Dans la prévention contre le paludisme en RDC, deux moyens de lutte sont souvent utilisés : l’insecticide et les moustiquaires imprégnées. La population se bouscule pour les obtenir en grand nombre lors des campagnes de distribution gratuite. Mais, dans plusieurs coins du pays, des cas de paludisme ne cessent d’augmenter. Selon plusieurs chercheurs, la pulvérisation intra-domiciliaire et les moustiquaires imprégnées ont déjà montré leurs limites…
Ce mardi 28 juin 2022, pour la nième fois, les autorités du Nord Kivu, en RDC, ont lancé une campagne de distribution gratuite de moustiquaires imprégnées d’insecticides pour lutter contre le paludisme. Sur place, des autorités politiques, administratives, sanitaires et même de la société civile ont vanté les mérites de cette technique anti-vectorielle dans la lutte contre le paludisme.
« Qu’on le veuille ou pas, la moustiquaire imprégnée d’insecticide est un outil indispensable dans la lutte contre la malaria. Elle protège contre les piqûres de moustiques grâce aux voiles qui la forment. Elle tue ou éloigne les anophèles par l’action de l’insecticide. C’est l’outil qui nous permet de protéger les plus vulnérables d’entre nous contre la malaria, à savoir : les femmes enceintes, les bébés, et les très jeunes enfants », explique Evariste Mutsunga, expert en santé communautaire et agent à la DPS (Division provinciale de la santé) en ville de Butembo. Selon des rapports de l’OMS, l’utilisation de la moustiquaire imprégnée d’insecticide a contribué à éradiquer des cas cliniques du paludisme de 68% entre 2010 et 2015.
Mais, jusqu’aujourd’hui, la malaria reste la première maladie qui a beaucoup plus de cas dans des structures sanitaires sur toute l’étendue de la province du Nord-Kivu. « Son taux de mortalité est au premier plan par rapport à toutes les autres maladies », a expliqué Emmanuel Bitangalo, président de la branche santé dans la société civile du Nord-Kivu, lors du lancement de cette campagne de distribution gratuite des moustiquaires.
Adalard Kambere, point focal de la zone de santé de Butembo (Nord Kivu) avait expliqué que le nombre de cas liés au paludisme a connu une augmentation de 2,2% pour le seul premier trimestre de l’année en cours dans la zone de santé de Butembo. C’était à l’occasion de la célébration de la Journée mondiale de lutte contre le paludisme le lundi 25 avril 2022. Le rapport annuel 2021 de la province du Nord-Kivu produit par la coordination du programme national de lutte contre le paludisme, estime que plus de 780 personnes sont mortes de la maladie sur un total de plus d’un million de cas enregistrés.
Mauvais usage des moustiquaires
Des experts en santé communautaire expliquent que dans 78% des ménages qui ont au moins une moustiquaire imprégnée d’insecticide à longue durée d’action, 34,1% ont des moustiquaires qui sont en bon état, 24,4% ont des moustiquaires trouées, et 9.8% ont des moustiquaires délabrées. « En dehors de son rôle de protecteur contre les moustiques et le paludisme, les moustiquaires sont également utilisées comme des haies de jardin à domicile contre l’envahissement des petits bétails. D’autres les utilisent comme filet de pêche, rideau ou même pour la fabrication des robes de mariage. D’autres encore les utilisent comme matériel de construction des maisons à pisée », indique Hervé Mukulu, journaliste basé à Butembo et qui s’intéresse aux questions de santé et d’environnement.
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Pendant que la population gaspille ainsi ses moustiquaires, détruit ou néglige la chose même qui peut la protéger, les moustiques et la malaria continuent à faire leurs ravages. Selon notre source, dans une maison sans moustiquaire le taux de piqûres par des anophèles est de 80 %. « La moustiquaire simple ne protège pas entièrement contre les piqûres de moustiques : si elle a le moindre trou, si elle est mal bordée, si une partie du corps entre en contact avec les mailles, le moustique pourra piquer », explique Evariste Mutsunga. De plus, la moustiquaire n’empêche pas les moustiques d’entrer dans les maisons. Et c’est parmi les moustiques anophèles qu’on trouve celles qui transmettent le paludisme.
A l’extérieur de la maison, les moustiques piquent aussi
Les moustiques sont attirés par les odeurs et le dioxyde de carbone que dégage le corps humain. Les odeurs de certaines hormones secrétées par la femme enceinte sont aussi très attirantes. Aussi, les moustiques préfèrent les couleurs foncées, et plus spécialement le noir, mais peuvent piquer quelle que soit la couleur des vêtements. Il a été observé que les moustiques anophèles modifient leurs comportements et ont tendance à piquer de plus en plus en dehors des créneaux horaires habituels pour être en mesure par exemple de piquer les gens avant qu’ils ne dorment et qu’ils soient sous moustiquaire.
La vie de l’Anophèle femelle est rythmée par la recherche de repas sanguin, la digestion, la maturation des œufs et la ponte. Après l’accouplement, les moustiques anophèles femelles recherchent leur nourriture (sang) dès le crépuscule et pendant la nuit. Certaines espèces piquent aussi aux premières heures du matin tandis que d’autres prennent leur repas au crépuscule et en début de soirée. A ces heures, la moustiquaire devrait protéger plusieurs personnes contre les piqûres des moustiques.
Mais, la transmission du paludisme se fait aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur des chambres. « Nous sommes dans un pays où il fait chaud. Beaucoup reste au dehors jusqu’aux heures tardives de la nuit, voire jusque vers 23 heures-minuit. Et pendant que nous sommes au dehors, nous avons plus de chance d’attraper le paludisme… », indique Dr Coulibaly Mamadou du projet Target Malaria.
Les moustiquaires ont donc des limites que leur imposent les comportements humains. « Il est à noter que l’usage d’une moustiquaire signifierait, en pratique, pour chacun de s’enfermer sous une moustiquaire dès la tombée de la nuit pendant toute une vie. Imaginez-vous les gens sous la moustiquaire même quand ils prennent la bière ! », s’exclame un opérateur économique après avoir ingurgité une bière bien fraiche, dans un bar de Beni, au Nord-Kivu.
Le paludisme, un danger de santé publique
Le paludisme est transmis par une piqûre de moustique. Il reste encore un problème majeur de santé publique en RDC et dans le monde entier. Des symptômes qui apparaissent généralement une à quatre semaines après la piqûre sont des fortes fièvres et des frissons, nausées et vomissements ainsi que des maux de tête… « Il peut aller jusqu’à entraîner de sérieuses complications telles que le neuro-paludisme, troubles respiratoires, défaillance des organes, anémie, hypoglycémie,… », explique Dr Abdoulaye Diabaté, Directeur du département d’entomologie médicale et de parasitologie à l’Institut de Recherche en Science de la Santé (IRSS) /Centre Muraz à Bobo-Dioulasso, et Principal Investigateur de Target Malaria au Burkina Faso.
Cette maladie de mauvais air, appelée aussi malaria, est causée par des parasites de type « Plasmodium » transmis aux humains par le biais de piqûres de moustiques anophèles femelles porteurs de la maladie. L’anophèle femelle est infectée lors d’un repas/piqûre auprès d’une personne porteuse du parasite et de cette manière elle transmet la maladie quand elle va se nourrir par piqûres d’autres personnes.
Des anophèles résistantes
Environ 480 espèces de moustique anophèles sont actuellement identifiées à travers le monde, dont 150 en Afrique subsaharienne. Une vingtaine d’espèces sont identifiées en République Démocratique du Congo. Selon des chercheurs, une douzaine d’espèces d’anophèles présentes en Afrique subsaharienne transmet le parasite plasmodium à l’être humain.
Les mêmes chercheurs embrayent que la plupart de la transmission de la malaria est due à un groupe d’espèces très étroitement apparentées. Il s’agit notamment des anophèles gambiae, demeilloni, arabiensis, marshallii et funestus… « Des études dont les résultats sont parvenus à l’OMS avaient également montré que 80% de moustiques résistent à la classe d’insecticide utilisée dans la moustiquaire. C’est le cas de l’anophèle Gambiae et qui est la plus répendue en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale », explique Dr Coulibaly Mamadou du projet Target Malaria.
En effet, le « permethrin » est l’insecticide utilisé en remplacement du « dichloro-diphenyl-trichloroethane (DDT) » dans le conditionnement des moustiquaires. C’est un produit synthétique de la famille de « pyrethoide ». Il peut entrainer l’irritation de la peau et des yeux à son contact. Raison pour laquelle certaines précautions devraient être prises pour minimiser les effets de l’insecticide utilisé. C’est notamment : ne pas dormir sous la moustiquaire juste après son acquisition. Il faut au préalable l’étaler à l’ombre pendant au moins une journée.
Cette assertion de Dr Coulibaly atteste un propos du Directeur de l’OMS, Dr Tedros Adhanom tenu en novembre 2017 disant que « Les progrès antipaludiques avaient cessé et que nous risquons de compromettre les acquis de ces vingt dernières années. Il est clair que nous devons changer de cap et améliorer notre approche de la lutte contre le paludisme, notamment dans les pays où la maladie pèse le plus lourdement… ».
« Gene Drive », une solution ?
D’autres armes de lutte sont en étude. En Afrique de l’Ouest, Target Malaria développe des techniques des moustiques génétiquement modifiés avec « Gene Drive » ou l’impulsion génétique. Le « Gene Drive » consiste à introduire chez les moustiques vecteurs du paludisme une modification qui affecterait leur capacité à se reproduire. Il penche sur deux principaux domaines : l’un afin de biaiser le ratio sexuel des populations de moustiques pour avoir plus de moustiques mâles que femelles et l’autre pour réduire la fertilité des femelles. « Nous cherchons à minimiser la transmission du paludisme en réduisant la population de moustiques vecteurs de la maladie », indique Dr Coulibaly.
Des progrès de recherche qui sont critiqués par des sociétés civiles d’Afrique qui craignent la disparition des moustiques avec l’impulsion génétique. Selon ces sociétés civiles, il est vrai que le moustique est à la base des millions des morts dans le monde, mais elle a aussi des avantages. « Pour commencer, les moustiques se nourrissent du nectar des fleurs et participent donc à la pollinisation des plantes. Dans les zones humides, elles interviennent dans le cycle du carbone et de l’azote. Elles nourrissent aussi de nombreux prédateurs (insectes, lézards, batraciens, oiseaux) … », explique l’universitaire et chercheur en environnement, Kasereka Kaleghana Kalé. Dans cette perspective, Evariste Mutsunga, insiste lui, sur l’hygiène et l’assainissement. « A part la moustiquaire et la pulvérisation de l’insecticide dans nos maisons, nous devons débroussailler autour de nous, il est évident d’éviter des eaux stagnantes… », insiste-t-il.
Aussi, disons-le, le paludisme n’est pas seulement un problème de santé publique, c’est aussi un problème économique. En 2017, il y a eu un investissement de 3,1 milliards de dollars américains pour le contrôle et l’élimination du paludisme. Dans la lutte contre cette maladie de mauvais air, la pulvérisation intra-domiciliaire d’insecticide et les moustiquaires imprégnées d’insecticide ont déjà montré leur limite, d’où la nécessité de développer des nouveaux outils.
Umbo Salama
Merci beaucoup pour cet article très intéressant.
J’aimerais ici intervenir comme spécialiste en assainissement communautaire.
De mes 20 Ans d’expérience dans le domaine, j’ai remarqué que la lutte avec la moustiquaire est une perte des temps et des capitaux, d’au tant plus qu’elle doit répondre à une distribution éternellement répétitive des moustiquaires.
Je fustige les propos, si elles sont vérifiables, de ces groupes de gens qui défendent l’existence des moustiques. En réalité ; l’homme a le plus grand pollinisateur des plantes qu’est l’ABEILLE qu’il ne faudra même pas comparer à une créature de synthèse qu’est le et la moustique.
De mon avis d’expert ; je donnerai mon appui au projet que développe Target Malaria, car il opte sur l’optique de diminution des moyens et capacités de nuisance de l’Anophèle. Si ce projet est authentique, il faut qu’il soit appuyer par tout citoyen vivant dans l’espace Afrique Subsaharienne qui reste l’unique victime en son genre de cette guerre des moustiques.
Il existe en plus de cela d’autres techniques qui aideraient cette lutte contre les moustiques dont il faudrait développer une fois le projet Gene Drive serait mis en application.
Merci beaucoup pour cette contribution. Cette lutte concerne tout le monde. Le projet Target Malaria existe bel et bien. Il est entrain de voir comment utiliser le gène drive avec des normes réglementaires…