Durant la grossesse, des hormones sont responsables de nausées, vomissements, insomnies, paresse, ou même de nervosité… Mais aussi d’envies étranges et inavoués. Ces envies peuvent aller de la consommation des mottes d’argile à l’envie de respirer la fumée d’échappements des voitures en passant par la consommation des fruits non murs et épices piquantes. Des pratiques qui peuvent nuire à la santé de la femme enceinte et même du fœtus.
Ce dernier jeudi de novembre, il sonne 12h45 sur ma montre quand une pluie s’abat sur la ville de Butembo, à environ 300 Km au Nord de Goma. Je m’abrite dans une boutique sur la rue d’ambiance, à quelques mètres de l’Hôpital Matanda. A côté de moi, trois femmes et d’autres hommes. Une femme, la trentaine, dénoue son mouchoir et en sort une motte de terre et se met à la croquer telle une carotte. La roche est dure. Une autre jeune femme, sollicite sa voisine de lui faire une portion aussi. Elle s’active et se sert du tabouret pour briser la roche. Elle est réduite en miette et redistribuée entre trois femmes. La première prenant la grosse part, parce qu’enceinte. Elles savourent toutes de la terre.
De la « Géophagie », explique M. Lusenge, Médecin à l’hôpital général de référence de Katwa, qui s’insurge contre cette pratique répandue parmi les femmes surtout enceintes. Selon lui, la consommation de ces mottes de terre peut être une source de vers intestinaux. Mais les gestantes pensent que manger de la terre « mûrit » la grossesse. Ces mottes de terre appelées aussi « Mabelés ou argiles en français » sont même vendues sur des étalages dans des marchés et même sur des rayons des supermarchés. Des femmes qui n’ont pas assez d’argent se contentent des mottes soutirées des murs de leurs maisons et les sucent en longueur des journées.
Allergiques aux conseils
D’autres femmes, même enceintes se privent de cette pratique. Dans un salon de coiffure, une dame essaie de conseiller une gestante qui croque une motte d’argile que son bébé va naître avec des saletés sur le corps, comme si l’enfant était dans l’estomac. Mais la dame enceinte réplique sans vergogne : « A l’approche de l’accouchement, je bois de l’alcool qui lave l’enfant des dépôts (de la terre) ». Une habitude à la limite de la criminalité. Une autre femme qui est aussi venue se faire belle dans ce salon, intervient pour dire à cette mangeuse de terre qu’elle nuit à la santé de son bébé. Mais elle reste méfiante aux conseils. « Sa grand-mère le lui a dit, sa mère le lui a répété, et elle est à sa huitième grossesse à coup sûr. Sept fois, elle a agi de la même manière. En plus, « tout le monde » mange cette terre que l’on vend bon marché », tempère Alphonsine Asifiwe, la cinquantenaire qui suit le débat avec attention.
Durant la grossesse, plusieurs femmes expriment des envies étranges. Si certaines souhaitent manger du gingembre, des goyaves et des mangues non « mûres » ou un même plat chaque jour,… d’autres vont jusqu’à avoir envie de respirer la fumée d’échappement des voitures ou des toilettes et même de manger du savon… « Une amie avait envie chaque fois de boire du carburant. Elle n’aimait pas manger chez elle. Elle aimait manger de mangues vertes avec du sel. Ce que son docteur lui interdisait. Et de fois elle trempait ses doigts dans de la lessive pour le suçoter en guise de dessert », explique Chantale Kamathe, rencontrée en train d’allaiter son troisième fils de cinq mois.
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Sa voisine qui est venue lui rendre visite embraye, pour sa part, qu’elle aime prendre du café tous les matins pendant la grossesse. « Aujourd’hui je ne veux même pas sentir ce café après l’accouchement. Tout est rentré dans l’ordre. J’aimais aussi manger un poisson saignant avec des frites et de la mayonnaise. Mon mari m’en apportait chaque jour au retour du boulot », embraye Kahindo Kasemengo, mère de quatre enfants. Un homme qui se trouvait dans le parage explique que sa femme a toujours envie de manger des oranges locales et boire au moins 1.5 litres de coca-cola chaque jour. « Si elle n’a pas encore pris son Coca-cola, elle me disait qu’elle a mal à la tête. Et côté cuisine elle aimait manger tout ce qui est salé et pimenté. Mais quand je demandais l’avis des infirmiers, ils me disent qu’il faut limiter de consommer pendant la grossesse certains produits comme du thé, café ainsi que des stimulants et des produits piquants… Mais je ne savais pas s’y prendre pour que ma femme cesse de les consommer », indique Kakule Kasyoto.
Pourtant informées sur les risques
Ces envies vont jusqu’à énerver certains maris. « Un ami m’avait appelé à 21h00 pour me demander de lui conseiller un médicament qui fera oublier à sa femme son envie. La dame lui réclamait des pizzas et hamburgers. Je riais sous cape parce que c’était vraiment drôle de demander une recette qui n’a même une année en ville de Butembo. Mais le mari était tellement sérieux qu’au finish j’ai eu pitié de lui », relate un gynécologue qui a voulu rester anonyme.
Certaines gestantes deviennent agressives, d’autres ont l’injure facile, jusqu’à l’accouchement ou même simulatrices… « Dès que mon épouse entre au deuxième et au troisième trimestre de grossesse, elle m’exige chaque soir de lui apporter au moins une bière Simba. Elle me dit souvent que c’est quand elle prend cette bière que le « Bébé » fait des mouvements », indique Jean Paul Kombi, qui vient de commander dans un bistrot à Lusando, vers la partie Sud de la ville, une bière à apporter à sa femme enceinte. Un Papa, qui s’était présenté comme Laborantin, tente de le dissuader que l’alcool n’est pas bon pour des femmes enceintes. Mais l’homme s’obstine et réplique qu’on veut porter préjudice son foyer. D’autres hommes préfèrent directement voyager pour échapper à ces attitudes une fois leurs femmes grosses.
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Mais plusieurs femmes disent connaître l’importance d’une alimentation équilibrée, saine et suffisante pendant la grossesse et même pendant l’allaitement. « Nous connaissons ces différents types d’aliments nécessaires pour nous des femmes enceintes. D’ailleurs on nous explique même ce qu’il faut prendre à chaque trimestre de la grossesse et le rôle de chaque aliment. Dans des salles où nous nous réunissons lors des consultations prénatales, il y a même des affiches et images qui expliquent mieux. Lors de ma première grossesse j’avais même un carnet où j’écrivais tout ce qui est recommandé durant la grossesse », indique Kahindo Siviholya, rencontrée à la maternité du centre hospitalier Makasi, à côté du bureau de la zone de santé de Butembo.
Mais nombreuses disent qu’elles ne parviennent pas à se procurer ces différents aliments faute des moyens financiers. Un argument que rejettent certains maris. « De fois, la femme en revenant de la CPN (Consultation prénatale) vous dit ce qu’elle veut manger selon ce qu’elle appris à la CPN. Quand vous revenez de la ville avec sa demande, elle vous dit qu’elle n’a plus envie de manger ce que vous avez acheté », se plaint Roger Kawalina, un opérateur économique.
Respecter une alimentation suffisante
Pour des nutritionnistes, certains produits ne sont pas dans nos habitudes alimentaires depuis le jeune âge. « Il y a même ceux qui ne consomment pas facilement des dérivés des produits laitiers comme du fromage ou du yaourt même si elles ne sont pas enceintes. C’est normal qu’elles rejettent aussi ces aliments lors de leurs grossesses », indique Georges Musavuli, chef des travaux et responsable du centre d’assistance aux diabétiques et obèses. Pour lui, l’alimentation saine et équilibrée doit faire partie intégrale du système alimentaire de chaque personne et non s’y atteler seulement lors de la grossesse de son épouse.
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Sans donner des statistiques, plusieurs maternités continuent à enregistrer des enfants nés avec un poids inférieur à la normale (2500 grammes). Selon les responsables de ces structures sanitaires, cette situation s’explique par plusieurs raisons, mais la majorité c’est par manque d’une bonne nutrition de la femme enceinte. Pourtant mieux nourrir la femme enceinte c’est l’un des moyens de combattre la malnutrition chez les femmes enceintes et prévenir les anémies, les morts maternelles et les morts-nés dans nos sociétés.
Selon des spécialistes de santé, une femme enceinte doit manger 5 fois par jour (3 repas par jour plus deux petits repas additionnels) des repas variés, équilibrés, sains et en quantité suffisante. Sa nutrition doit être constituée des aliments de base (les céréales comme : le maïs, le blé, le riz, le millet et le sorgho, et les racines et les tubercules tels que le manioc et les pommes de terre), des légumineuses telles que les haricots, les lentilles, les pois, les arachides, et les graines telles que le sésame, des fruits et légumes riches en vitamine A, des aliments d’origine animale incluant les aliments comme la viande, le poulet, le poisson, le foie et les œufs et les produits laitiers, ainsi que l’huile et la graisse fournissent de l’énergie additionnelle.
Umbo Salama