A Butembo, une ville en plein essor économique, la demande en bois, sous toutes ses formes, est forte. Tout comme dans les hautes terres du territoire de Lubero, la population ne fait que croitre dans les différentes agglomérations. Dans cette deuxième partie découvrons les revers de l’eucalyptus sur les autres cultures.
« La région était couverte par une forêt de montagne qui a presque disparu. Il ne subsiste que quelques lambeaux de forêt telles que la réserve de l’ITAV, la réserve de Kyabirimu et celle de Kalikuku », renseigne le Professeur Mutiviti, expert en sciences du sol et doyen de la Faculté des Sciences Agronomiques de l’Université Catholique du Graben. C’est face à ces défis que les eucalyptus sont vus comme salvateurs, en dépit des vices leur reconnus.
Origine
« Les eucalyptus appartiennent à la famille botanique des myrtacées. Ici chez nous, les eucalyptus sont des espèces exotiques. C’est à la même famille qu’appartient le goyavier que vous connaissez. Le genre, c’est le genre Eucalyptus », souligne l’expert en gestion de la biodiversité et aménagement forestier durable Mbusa Wasukundi Muyisa Sorel.
Les Eucalyptus ne sont pas natifs de la région. Elles sont originaires d’Australie, un pays d’Océanie. Il existe plusieurs espèces du genre Eucalyptus. Wikipédia précise qu’ils sont environs 800.
« Celles cultivés ici chez nous comme Eucalyptus saligna, Eucalyptus globulus var. maideni, Eucalyptus citriodora, Eucalyptus grandis, … L’eucalyptus saligna est très prédominant dans notre région. Quand vous parcourez la ville de Butembo, ses environs, je dirais même le Kivu, on voit une présence importante d’Eucalyptus saligna. », précise l’expert Mbusa Wasukundi Muyisa Sorel.
Nous avons rencontré des concessionnaires qui nous livrent leurs premières expériences.
De prime abord, l’expert Mbusa Wasukundi Muyisa Sorel contextualise : « Effectivement. Nous sommes dans une région fortement anthropisée. Nous sommes dans les hautes terres. Lorsqu’on s’est rendu compte que la forêt a presque disparu dans notre région, la population a pris conscience des risques qui sont encourus. » Néanmoins, il ne se prive pas de biaiser : « Elle s’est investie dans la reforestation. Malheureusement à base d’eucalyptus.»
L’agriculture ne payait plus
Pour comprendre les circonstances dans lesquelles les eucalyptus se sont imposés dans la région, des concessionnaires du territoire de Lubero nous ont livré à cœur ouvert leurs témoignages. L’un d’eux, Pascal Bebo, la trentaine d’âge, est gestionnaire de la concession de sa famille depuis 6 ans. Elle est située dans les environs du quartier Mulo au sein de la commune rurale de Lubero dans le territoire portant le même nom. Etalée sur plusieurs hectares, aujourd’hui, elle est couverte d’eucalyptus. Une décision prise il y a 20 ans. « Après une trentaine d’années d’exploitation agricole, ce sol ne produisait plus comme il faut. C’est pourquoi, il y a 20 ans, mes parents se sont décidés d’y planter des arbres », nous confie Pascal Bebo. Même son de cloche auprès des autres concessionnaires qui ont décidé de transformer leurs champs en plantation d’arbres. « J’ai pris cette décision quand j’ai fini par constater que le champ ne produisait plus bien. La production agricole ne suffisait plus à subvenir à mes besoins, ne répondait plus à mes attentes. », explique Kambale Malekani François, enseignant de profession vivant dans le village de Musenda et qui cultive les arbres sur la colline de Vuhula sur 1.5 hectare, et à Kananga sur 3 hectares toujours dans ce territoire de Lubero en province du Nord-Kivu.
L’eucalyptus et ses revers sur les cultures
L’eucalyptus a des atouts ! C’est une plante en croissance rapide. Il couvre rapidement le sol. Ce qui fait que les travaux d’entretien s’arrêtent longtemps avant en comparaison par exemple avec le quinquina, explique le Professeur Mutiviti. « L’eucalyptus croit dans des milieux où non seulement il n’y a plus d’engrais mais aussi où même les autres arbres ne refusent de pousser. » ajoute Kavira, vendeuses des planches d’eucalyptus depuis 14 ans.
Malheureusement l’eucalyptus a un effet dévastateur pour les cultures vivrières. « L’eucalyptus a d’effets acides. Lorsqu’il y a chute des feuilles d’eucalyptus sur le sol, ça acidifie le sol. Cette acidification se double d’un autre problème, elle entraine la matière organique en profondeur. On sait que la matière organique joue un rôle dans ce que l’on appelle le complexe argilo-humique permettant au sol de fixer les éléments nutritifs que nous appelons bases en pédologie. Ce sont les calciums. Alors une fois que cette matière organique est précipitée en profondeur, le sol devient presque infertile pour les autres cultures » explique le Professeur Mutiviti.
Néanmoins, cette réalité est connue des agriculteurs. Les concessionnaires savaient faire la part des choses jusqu’à ce que l’argent s’en mêle. Léopold Kiopolo de Kighumo à Mulo, que nous rencontrons un matin dans sa pépinière à domicile nous explique qu’il a commencé à planter les eucalyptus en 1972. Il insiste que c’est le sol qui indique où planter les arbres : « Nous choisissons là où on peut planter les arbres. C’est surtout dans les endroits où nous constatons que les produits maraichers ne peuvent bien prospérer. L’arbre n’est pas à planter dans le champ des cultures à manger. »
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Le grand problème social c’est d’endommager la production du champ du voisin, soulignent les concessionnaires. « Comme là, il a planté les arbres, et tous les voisins de côté sont obligés de planter les arbres. Il est demandé de planter l’arbre okoluvwe”, précise KaserekaVyambwera Gilbert, un autre concessionnaire qui nous montre des champs abandonnés sur le flanc droit d’un bosquet d’eucalyptus.
Il y a maintenant une dualité entre le reboisement et l’agriculture autour de la ville de Butembo. Cette dualité est de nature à favoriser le reboisement au détriment de l’agriculture. « Maintenant, on se rend-compte que les eucalyptus chassent de plus en plus les cultures vivrières plus loin vers les zones où l’on peut encore trouver la forêt naturelle. Les champs qui étaient par exemple destinés aux cultures de haricot sont convertis en champs d’eucalyptus », regrette Ir Sorel Wasukundi.
D’une part, tout comme commence par la mauvaise récolte. « Il arrive que le vassal ne produise pas assez pour payer la redevance au chef terrien. Comme ce dernier ne reçoit plus son dû, il trouve quelqu’un qui lui propose de planter les Miharamba (Ndlr Une variété d’eucalyptus en langue du peuple Nande.) sur sa terre et chasse ainsi l’agriculteur. C’est fini pour l’agriculteur, il ira se débrouiller ailleurs.”, explique Muhindo Seghemera, un paysan.
Ce qui renforce le défi social des paysans sans terres, dans une région fortement anthropisée avec une population qui n’a que l’agriculture comme moyen de survie, explique le Mwami KahindoNzanzuBonane de la chefferie des Baswagha en territoire de Lubero. Cette autorité coutumière souligne, par ailleurs, qu’il agit diplomatiquement pour demander aux grands concessionnaires qui ont des terres inexploitées de les céder aux paysans, dans un système qu’on appellerait fermage ou métayage.
Le problème devient d’autant plus réel que même les champs qui sont encore propices à l’agriculture sont transformés en plantations d’eucalyptus. Madame Kavira en a été victime : « Dans la ferme de monsieur Kahasa, je produisais des sacs de maïs, puis j’appris qu’il l’a vendu. Et quand je m’y rendis, je trouvai que le nouveau propriétaire y avait déjà planté les arbres, le matoti (Ndlr une variété d’eucalyptus en langue du peuple Nande). » Pourtant elle était en règle avec la coutume : « On donnait une poule par saison, 10 dollars plus une mesure de mandale (arak dans le dialecte local). Puisque le chef coutumier aime aussi de la bière, il faut lui donner un poing serré. C’est ça son arak. »
Ce que l’on offre vient du cœur et on ne le refuse pas. Mais dans cette circonstance, cela sonne plus comme un pot de vin. Quand vous avez payé ce qui est légalement exigé, il faut un surplus au chef, un poing serré contenant quelques billets. Lui-même ne contera même pas. Il reçoit du poing serré, serre aussi à la réception et glisse dans sa poche en défaut de sa gibecière. C’est la volonté de donner qui compte après tout. Cela permet d’être dans ses bonnes grâces. Car on ne sait jamais quand l’on voudra vous arracher votre champs, il pourra plaider à votre faveur.
Planter les eucalyptus aux environs des agglomérations facilite aussi l’acheminement vers le centre de consommation dans ces régions où les routes sont rarement praticables. Cela permet ainsi de diminuer le cout de location des véhicules de transport, généralement des Mercedes-Benz, Benne ou Canter.
Ainsi, face à ce défi, les agriculteurs s’éloignent de plus en plus de la ville pour aller ouvrir des nouveaux champs dans les zones éloignées où on pourrait encore retrouver la forêt naturelle, entrainant ainsi une menace de déforestation. Ce qui parait un peu comme un cercle vicieux auquel on assiste, craint Sorel Wasukundi.
Dans les centres urbains, on s’en contente du moment qu’il n’y a pas pénurie alimentaire : « Actuellement, les gens vont ouvrir de nouveaux champs dans la savane boisée du Graben. Ces régions fournissent de la nourriture et l’on ne sent pas encore un déséquilibre, mais ce déséquilibre arrivera tôt ou tard et on sera peut-être obligé reconvertir les plantations d’eucalyptus en plantations des produits vivriers.», augure le Professeur Mutiviti. L’acidification du sol par les eucalyptus est réversible, mais le besoin ne pose se pas encore. L’utilité pour ne pas dire le business l’emporte encore en main levée.
Hervé Mukulu
C’est un sujet qui me tient à cœur. Merci, mais où sont vos coordonnées ?