Instauré pour mettre fin à l’insécurité et à l’extrême violence au Nord-Kivu et en Ituri, l’Etat de siège n’est plus à l’abri des soupçons. Durant cette période d’Etat exceptionnel le nombre de victimes a plus que doublé et des déplacements des populations demeurent inquiétants.
Dans la nuit du samedi au dimanche 11 mars 2023, des assaillants ont fait incursion dans le village de Kirindera, à 9 km de Kyondo, en groupement Masiki-Kalonge, en chefferie de Bashu (territoire de Beni), dans une région qui ouvre la voie vers le graben, bastion des plusieurs groupes armés. Ils ont incendié un centre de santé, un centre d’accueil ainsi que des maisons des civils et ont tué une vingtaine de personnes, avant de repartir. Cette attaque intervient après une autre, enregistrée le 8 mars dernier à Mukondi et Mausa, dans le groupement Buliki, toujours dans le territoire de Beni, tuant près de 40 civils.
Au même moment dans la partie Sud de la province du Nord-Kivu, des éléments du mouvement du 23 mars, M23, occupent de plus en plus des agglomérations des territoires de Rutshuru, Nyiragongo et Masisi, autour de la ville de Goma, la capitale de la province du Nord-Kivu. Dans d’autres coins, ce sont des groupes armés qui s’affrontent soit entre eux, soit contre les éléments des FARDC.
Toutes ces scènes entrainent des déplacements des populations, petits enfants attachés au dos de leurs parents, des chèvres tirées par une corde, des gens transportant des sacs, matelas et d’autres biens. Des scènes qui sont devenues familières dans l’Est de la RDC.
Rachel Kyakimwa vendait des boissons alcoolisées à Kiwanja. En octobre 2022, elle s’est enfuie avec sa famille vers Kanyabayonga, à la limite du territoire de Lubero et de Rutshuru. Aujourd’hui, elle gagne sa vie en vendant du charbon de bois. Etienne Habarugira, un agriculteur de 51 ans, et sa famille faisaient partie de ceux qui avaient fui un mois plus tôt. « Nous avons dû partir après une nuit effrayante où les coups de feu et les cris ont semé la panique dans notre village », dit-il.
Le nombre de mort a plus que doublé
Le conflit dans la région dure depuis des décennies et implique aujourd’hui jusqu’à 130 groupes armés qui se battent sur un éventail complexe de questions, y compris la terre et les ressources naturelles, selon le baromètre sécuritaire du Kivu, une initiative de cartographie de la violence en RDC pilotée par Human Rights Watch, une organisation non gouvernementale internationale, et l’Université de New York.
C’est ce bouleversement que le président Félix Tshisekedi a tenté d’éviter en imposant la loi martiale dans les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri le 6 mai 2021. Initialement mis en œuvre pendant 30 jours, les ordres de cette loi ont depuis été renouvelés au Parlement. Pourtant, l’insécurité persiste. Et à certains égards, elle s’est même accrue et les groupes armés que la loi martiale cherchait à saper restent actifs.
Katembo Obed, secrétaire du Bureau des personnes déplacées à Kirumba, une organisation non gouvernementale qui facilite l’aide humanitaire, affirme que l’état de siège a eu l’effet inverse de celui escompté. « Nous continuons à enregistrer des personnes déplacées venues des territoires de Rutshuru, Beni et même du territoire de Lubero », indique Kahindo Marie-Jeanne, responsable de l’ISRPON, une organisation qui intervient dans la prise en chargé des déplacés de guerre. « C’est un taux de déplacement beaucoup plus élevé que par le passé », embraye-t-elle.
Kahambu Vumilia, 48 ans, a fui sa maison à Mamove, près de la cité d’Oicha, en territoire de beni et vit actuellement dans une famille d’accueil à Butembo. « Nous avons entendu parler de l’Etat de siège, mais nous n’avons pas vu son impact parce que rien n’a changé », dit-elle.
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Le nombre de victimes civiles dues au conflit armé dans la région a cependant plus que doublé en une année. Entre juin 2020 et mars 2021, 559 civiles ont été tués dans le conflit armé au Nord-Kivu et en Ituri. Selon les Nations unies, il y a eu au moins 1261 victimes civiles entre juin 2021 et mars 2022. Dans un rapport publié en août 2021, la Commission Défense et Sécurité de l’Assemblée nationale a déclaré que « les tueries, les massacres, les viols, les braquages (…) se sont intensifiés dans les zones concernées », la période où l’Etat de siège était déjà institué.
Les gens continuent de fuir leurs maisons. Des informations font état d’enlèvements et de véhicules des civils, des structures sanitaires ainsi que des maisons d’habitation qui sont incendiés. Certains observateurs pensent que l’insécurité accrue pourrait être une réaction à l’imposition de l’état de siège, les groupes armés redoublant d’efforts pour saboter les initiatives du gouvernement.
Un Etat piégé dans des guerres non conventionnelles
Kahambu Vumilia n’est pas le seul à exprimer son scepticisme quant à l’utilité de la loi instituant l’Etat de siège. « L’armée congolaise mène une guerre non conventionnelle », explique un enseigne en géostratégie dans des université de la RDC. Il s’agit, ajoute-t-il, « d’une guerre irrégulière avec des rebelles déguisés en civils, attendant le moment opportun pour déséquilibrer l’armée ». Il compare la situation aux insurrections en Somalie et en Afghanistan, où les autorités ont du mal à faire la distinction entre les membres des groupes armés et les civils non armés.
Par exemple, dans la région de Djugu en Ituri, des membres du groupe armé CODECO, qui aurait été impliqué dans au moins 182 incidents violents entre avril et novembre 2021, vivent aux côtés de civils. Souvent, ce sont leurs fils, maris, frères et cousins. « Dans une telle situation, il est nécessaire que l’armée au pouvoir gagne la confiance de la population afin de démanteler les réseaux de groupes armés », explique cet enseignant.
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Une autorité militaire qui supervise un territoire sous Etat de siège, et qui a voulu rester anonyme, fait écho à la nécessité d’une coopération locale. « Il est important pour le gouvernement militaire que la population soutienne la loi martiale », dit-il. « Sinon, il n’y aura pas les résultats souhaités ».
D’autres soupçonnent des raisons plus néfastes pour l’Etat de siège. « Au lieu de rétablir la paix au Nord-Kivu et en Ituri, la nouvelle prolongation de cette loi pourrait avoir un impact sur les élections présidentielles prévues en 2023 », explique un analyste. « Dans la mesure où un pays en proie à l’insécurité n’est pas en mesure d’organiser des élections, et que le gouvernement n’aura d’autre choix que de reporter ».
S’attaquer aux causes profondes des conflits
Pour l’Amnesty international, l’« Etat de siège » est utilisé comme un instrument pour écraser la dissidence. « Un nouveau rapport dénonce les arrestations arbitraires de dizaines de personnes qui ont critiqué l’Etat de siège dans les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri », indique cette organisation qui milite pour le droit de l’Homme. Le colonel Guillaume Njike Kaiko, porte-parole des opérations Sokola 2, déclare que l’Etat de siège avait été déclaré en dernier recours. « Nous avons tout essayé avant d’établir que la situation n’allait pas s’améliorer sans donner à l’armée de la RDC des pouvoirs par la déclaration de l’Etat de siège », explique le colonel.
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Contre l’insécurité dans la partie Est de la RDC, tout a déjà été essayé : de la messe à des opérations des grandes envergures, en passant l’appui de la MONUSCO, des manifestations pacifiques et de colères ainsi que des « sit in », des mariages civilo-militaires, des recherches des groupes d’études, des descentes sur le terrain des membres du gouvernement, de la présidence, du parlement et même des délégués de la papauté. Le gouvernement a même placé des militaires et policiers à la tête des entités administratives sous Etat de siège. Il a aussi fait appel à des forces Etrangères : l’armée ougandaise, les forces de l’EAC,… sans succès.
Des analystes pensent que la loi martiale servirait de palliatif à moins que les autorités ne s’attaquent aux causes profondes du conflit. « Le gouvernement ne parvient pas à assurer la sécurité et la stabilité économique du pays. En conséquence, les civils se mobilisent souvent et prennent les armes pour protéger leurs communautés locales et sont susceptibles de saper l’autorité centrale et d’élargir le conflit en ciblant les rivaux ethniques, ce qui peut constituer une menace pour la stabilité à long terme », opinent-ils.
Mais la peur persiste. « Nous pensons qu’à tout moment, les rebelles peuvent infiltrer nos villages », dit Manzekele Siméon, qui hésite à regagner son champ à Komanda, dans l’Ituri. « Nous ne nous sentons pas en sécurité ».
Umbo Salama