Dans la province du Nodr-Kivu, la plupart des villes, territoires et villages ne portent pas leurs noms d’origine. Les appellations actuelles de ces entités ne signifient presque rien dans les langues locales. Le comble, est que même l’administration fait la publicité de ces noms erronés.
Si certains noms ont été changés avant la colonisation, d’autres ont subi des changements durant la colonisation et c’est la majorité. D’autres encore après cette période coloniale. « Les colons eux savaient écrire et ce qu’ils écrivaient c’est ce qui restait comme nom de ce lieu. C’est pourquoi la majeure partie des noms ont été changés pendant l’époque coloniale », indique Kahindo Kambalume Raphaël, Chef des travaux et chercheur en histoire des civilisations.
Pourtant pour donner un nom à un lieu ou même à une personne, il y a des normes linguistiques, sociales et sociologiques qui doivent présider à cette nomination. Dans d’autres pays, il y a des lois pour changer des noms. Le parlement et le ministère de la justice doivent se prononcer au préalable.
Des dénominations sauvages
Selon le professeur Butoa Balingene, le nom est un instrument de paix, de cohésion, d’harmonie et de sentiment d’appartenance. « Mais ici il y a des noms qu’on change seulement pour plaire à une catégorie des gens ou bien par ignorance ou encore par la volonté de changer l’histoire surtout que le nom est un élément historique », explique le Professeur qui a travaillé sur plus de 3400 noms des lieux du Nord-Kivu, dans différents groupements. « Il s’agit d’une dénomination sauvage », indique le Professeur dans sa thèse doctorale portant sur une analyse sémiotique de la redénomination des macro-toponymes au Nord-Kivu. « Imaginez ! Vous êtes né et vous avez grandi dans votre village. Vous vous déplacez et à votre retour, le nom de votre village a déjà changé. C’est la catastrophe dans votre identité », embraye Professeur Butoa.
Selon lui, sur les trois villes et sept territoires de cette province aucune entité ne porte son nom authentique. Prenons par exemple Goma, la capitale provinciale du Nord-Kivu, qui normalement s’appelait « Ngoma ou tambour » en référence au bruit assimilable à celui du tambour provoqué par l’éruption volcanique. « On croyait qu’il y a des gens qui jouaient au tambour dans ces montagnes. D’où le nom de « Ngoma (Swahili) » qui signifie tambour », explique Benoit Katavali, qui s’intéresse à des études identitaires et culturelles de la région. En effet, Goma n’a aucune signification dans les langues du Nord-Kivu, mais « Ngoma » se comprend facilement dans plusieurs langues locales.
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C’est aussi le cas de Beni, à environs 350 Km au Nord de Goma. Le nom authentique de cette ville c’est « Mbené (chèvre en français) ». Selon plusieurs sources dans cette ville, ici habitait un homme qui avait beaucoup de chèvres et on l’appelait « Mbené » et quand les colons sont arrivés, au lieu d’écrire « Mbené » ils avaient écrit Beni. A environs 50 Km, au Sud de Beni, il y a aussi la ville de Butembo qui tire ses origines d’un arbre avec des larges feuilles qu’on appelle « Muthembo ».
Trop de noms déformés
Mêmes des noms des tous les territoires ont été transformés. Si on prend l’exemple de Rutshuru les Rwandophones, eux, parlent de « Rutshuro » qui signifie une mêle pour moudre. Le Muhunde, lui parle de « Lwitshuru » en référence à une rivière qui traverse la cité de Rutshuru. C’est aussi le cas de Lubero qui n’a aucune signification dans le Kinande. Mais, il tire ce nom de la déformation « Lubiru », une rivière qui traverse ce coin et qui signifie plongeons. « Quelqu’un plonge dans l’eau pour aller apparaitre de l’autre côté », explique Kambalume Raphaël.
Prenons aussi Walikale. Le nom authentique c’est « Nduma Ya karekare ». Ici on trouve la rivière Lowa. Selon la mythologie du coin, sur cette rivière il y avait un pont que seul celui qui s’exprime à Kinyanga peut traverser. « Si vous ne maîtrisez pas cette langue, le pont chavirait. Le mieux c’était de se faire accompagner par quelqu’un qui parle Kinyanga », indique un journaliste du coin. C’est ce pont qu’on appelait « Nduma Ya Karekare » pour dire « le pont des anciens ». Même Masisi vient de « Sisi » qui signifie danger et quand il y a plusieurs dangers on ne dit pas « Amasisi » mais on dit « Asasisi ». « Normalement si on respectait la norme linguistique on allait écrire Asasisi. Et aujourd’hui on écrit Masisi au lieu de Sasisi », regrette le Professeur Butoa. Nyiragongo, vient de la déformation « Nina Ongo » pour dire la « Mère de Dieu ». Selon la mythologie de la zone, on pensait que Dieu habitait dans le volcan et donc que sa Mère habitait aussi dans le coin.
Prendre conscience de son identité
Il y a aussi d’autres noms des agglomérations qui sont ne sont pas authentiques. C’est comme Kanyabayonga. Ce nom n’a aucun sens ni à Kinande, ni à Kihunde encore moins à Kinyanga. Son nom original c’est « Kanyonga Bayinga », pour signifier « ce qui broie les idiots ». « C’est un milieu commercial et les femmes libres étaient très malignes pour accueillir des commerçants non pas pour les servir mais pour les exploiter (Kubanyonga). Et ceux qui se faisaient exploiter on les appelait des idiots (Bayinga) », révèle Evariste Mali, un notable du milieu. Certains commerçants ne revenaient pas avec des marchandises car déjà broyées à « Kanyonga Bayinga ». Il y a aussi d’autres noms des entités comme Cantine, Sayuni, Amini yesu qui n’ont aucune signification à Kinande. Dans des villes et territoires on trouve aussi des quartiers qui portent des noms importés : Maroc, Botswana, Kigali, Mozambique,…
Le comble est que même dans des services administratifs ce sont ces noms qui sont aussi adoptés. Selon plusieurs chercheurs, nombreux ne se préoccupent pas de leurs noms ainsi que de leur identité. Même nombreux ont honte de dire leurs noms. Au lieu de s’appeler Kambale, Ndoole,… ils préfèrent des noms tels que François, Claude, Lionel,… « C’est le début du malheur congolais. On ne considère pas la terre que les ancêtres nous ont léguée. Il faut revenir à notre identité. Ces noms piétinent notre identité », tonne professeur Butoa.
Un grand travail car il y a des actes de naissances, diplômes et plusieurs documents qui portent ces noms. « Le Congo s’appelait Zaïre. Ça n’a pas posé de problème. Goma n’est pas plus grand que le Congo. Là où on écrivait Zaïre, on écrit aujourd’hui Congo. Ça n’a jamais causé des problèmes. Il suffit seulement de prendre conscience », suggère le Professeur.
Umbo Salama
Nous vivons une génération perdue. The lost generation