Plusieurs programmes ont déjà été lancés et continuent à être lancés afin de démobiliser des combattants des groupes armés en RDC. Au lieu de diminuer, ce nombre de mouvements armés va toujours croissant. Nous revenons sur les recherches de l’Assistante Angel Masika Kathina de l’UOR et le Chef de travaux Umbo Salama de l’UAC sur cette problématique de la Démobilisation et reinsertion des éléments Mayi-Mayi en RDC, des recherches publiées dans le N°22 de la revue interdisciplinaire « Etincelle ».

L’émergence du phénomène Mayi-Mayi
Les mouvements Mayi-Mayi ne trouvent pas leur origine seulement lors de deux guerres de la RD Congo de 1996-1997 (avec les troupes de l’Alliance pour la libération du Congo, AFDL) et 1998-2003 (avec les troupes du Rassemblement Congolais pour la Démocratie), comme peuvent le penser certains. Des chercheurs qui se sont déjà penchés sur cette problématique pensent que ces mouvements tireraient les racines de leur histoire dans l’ Afrique orientale, et ce, depuis le 19eme siècle avec la révolte des tanzaniens contre la colonisation allemande entre 1905 et 1907 dans la région du Tanganyika. Au Kenya, dans les années 1960, ces mouvements se faisaient appeler « Mau-Mau ». En RDC, il faut se référer à la rébellion de Pierre Mulele dans les années 1960.
L’expression Mayi-Mayi fait ici référence à des pratiques d’aspersion bénite ou d’absorption d’eau, et autres rituels magiques visant à rendre les combattants invulnérables aux balles ennemies. Les rebelles Simbas de Pierre Mulele devaient ainsi crier « Mayi Mayi » pour dévier les projectiles adverses. « Convaincus de l’efficacité des rites magiques qui les rendent invincibles, les Mayi-Mayi sont les héritiers des Mulelemayi du Kwilu ». Un jeune Mayi-Mayi l’avait bien affirmé aux deux journalistes Belges qui accompagnaient Jean-Pierre Bemba dans le Nord-Kivu, alors qu’il était à la tête du FLC (Front de libération du Congo) une coalition rebelle du RCD/KML (Rassemblement Congolais pour la Démocratie/Kisangani-Mouvement de Libération) et du MLC (Mouvement de libération du Congo): « Dites aux petits palestiniens de venir ici nous changerons leurs pierres en grenades ».
Mais pour revenir dans l’Est de la RDC, il faut dire que les premiers Mayi-Mayi furent recrutés à l’époque de Simba Mulele en 1964. Entre Septembre et Octobre de cette année, ces miliciens seront battus par l’armée congolaise sous la houlette de mercenaires Belges. Les combattants « Simba Mulele Mayi » vont se retrancher dans les montagnes du Ruwenzori. Ils se feront appeler d’abord des « Wakombozi (libérateurs) » avant de prendre le nom des Mayi-Mayi Kasindiens.
Pour arriver à ces jours où l’on compte une multitude de groupes se revendiquant de l’idéologie Mayi-Mayi, c’est une longue traversée du désert composée d’alliances parfois contrenature, de déchirements et des combats entre factions pour le contrôle de leadership… Leur seul point commun est « la référence à la rébellion originelle de 1964 et une réputation d’invulnérabilité et d’invincibilité » qu’ils mettent tous en avant. Et donc, le phénomène Mayi-Mayi, qui domine l’actualité de l’Est de la RDC à la charnière du 20eme et du 21 eme Siècle, est en réalité, un vent qui souffle de tous temps sous des formes diverses mais qui le rapprochent d’un certain point de vue, comme on peut le lire dans le point ci-dessous.
Différents courants dans le mouvement Mayi-Mayi
L’émergence des groupes armés Mayi-Mayi se fait sans aucun programme véritablement défini. Cependant, une idéologie patriotique anti-tutsie et anti-rwandaise est bien présente dans toutes les factions. Jean-Mobert Senga s’est d’ailleurs exclamé : « En RDC, toutes ces guerres… au nom des Tutsis ! ». Il s’étonne que des groupes armés soient utilisés par certaines autorités politiques voulant prendre leur revanche sur ceux qui sont perçus comme les « envahisseurs étrangers ». Lubala Mugish0, lui, les décrit comme une forme de résistance à l’occupation étrangère (Rwandaise, Ougandaise et Burundaise).
Jean-Pierre Bemba Gombo, parlant des Mayi-Mayi du NordKivu dans son livre « Le choix de la liberté » indique qu’ils sont constitués en trois courants : « le courant nationaliste auquel appartient la majorité des combattants qui luttent pour le retrait des troupes étrangères et la reconstruction du Congo ; le courant affairiste qui défend le système maffieux mis en place par les commerçants trafiquants qui opèrent en complicité avec les autorités politico-administratives ; et le courant sécessionniste qui refuse tout assujettissement à une autorité non ressortissante de leur groupe ethnique »
Dans cette même perspective, Gauthier de Villers, Jean Omasombo et Erick Kennes généralisent en considérant que les différents groupes Mayi-Mayi qui restent dans une large mesure, sont constitués soit sur une base ethnique, soit sur la base d’une alliance interethnique, soudée par l’hostilité à un groupe tiers, témoigne d’une grande autonomie et combinent, dans des mesures variables, des actions de résistance, la pratique d’exactions et de pillages à l’encontre des populations, l’exploitation des ressources minières et l’activité commerciale.
Résistants patriotes ou mythe de héros ?
Résistants, nationalistes, patriotes, combattants, forces négatives, assaillants… toutes ces expressions sont utilisées pour identifier des groupes armés et autres milices qui tirent leurs origines des conflits politiques, identitaires et fonciers apparus à l’est de la RDC. Ces conflits opposent, depuis des décennies, les communautés autochtones des provinces du Nord et Sud-Kivu à celles des Hutu et Tutsi originaires du Rwanda.Dans le cadre spécifique de notre problématique, il sied de se demander : « Pourquoi les Mayi-Mayi captivent autant les jeunes à l’Est de la RDC ? »
La résurgence de groupes armés comme le « Corps du Christ», « les Mayi-Mayi Mazembe » et autres ont eu des adhésions massives vers les années 2014 et 2017, alors que l’Est de la RDC est caractérisée par des tueries des populations civiles. Ces groupes sont allés jusqu’à s’imposer comme s’ils seraient des acteurs-clés pour mettre fin à l’insécurité. Ils ont eu très rapidement des adeptes. D’ailleurs, Roland Pourtier les décrivent comme « des acteurs incontournables de la poudrière du Kivu ». Mais qu’est-ce qu’ils ont de particulier pour avoir une assise considérable au sein de la population ?
Nulle n’ignore l’écho qu’avaient des films d’Arnold Schwarzenegger, Jean Claude Van Dame,… sur la jeunesse vers les années 1980 – 1990. Nombreux ont embrassé ces mouvements pour combler cette soif de se retrouver dans la peau des acteurs du cinéma Hollywoodien. Mais aussi, par son contrôle des zones rurales et par un discours rituel attirant, les Mayi-Mayi réussissent à recruter des centaines de jeunes et même des enfants. « Ils ont aussi tendance à se solidifier de plus en plus autour de groupes ethniques, qui fournissent tout l’encadrement de chaque bande, combattants, docteurs, et enfants-soldats (Kadogo) ».
On peut ainsi comprendre, pourquoi des jeunes n’hésitent pas à embrasser les mouvements Mayi-Mayi dès que ceux-ci font campagne. Dans la culture et les habitudes nutritionnelles des Mayi-Mayi, la viande est privilégiée dans le repas. « La nouvelle recrue (par exemple) mange le foufou de blé avec une poule ». Or dans les villages, manger de la viande est un luxe que ne s’offrent pas plusieurs familles. Aussi, le chef féticheur (car ils croient fortement aux fétiches), est appelé avec respect « Docteur » du groupe et il est vénéré. On sait le prestige dont bénéficient les médecins, surtout dans les villages.
Il y a aussi une idée de vengeance. Plusieurs jeunes ont été témoins des exactions commises par les forces en armes. Chaque fois après une bataille entre l’armée et les miliciens, il n’est pas rare de voir des soldats incontrôlés piller des biens des populations. Le désir de se venger pousse certains jeunes des villages à s’engager pour faire payer aux éléments de l’ordre ces crimes. Dopés par ce pouvoir facile à portée de main, les jeunes sont encouragés par le mythe du héros de guerre qui n’a pas besoin de passer par une académie militaire pour devenir capitaine, major, colonel, général… et se faire enfin respecter par ses concitoyens.
Le reflet d’une société déstructurée
Si on analyse les pratiques, le nom et le programme des Mayi-Mayi, on peut déduire que ces groupes représentent, en quelque sorte, un rejet de toute société et d’un Etat considéré comme défaillant ; une sorte d’enclave à vocation « égalitariste » dans un monde patrimonial, pour reprendre la formule de deux spécialistes de la question, Franck von Acker et Koen Vlassenroot.Mais le boom des Mayi-Mayi a bien été les guerres déclenchées en 1996 et en 1998. Après avoir rallié l’AFDL (Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo), les jeunes avaient ensuite rejoint les Mayi-Mayi pour combattre le régime de Laurent-Désiré Kabila au nom d’une idéologie anti-tutsie dénonçant la mainmise des Rwandais sur le pouvoir congolais.
La résurgence du phénomène vers les années 1990 se produit dans un contexte bien précis. Durant ces années, le Maréchal Mobutu, engage un processus de transition démocratique. Mal appliqué, le processus accélère la perte de contrôle de l’Etat sur certaines parties du territoire national. Des contestations et résistances contre le régime de Mobutu dominent l’actualité de l’Est du pays et de la région du Kivu, en particulier. Le Nord et le Sud-Kivu, en plus de la contestation politique, sont en même temps concernés par trois problèmes fondamentaux.
En premier, l’accès à la terre prend une importance considérable en raison de la pression démographique. Dans le Nord-Kivu, des chefs traditionnels perdent leur influence sur la question de la terre et de sa répartition, à partir de la loi de 1973 qui confie la propriété du sol et du sous-sol à l’Etat.
La question de la nationalité congolaise octroyée aux populations rwandophones du Kivu constitue le deuxième facteur de discorde. Cela n’a pas aidé à assurer des rapports de bon voisinage entre les différentes communautés. Enfin, le Nord et le Sud-Kivu sont frappés de plein fouet par l’arrivée de plus d’un million de réfugiés hutus qui s’installent dans l’Est du pays après le génocide de 1994, et par l’offensive rwandaise visant à éradiquer les camps de réfugiés en 1996-1997 tout en supprimant le régime de Mobutu par le soutien apporté à l’AFDL de Laurent-Désiré Kabila.
L’importance de cette littérature sur les groupes armés Mayi Mayi, dans cette problématique sur le processus de DDR est que plusieurs rapports et études présentent des mouvements Mayi-Mayi comme des milieux de refuge des jeunes issus des familles pauvres et sans emploi. Ce qui peut biaiser ce programme. Il sied ainsi de comprendre, dès le départ, ces mouvements, l’image que les populations se font de ces mouvements, avant de lancer un programme de désarmement, démobilisation et de réinsertion sociale.
Très bonne lecture. Cependant j’estime que le travail doit être approfondie pour toucher tous les aspects du phénomène May May. Car à mon avis, après plusieurs années, la nature des groupes armés au Kivu a connu des mutations considérables le rendant très complexe.
Merci beaucoup CT pour ce travail de qualité. Que Dieu vous augmente la foi et la connaissance.
Merci pour ce travail. Néanmoins nous aimerions connaître aussi le nombre des groupes armés qui sont presentes à l’est ainsi que les dénominations de ces mouvements, les nombres exact de ceux qui font partie de chaque faction et la motivation qui les poussent à ne pas opter au programme DDR.