Quand une population au pouvoir d’achat faible rejoint l’EAC


Vendredi 8 avril 2022, à Nairobi, la RDC a officiellement signé son entrée dans l’EAC (Easten Africa Community ou Communauté d’Afrique de l’Est). A part l’élargissement du territoire de cette communauté jusqu’à l’océan Atlantique et l’augmentation du nombre de francophones, la nouvelle recrue de l’EAC apporte également dans ses bagages, son lot d’insécurité essentiellement à l’Est du pays. Et ensuite…

La République démocratique du Congo devient le 7ème membre de la Communauté des États d’Afrique de l’Est (EAC). Cette communauté régionale dont le siège se trouve à Arusha, en Tanzanie, compte désormais sept membres : Burundi, Kenya, Rwanda, Tanzanie, Soudan du Sud, Ouganda et maintenant la RDC. « L’EAC s’étend désormais de l’océan Indien à l’océan Atlantique. Ce qui rend la région compétitive et facilite son accès à la plus grande Zone de libre-échange continentale, (ZLEC qui regroupe plusieurs sous-régions du continent) », renseigne le secrétaire général de l’organisation, Peter Mathuki.

Mais le processus d’adhésion de la RDC a été plus accéléré. Selon certains analystes, c’est par exemple parce que l’EAC a conscience que les ressources congolaises, en métaux précieux notamment, constituent un potentiel commercial unique. En effet, la RDC est également réputée pour être un « scandale géologique » avec un sous-sol riche : diamant, or, cuivre, cobalt, coltan… En début de cette année des vidéos circulaient sur les réseaux sociaux, c’est vrai on n’avait pas des moyens de les authentifier, où des présidents des pays de l’Afrique de l’Est disaient qu’il y a nécessité pour leurs Etats de coopérer avec la RDC pour s’en sortir…

On croise les bras et on entre en silence

Cette adhésion de la RDC à l’EAC va permettre aux citoyens congolais de voyager librement dans les autres pays et le commerce deviendra beaucoup plus rapide, plus simple et moins cher, ce qui devrait profiter aux entreprises et aux consommateurs de tous les pays. « Nous attendions cette annonce depuis longtemps. Nous sommes très heureux », explique Kambale Alphonse, un commerçant de Butembo qui fréquente certains pays de cette communauté pour son business.

En fait, pour qu’un Congolais obtienne des documents de voyage pour visiter l’Ouganda, il doit payer 50 $ au service de migration de la RDC. Ensuite, lorsqu’il arrive du côté ougandais, il doit payer 50 dollars pour un visa. A cela, il faut ajouter actuellement d’autres frais pour un test Covid-19, donc au total vous payez environ 120 $.

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Aussi, le processus de transport des marchandises à travers les frontières devrait devenir beaucoup plus simple. Actuellement, les autorités aux postes frontaliers utilisent des systèmes différents. Pour le professeur Serge Tshibangu, l’un des conseillers du président congolais Felix Tshisekedi, et point focal à la présidence de la république pour l’adhésion de la RDC à la EAC, cette adhésion représente des opportunités d’investissements et de commerce. « Ce qui voudra dire bien-sûr, création d’emplois, opportunités pour nos entrepreneurs, pour nos hommes d’affaires ; donc, ces genres d’opportunités ne peuvent être créés que quand vous avez un marché de consommateurs qui permettra alors à ces investisseurs de venir se retrouver dans leurs investissements », indique-t-il.

Le Rwanda et l’Ouganda seraient les principaux bénéficiaires

Selon certains chercheurs, le commerce des régions du Kivu, de l’Ituri et même une partie du Katanga est résolument tourné vers l’Est et l’entrée dans cette organisation va faciliter beaucoup de choses… mais il y a encore des doutes. « C’est la République démocratique du Congo qui va être perdante, tout simplement parce qu’elle va jouer dans une catégorie qui n’est pas la sienne. La RDC a une économie essentiellement primaire, basée sur les ressources minières, les ressources agricoles… son commerce est essentiellement informel, le système bancaire est encore tout à fait balbutiant, donc c’est ce pays-là qui se présente avec toutes ses faiblesses face à des économies qui sont quand même du monde anglophone, le Kenya, Tanzanie, Ouganda, qui ont un grand dynamisme industriel… », explique Onesphore Sematumba, spécialiste de l’Afrique des Grands Lacs à l’International Crisis Group, ICG, intervenant sur la RFI.

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Selon les données disponibles, les membres de l’organisation régionale ont exporté vers la RDC 941 millions de dollars de marchandises en 2019, alors que leurs importations ne représentaient que 5 % de la valeur de ces exportations. Selon un économiste qui a voulu rester anonyme, « la RDC a une économie extravertie. La suppression de la douane n’est pas bénéfique, car elle fera perdre au trésor public plusieurs dizaines des millions dollars chaque année et l’adhésion de notre pays à cette organisation aurait dû intervenir après avoir soigné le caractère extraverti de notre économie ». Selon lui, c’est le Rwanda et l’Ouganda qui en seraient les principaux bénéficiaires. À ce jour, les Etats membres de l’EAC exportent vers la RDC des aliments transformés, des produits sidérurgiques, du ciment, des produits pétroliers et des produits à base d’huile de palme.

L’autre comble est que la RDC est un pays aussi vaste et chaotique dans le reste de l’EAC. Les mauvaises infrastructures du pays et l’insécurité sont préoccupantes. « Si vous regardez les postes frontaliers qui entrent ou bordent la RDC, une fois que vous arrivez à ces frontières, l’infrastructure s’arrête littéralement », déclare un expert en commerce. Même l’infrastructure qui est censée catalyser le commerce à la frontière n’est pas aussi bonne que lorsque vous la comparez avec les autres pays. Ensuite, une fois que vous entrez en RDC, les couloirs menant aux principales villes doivent être travaillés car les routes sont très mauvaises.

Qui trop embrasse…

Sur sa page Facebook, Jean-Claude Maswana, professeur d’économie à l’université Ritsumeikan au Japon, émet de sérieuses réserves quant à la pertinence de l’adhésion de la RDC à l’EAC. Selon lui, pour plaire aux parrains, et sans réfléchir, la RDC veut s’engouffrer dans trois initiatives d’intégration régionale SADC, COMESA, dont elle est déjà membre, et AEA, aux accords, notamment tarifaires, et parfois irréconciliables. « Même s’il y avait une nécessité ou une urgence, tout au moins une étude préalable devrait être menée », explique-t-il. Il ajoute que la RDC peut être résumée par le dicton « Qui trop embrasse mal étreint ». Cette analyse du professeur Maswana relève les enjeux géostratégiques et géoéconomiques régionaux sous-jacents et contradictoires de cette adhésion dont l’analyse d’impact socioéconomique n’a surement jamais été effectuée en amont.

Umbo Salama


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