est directement rapatrié à Beni ou à Butembo. Les Nandes sont très attachés à leurs terres », explique Wema Kennedy, journaliste écrivain et chercheur à Pole Institute, un institut interculturel dans la région des grands lacs.
Pour lui, ce déploiement des peuples Nandes vers d’autres milieux c’est pour des opportunités économiques et non pour des fins d’expansionnisme. Ainsi au Nord-Kivu, avant le mariage, on demande souvent à un garçon s’il a au moins une maison, un champ, ou encore une boutique… « C’est ce qui motive le travail qu’il doit faire. C’est une culture encrée dans la mentalité de la population du Nord-Kivu », opine Julien Paluku.
Un entrepreneuriat freiné par la guerre
L’euphorie démocratique de 2006 a vite fait long feu au Nord-Kivu, où diverses rébellions se succèdent, cohabitent ou s’affrontent, toujours sur le dos de la population. Avant cette période, les gens venaient de trop loin pour trouver en ville de Butembo les biens de consommation ou d’équipement parmi lesquels des électroménagers, machines, habits, chaussures… « Quand vous analysez le mobile de cette guerre, c’est pour détruire toute cette intelligence qui s’est installée dans la province du Nord-Kivu », insiste Julien Paluku.
La guerre a affaibli les opérateurs économiques du Nord-Kivu et d’ailleurs. Nombreux ont toujours demandé au gouvernement de penser à une certaine assistance notamment avec des allégements fiscaux. Ce qui serait un tremplin pour le développement économique de la RDC. « Mes activités dans l’agriculture et l’élevage sont interrompues à cause de l’insécurité. Mes hôtels à Butembo et ailleurs fonctionnent au ralenti. Mes usines sont à l’arrêt. Aujourd’hui, je me concentre sur la construction d’immeubles », se résigne-t-il. Même dans un environnement de guerre, la population de cette région ne se lasse pas d’imaginer des scénarios qui leur permettent de survivre. « C’est ce qui fait qu’il y ait une prospérité même pendant la guerre. Si vous allez au Nord-Kivu, déjà à 5h00 tout le monde est déjà débout pour aller au travail afin de chercher ce qui doit contribuer à l’émergence de la province », indique Julien Paluku.
Il faut arriver au Nord-Kivu pour comprendre que c’est une population dynamique. Ici, malgré la guerre, on développe des mécanismes d’autogestion, de satisfaction de ses besoins par le travail. Ainsi, on voit apparaître de grands projets d’infrastructures et de jolies villas à plus de 100 000 dollars. Pour le chargé de développement et de l’entrepreneuriat à la FEC Butembo-Lubero, l’entrepreneuriat exige un caractère de visionnaire, du courage, de la patience, de la curiosité, de l’innovation, de l’intelligence, de risque car dit-on « qui ne risque rien n’a rien ».
Umbo Salama
Parmi les forgerons il y avait des garagistes Cosmas, prime métal devenue un ONG humanaitaire fondation prime métal mundu ngawe (FPMN) certifié par l, ONU en embargo sur les armes depuis le 31 mars 2005 à Kinshasa , Amelac, mwalimu,Sandru,Deo,kalenganya,kyavu, procure,,munyangulo,mwamudu,mofrere ect .
Merci beaucoup pour ces précisions
C’est intéressant pour nous les jeunes appelés à connaître notre histoire. Merci de ces recherches.
Ca m’intéresse beaucoup cette histoire