La descente aux enfers de la Kasiksi, ce vin produit à base des bananes


Kasiksi ou Kasi-kisi, c’est cette bière produite à base des bananes qu’on aime locale et qui immortalise la culture des plusieurs peuples du Kivu, à l’Est de la RDC. Mais l’apparition du wilt bactérien, cette maladie qui décime les bananiers, gâche petit à petit toute cette ambiance qui a toujours régné au tour de ce vin. 

Quand une feuille morte de bananier flotte sur une petite hampe en bois, dans un carrefour ou perché sur la clôture d’une parcelle, dans des quartiers de Beni-Lubero, à environs 300 Km au Nord de Goma, à l’Est de la RDC, c’est un signe de quelque chose : « le Kasiksi est en vente ici ». C’est un annonciateur d’un bar de Kasiksi, une boisson locale brassée à base des bananes.

Ce soir du samedi 1er Octobre, en commune Kimemi, en ville de Butembo, des clients arrivent en compte-goutte dans la buvette de Nya Munywa, au quartier Fatuma, un des coins chauds de la ville de Butembo. Une musique reposante et un reggae en Kinande (langue locale très parlée dans la Région), la Rumba congolaise suivie de la musique d’Afrique de l’Est, emplit la petite buvette. Pour les clients, l’heure est aux bals, aux bavardages et aux rires comme si enfin les groupes armés responsables des enlèvements, tueries, massacres et autres atrocités s’étaient volatilisés dans la nature pour de bon. Sa fierté est de créer un environnement de sérénité et de camaraderie pour une quarantaine de clients qui fréquentent ce bar chaque jour.

Une boisson qui rassemble © La voix de l’UCG

Pour les clients, « la Kasiksi leur offre des moments charmants pour noyer leur infortune et se mettre à l’abri de la douloureuse réalité de l’insécurité devenue leur lot quotidien », confie Jean Marie Mumbere, un des clients fidèles. Il ajoute que la Kasiksi est aussi le symbole de paix, de possibilité et de lien dans la communauté locale. C’est sont des grands lieux de rencontre. Des amitiés s’y tissent, certaines personnes y trouvent même des orientations sur les difficultés qu’ils traversent… « Ce sont des véritables lieux de palabre. On y trouve des conseils, on discute de tout et de rien et on parle librement. On a même des occasions d’exécuter quelques pas de dance », explique Alphonse Kyamakya, qui vient d’ingurgiter son verre de ce vin dans une buvette au quartier Malepe, en ville de Beni.

Pour des fins rituelles

Cette bière est appréciée aussi pour ses valeurs nutritionnelles. elle est faite à base des bananes, du sorgo, millet, blé et de l’eau potable. « Ce qui fait d’elle une boisson naturelle, nourrissante et pleine de vie », témoignent plusieurs consommateurs. « Elle est une des meilleures boissons car elle ne cause pas des maladies comme la cirrhose de foie. Elle n’est pas comme des liqueurs fortement alcoolisées qui vous causent de la gueule-de-bois », témoigne Benjamin Mayongesa, vendeur de cette bière à Kalimbute, en ville de Butembo.

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Il y a quelques années, cette bière était en grande partie réservée aux vieux. Aujourd’hui, on voit un engouement des jeunes, filles et garçon et garçons, qui en consomment. D’ailleurs nombreux n’acceptent plus de prendre d’autres bières en dehors de la Kasiksi. « Nos vieux qui buvaient de la kasiksi continuent de la prendre jusqu’aujourd’hui. Si vous regardez bien quelqu’un ne peut pas vivre plus de dix ans en train de consommer des boissons trop alcoolisées », réagit un preneur en donnant le jarre à son voisin.

Des feuilles des bananiers servent de toiture ou des matelas © Photo droit de tiers

Elle intervient aussi dans des grands événements. Lors de la pose de la première on verse d’abord une certaine quantité de cette bière à l’endroit où sera érigé l’édifice. La même cérémonie se fait à la coupure du ruban symbolique lors de l’inauguration. « La Kasiksi et même le bananier ont un sens lors de l’intronisation d’un chef. Cette boisson fait partie de nos valeurs culturelles. Nous avons à intérêt à la protéger. D’ailleurs lors des palabres, le chef exige les protagonistes de donner d’abord un bidon de cette boisson pour motiver ceux qui vont participer à ces échanges », explique un chercheur en identité culturelle et qui a voulu rester anonyme.

Makasi Kasereka, enseignant au secondaire dans la région, affirme que les bananiers en général, et le kasiksi en particulier, revêtent une profonde signification pour la communauté. Le bananier, par exemple, sert à de nombreuses autres fins, notamment pourl’utilisation de ses lanières séchées dans la construction des toits et de ses feuilles en lieu et place de matelas. « Aucun chef de village ne peut être intronisé en l’absence de kasiksi, et il en va de même pour les festivités du mariage », précise-t-il.

Dans d’autres contrées, on lui attribuent même des pouvoirs magiques ou mystiques de protection contre des actes de criminalité ou d’insécurité. Une thèse qui n’est pas encore assez d’adoptée car difficile de prouver. « Nous voyons des gens prendre cette bière lors des manifestations de colère ou quand ils se rendent dans des zones en proie à l’insécurité. Mais nous ne savons pas encre les effets que cela peut produire. Ils disent que c’est « Asili (coutume) », explique Salomon Kitakya. Avant de prendre son verre, il déverse quelques gouttes de cette bière au sol, selon lui, pour communiqué avec des aïeux.

Entre 5 et 15 % d’alcool

C’est une bière issue de la fermentation des bananes de la variété “Musa acuminata (Matsipa en kinande)“. La fermentation se fait dans une cuve en bois. Le jus est obtenu en brassant (ou en pressant) des bananes mûres à l’aide de la paille et des mains. Une fois toutes les bananes écrasées, on y ajoute une quantité suffisante d’eau pour diminuer la teneur en sucre. Une préparation de malt de mil ou de sorgho germé, légèrement grillé et moulu, sera répandue au-dessus du jus, puis le tout sera recouvert de feuilles de bananier et conservé dans un local bien chauffé durant 3 jours.

Du jus obetnu à base des Bananes © Photo droit de tiers

Selon les procédés de fabrication, la concentration sera comprise entre 5 et 15 % en volume d’alcool. À la fin de la fermentation, la kasiksi est à nouveau filtré et doit être consommé dans la semaine. Selon la teneur en sucre et en sorgho, on obtient de la Kasiksi de première, deuxième ou troisième qualité. « Cette bière offre aux membres de la communauté l’occasion de faire la fête ensemble », explique Kambale Shangwe, un brasseur rencontré à Munoli, au Sud de Lubero. Le commerce de cette bière connait aiusi du boom. À en croire ceux qui se lancent dans cette activité, ils peuvent vendre jusqu’à cinq jerrycans chaque jour.

Le wilt bactérien gâche la fête

Il y a plus de dix ans, cette boisson a connu le boom de son business. Mais l’âge d’or de cette boisson s’éclipse petit à petit avec l’apparition de la souche du wilt bactérien qui a décimé environ 75 pourcent des bananiers dans la région. Avec la propagation de la maladie, les brasseurs, vendeurs et clients locaux sont hantés par la peur de perdre cette boisson. À l’unisson, ils en appellent aux agronomes locaux de trouver de nouveaux moyens de parer à ce mal baptisé « Ebola du bananier ».

De plus en plus des bananerais disparaissent suite au ravage du wilt bactérien, Ebola des bananiers

Entre autres symptômes du wilt bactérien, figurent le flétrissement de feuilles, le dessèchement du bourgeon mâle, le murissement prématuré du fruit et l’émission de liquide jaunâtre. Cette maladie a atteint un niveau record en 2016. « Nous l’avons surnommé Ebola car elle est très contagieuse et d’une impitoyable désolation, pour le plus grand malheur », indique Matabishi Kavugho, ancienne productrice de bananes dans la région.

Aujourd’hui, plusieurs bananerais ont déjà cédé place aux eucalyptus ou à la culture vivrière. Les rares agriculteurs qui tentent de relancer leurs bananerais, ne plantent pas la variété Musa acuminata, très utilisée pour la production de Kasiksi. La culture de kasiksi, cette marque de bière qui est utilisée en tout et partout, dans des rassemblements dans les quartiers aux rites d’intronisation de chefs coutumiers, reste exposée au péril. « Si l’on n’y prend pas garde, les vendeurs de la bière kasiksi vont fermer leurs buvettes pour de bon, ce qui entraînera inévitablement la perte totale de notre identité culturelle », avertit Matabishi Kavugho.

Umbo Salama


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