Quitter Butembo pour Goma par voie routière est un parcours de combattant, en cette période où le M23 occupe la majeure partie du territoire de Rutshuru, au Nord-Kivu. Arriver à Kanyabayonga, il faut dévier vers Nyanzale, Mweso, Sake avant d’atteindre Goma. Ici, la moto est plus rapide que des véhicules. Il faut aussi affronter des bourbiers, des tracasseries militaires et des miliciens.
Glodi Mirembe et Jeremy Kyaswekera, sont des journalistes de Butembo. Le 13 décembre 2022, ils ont reçu une invitation de la GIZ (Coopération allemande au développement) et AFEM (Association des femmes des médias) pour se rendre à Bukavu, au Sud-Kivu, au plus tard le 16 décembre car, tous deux, ont été lauréats du prix du concours « Jinsia kwa Amani ou le genre pour la paix (en français) ». Il faut trouver un moyen de déplacement rapide afin de rallier Bukavu via la ville de Goma. Mais pas facile.
La première idée qui leur vient en tête est de voyager par avion de Butembo jusqu’à Goma, puis à bord d’un bateau sur le lac Kivu de Goma à Bukavu. Mais le seul avion qui relie Butembo à Goma, environs 45 minutes de vol, n’avait aucun programme de vol la semaine du 12 au 18 décembre. L’autre option, était de se rendre à Beni en voiture, et prendre l’avion de Beni à Goma. Mais il n’y avait plus de place à bord.
La dernière option, et qui restait, était d’aller en moto, contourner vers Nyanzale, Tongo, Sake, sur une route délabrée avec des bourbiers et traverser même des zones où des hommes en armes règnent en maîtres, avant d’atteindre Goma. « Ce trajet nous prend au moins deux jours. La route n’est pas du tout praticable. Si vous quittez Butembo le jeudi, l’arrivée probable à Goma c’est le samedi soir, et encore s’il n’a pas plu », explique un responsable d’une agence de voyage à Butembo. « On n’a pas de choix. On va en voiture ou en moto », indique Jeremy Kyaswekera, un des journalistes, après un soupire.
Aux environs de 14 heures du mercredi 14 décembre, la moto que les deux journalistes empruntent quitte Butembo pour Kirumba. Ils passent nuit dans cette agglomération située à environ 130 Km au Sud de Butembo, dans le territoire de Lubero, « Nous avons passé nuit chez le chauffeur où nous avons été accueillis », indique l’un des journalistes. Le lendemain très tôt matin du jeudi 15 décembre, les deux journalistes poursuivent leur voyage jusqu’à Kanyabayonga, à la limite du territoire de Lubero et de Rutshuru, à environ 180 Km au Sud de Butembo. A Kanyabayonga, c’est un autre motocycliste qui les prend jusqu’à Mweso, sur une déviation du tronçon Kibirizi-Nyanzale. Arrivés à Mweso, un autre taximan prend la relève jusqu’à Kitchanga et afin c’est celui de Kitchanga qui les amène jusqu’à Goma.
Tunnel du calvaire
Depuis la suspension des trafics sur la RN2 au niveau du territoire de Rutshuru suite à la guerre du M23, plusieurs passagers qui veulent atteindre Goma par route endurent ce calvaire. A part cette longue distance à parcourir à moto, la zone est aussi un bastion des plusieurs groupes rebelles. Certaines zones sont occupées par des FARDC, d’autres par des NDC (Nduma Defense of Congo), d’autres encore par des Nyatura et dans d’autres milieux ce sont des FDLR qui règnent en maîtres. « Il y a une grande tracasserie sur cette route de déviation contrairement au trafic que nous faisions sur la route principale. Il y a plus des barrières gérées par des FARDC, la PNC et d’autres supervisées par des groupes armés. A certaines barrières on vous fait payer par bagage : votre sac à part, les poireaux à part, les ananas à part, et ainsi de suite », égraine un chauffeur rencontré à Kanyabayonga. Un conducteur de moto taxi ayant de document de bord en ordre estime à plus de 35 dollars américains les dépenses sur ce tronçon.
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Vers Nyanzale, dans un théier, une barrière militaire est érigée en pleine brousse. Ici, le taximan sans même qu’on lui demande les documents de bord, il paye directement 500FC pour lui et chacun de ses clients. A environs 30 minutes de route sur la moto, c’est une barrière tenue des miliciens FDLR, où chaque client est obligé de payer 1000FC et 500FC pour ses bagages. À Mweso dans le territoire de Masisi, t des miliciens de Nduma Defense of Congo traquent à leur tour des conducteurs des motos taxi qu’ils débarquent pour leur déplacement d’un village à un autre. Et vous n’avez pas droit de les dépasser, quand vous roulez dans la même direction avec eux. S’ils s’arrêtent, vous vous arrêtez aussi. « J’ai abandonné mes clients comme si j’avais une course importante qui peut générer assez d’argent. Et voilà ce que ça donne. Ils nous traitent comme ils veulent. C’est vraiment dur, c’est pour moi une perte », explique un motard qui a voulu rester anonyme.
On n’ a pas de choix…
Ceux qui ne veulent pas subir ce calvaire sont obligés de voyager soit en avion, avec des risques d’être plusieurs fois débarqués ; ou directement contourner par le Rwanda et l’Ouganda avant de déboucher sur le Congo part le poste frontalier de Kasindi. « Ceux qui utilisent ces voies ont raison. Mais de fois on est bloqué par des moyens financiers. Mais sur cette route de déviation, de fois des miliciens vous débarquent de la moto pour leurs activités. Et à ces moments les passagers doivent se débrouiller pour continuer la route alors qu’on a déjà payé son billet. Il y a trop de stress vraiment », regrette Jeremy Kyaswerera, qui a vu des passagers être débarqués de leur moto sur cette route.
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On y trouve aussi des véhicules bloqués dans des bourbiers ou déjà en panne. Sont seules les motos qui peuvent faire une journée sur cette route, contrairement aux véhicules qui y mettent des jours voire des semaines. « Les motos passent oui presque facilement. Mais il faut de la force. Rien ne se gagne sans effort. Le comble est que quand j’arrive à la maison, la femme aussi a tendance à négliger l’argent que je lui donne pour la ration », se lamente un conducteur de moto taxi en partance pour Goma, lors de son passage dans un bourbier, au village Kihondo, dans le territoire de Rutshuru.
Certains chauffeurs des bus, Fusos, voitures ainsi que leurs clients se débattent pour sortir des véhicules des bourbiers. D’autres mettent de côté leurs véhicules pour éviter tout risque d’accident. Tout le temps qu’ils sont sur cette route, ils se nourrissent des maïs et des bannes grillés. On peut lire sur les camions « Barabara tabu njia matata (une route de calvaire) » ou la vie est un combat « Tembea ona mufupa ya chawa (Dans le voyage on peut découvrir l’os d’une poux ». Pour nombreux, « on a pas de choix et on n’a pas où se plaindre ».
J. Kyaswekera, G. Mirembe et Umbo S.