Quand arrivent les grandes sessions et surtout la fin de l’année académique, des services de recouvrement des institutions supérieures et universitaires veulent que chaque étudiant soit en ordre avec les finances. Certains étudiants récalcitrants cherchent sans relâche des techniques afin d’échapper à ce recouvrement et participer aux sessions.
Vers 9h du vendredi 16 Décembre 2022 à l’UNIGOM (Université de Goma), un étudiant inscrit en médecine humaine s’est fait passer pour un maçon. Marteau à la main, casquette sur la tête, pantalon rétréci, il escalade les échafaudages placés devant le campus du Lac (Kinyumba) pour sa réfection. Objectif : échapper au contrôle des agents de recouvrement, qui, en cette fin d’année, musclent le contrôle financier. De cette manière il pouvait atteindre la salle d’examen par la fenêtre. Ce geste a interpellé la conscience des agents qui ont organisé immédiatement une quête pour lui payer ce qui lui restait à verser dans les comptes de l’Université.
A la fin de l’année académique, surtout lors des dernières sessions des examens, des agents de recouvrement des universités et institutions supérieures sont souvent, si pas toujours, trop fermes. « N’ont accès aux examens que des étudiants qui ont déjà payé la totalité des frais académiques », lancent-ils à ceux qui sont concernés par ces examens. Malgré cette interpellation, des étudiants trouvent toujours des moyens pour échapper à ce recouvrement en vue d’accéder à la salle des examens. « Ils nous créent la vie difficile. Un étudiant peut vous solliciter de signer une décharge qu’il pourra honorer par exemple lors du dernier examen. A la date convenue, il vous baratine encore et vous dit qu’il va payer lors de l’affichage des résultats. Et à la fin il disparait dans la nature », confie un administrateur de budget dans une université de Butembo, à environs 300 Km au Nord de Goma.
Dans d’autres universités, l’étudiant compte sur le réflexe de certains de ses camarades aptes à modifier leur écriture. « Quand on finit son examen, avant de déposer la copie, je peux demander au surveillant de me passer une autre fiche car ce que j’ai a des problèmes. Cette deuxième fiche, je la complète au nom de mon ami. Et il me restera au moins reconnaissant », explique sans vergogne, un étudiant en développement rural. Pour lui, ce système l’aide à renforcer son cercle d’amis. « Le mode collaboratif fait partie aussi de la vie estudiantine. Si ce n’est pas le cas, pourquoi alors certains enseignants privilégient des travaux pratiques en groupe tout en sachant que c’est une ou deux personnes qui vont s’y concentrer ! », tente de se justifier Justine Kahimba, étudiante à Bunia.
D’autres encore complètent leurs noms sur la liste de présence au stylo alors que ces fiches viennent avec des noms préalablement écrits à l’ordinateur et des enseignants donnent des côtes sans savoir l’état financier de l’Etudiant. Ces cas nous ont été rapportés par plusieurs gestionnaires des universités de Butembo : « Il y a des fois où vous venez découvrir qu’un étudiant a plus de deux ans impayés quand arrive le moment de défense de son travail de fin de cycle. Comme il n’y a pas de sanction dans ce sens, on lui exige seulement d’honorer la totalité de ce qu’il doit à l’institution avant de défendre son travail ». Même dans des institutions où des étudiants déposent les frais académiques à la banque certains arrivent à falsifier les bordereaux de versement pour tromper la vigilance des services de finances.

Insécurité et pression salariale
Plusieurs gestionnaires et administrateurs des budgets indiquent que ceux qui viennent avec des problèmes financiers se justifient souvent que leurs parents ou tuteurs n’ont plus d’emplois ou n’accèdent plus à leurs champs ou même ils ont été tués lors de l’incursion des hommes dans tel ou tel autre village. « Ces gestes des étudiants devraient interpeller le ministre des affaires sociales pour qu’il assiste les étudiants des zones touchées par la guerre. Ils devraient tout aussi interpeller le ministre du budget pour que les frais de fonctionnement des établissements de l’ESU (Enseignement supérieur et universitaire) des zones en guerre soient décaissés d’urgence pour diminuer la pression locale sur les étudiants provenant des familles pauvres en errance », suggère le Professeur Muhindo Mughanda, Recteur de l’UNIGOM.
De leurs côtés, les agents de recouvrement et des gestionnaires doivent faire face à la pression des agents et autres membres du personnel de l’institution. « C’est la fin de l’année. Les agents doivent aller en vacances. Et nous devons aussi payer tous les honoraires de prestation des enseignants. Et c’est cet argent qui peut nous aider à sortir de ce gouffre », se justifie un Directeur Général d’une institution supérieure privée en ville de Goma. Mais ces genres de pression sont aussi observés dans des universités publiques qui jouissent de la subvention du gouvernement.
« C’est pourquoi le gouvernement devrait procéder à la paie des agents non mécanisés de ces établissements pour diminuer la pression salariale sur les gestionnaires qui se sentent parfois obligés de chasser les étudiants pour recouvrer les frais qu’ils détiennent encore en vue d’honorer la prime locale. Mais aussi, le ministre de l’ESU doit multiplier des plaidoyers auprès du gouvernement pour une prise en charge adéquate des enseignants et des établissements qui sont sous sa responsabilité », embraye le Professeur Muhindo Mughanda. En effet, dans plusieurs institutions publiques ou privées, le nombre du personnel mécanisé et payé par le gouvernement congolais est souvent inférieur au personnel qui se contente de la prime locale.
Jeux du hasard et affairisme des étudiants s’en mêlent
La thèse de lier le problème financier des étudiants à la pauvreté des parents ou à l’insécurité n’est pas non plus à généraliser. Des rares parents qui se rendent dans le milieu d’étude pour s’enquérir des Etats financiers de leurs enfants en reviennent déçus. C’est comme cette maman rencontrée dans la cours d’une université de Butembo. Assise dans la pelouse, devant le bureau de la comptabilité de cette université, regard perdu, les mains aux joues, voulant fondre en larme. Elle explique : « Je savais que mon fils devait encore 50 dollars. A ma grande surprise, il a encore des dettes de la première année ; il n’a rien payé en deuxième de graduat et même pour cette année, alors qu’il doit défendre son travail… Il faut aussi avoir pitié de nous les parents », se lamente-t-elle.
A la réception de ces frais, plusieurs idées viennent directement dans la tête des étudiants. Si certains croient qu’ils peuvent impressionner des filles, d’autres pensent qu’ils peuvent fructifier cet argent avec des petits commerces d’habits ou des téléphones ou même avec des paris lors des rencontres de football. « Il y a un de mes frères qui étudiait à l’UCG (Université catholique du Graben). Quand on lui envoyait des frais académiques, il en faisait ce qu’il voulait. En certains moments ses parents avaient arrêté d’envoyer de l’argent. Il était obligé de changer d’établissement. Malheureusement, il n’avait pas réussi à s’en sortir là où il était parti. Il avait même joué au pari foot, sans succès. Il avait même eu l’idée de falsifier les bordereaux de payement pour participer aux examens. Malheureusement il avait été attrapé et renvoyé », explique André Miguel, proche de cet étudiant. Selon notre interlocuteur, cet étudiant a maintenant plus de dix ans, il n’a jamais fini même le premier cycle, et aujourd’hui il n’espère plus rentrer auprès de sa famille car il ne sait pas ce qu’il pourra dire aux parents.
Selon Nicolas Kavutirwaki, gardien d’une maison de pari foot, aussi longtemps que ces maisons de jeux du hasard et de casino continueront d’exister, les universités et institutions supérieures courent le risque de se retrouver sans étudiant. Selon lui, le mieux c’est que le parent puisse chaque fois passer à la comptabilité de l’université pour payer les frais académiques. « Vous-même vous voyez comment le nombre de ces maisons est en croissance dans la ville. C’est une preuve que la clientèle augmente. Et les clients ce sont des étudiants surtout que plusieurs championnats coïncident souvent avec la période des examens », contextualise-t-il.
C’est souvent ceux qui ont des facilités financières qui tombent dans ces pièges de casino, jeux du hasard, pari-foot, petits commerces avant de penser leurs scolarités académiques. Selon plusieurs sources, pour eux, un simple coup de fil suffit et boom l’argent est transféré. Mais pour d’autres, ils sont obligés de mettre du sérieux dans tout ce qu’ils font.
Umbo Salama
Merci infiniment pour l’article !
Ça nous interpelle tous !