A l’Est comme dans plusieurs villes de la RDC, chaque citoyen rêve se construire une habitation en briques cuites. Ce qui d’un côté, embellit la ville et d’un autre, l’abîme : des quantités d’arbres sont abattues pour cuire les briques, les trous béants laissés après l’exploitation de l’argile accroissent l’érosion et attirent les moustiques… Reportage.
A Butembo, comme dans plusieurs villes, à l’Est de la République Démocratique du Congo, chacun veut à tout prix avoir une maison à briques cuites. Des bâtisses poussent dans presque chaque quartier. Des petits jardins potagers laissent de plus en plus la place à des pavés en béton. « Ces pavés ne facilitent pas à l’eau de s’infiltrer dans le sol. Ce qui peut engendrer des érosions, éboulements des terres et même des inondations avec des risques de déclencher des conflits avec des voisins », s’est toujours inquiété le professeur Sahani Paulin, qui s’intéresse aux questions de l’environnement et de télédétection.
Des anciennes haies naturelles à cyprès qui ceinturaient les habitations n’y ont plus droit de cité. A la place, ce sont des clôtures en briques cuites ou en tôles. Des bosquets se comptent désormais sur les doigts. Pourtant, il y a encore plus de 10 ans, la grande partie de la ville de Butembo et ses environs était un parc d’arbres. Ces dernières années, les habitants les coupent systématiquement pour cuire des briques en argile et construire des maisons. Ils s’en servent également pour obtenir du bois de chauffe, car l’électricité n’est pas accessible à toutes les bourses.
La nature sur exploitée
Des hangars pour fabriquer et conserver les briques sont visibles partout. Des fours très hauts fument pour cuire ces matériaux très recherchés pour la construction. Leur cuisson exige d’importantes quantités de bois de chauffage. Le feu doit être maintenu ardent dans le four deux ou trois jours durant. « Il faut 20 stères (20 m³) de bois pour produire 22 mille briques », renseigne Muhindo Varondi qui a un four chez lui au quartier Kitatumba en commune de Vulamba. Dans ce seul quartier de la ville de Butembo, il est facile de compter plus de 100 fours à briques. Fautes d’études appropriées, difficiles d’avoir la quantité de dioxyde de carbone produite lors de la cuisson des briques.
Les presseurs abattent donc ou achètent des arbres en grande quantité. Des bosquets entiers sont décimés autour de la ville. Le bois surexploité devient rare et très cher. La brique aussi mais le boom de l’immobilier motive les fabricants. Le sol argileux du milieu est très propice à l’activité. Les machines sont fabriquées sur place dans des garages et sont louées à raison de 35$ le mois par machine. Les entrepreneurs intervenant dans ce domaine de pressage des briques se sont déjà réunis en association pour protéger leurs intérêts. La SOPBRICO (Solidarité des presseurs des briques au Congo), une association qui encadre plus de 4000 jeunes.
De plus en plus de la chaleur, érosion, paludisme
Pour extraire la terre argileuse en quantité, il faut creuser une large fosse. « Les briquetiers creusent n’importe où et ne veillent pas à combler les trous qui restent béants. Ils finissent par devenir des têtes d’érosions et attaquent des parcelles », explique Wasingya Matumaini, étudiante en gestion de l’environnement. Dans sa thèse sur le contexte urbain et climatique des risques naturels de la ville de Butembo (Nord-Kivu/RDC), Professeur Muhindo Sahani, constate que 11 des 16 têtes d’érosions répertoriées se forment dans des parcelles exploitées par des briquetiers. De leurs côtés, les occupants de ces parcelles transforment ces trous en poubelle. Egalement, les flaques d’eaux qui s’y forment constituent un réservoir pour les moustiques, vecteurs du paludisme.
De leurs côtés, des patrons qui ont des concessions d’arbres, les coupent sans se référer au service de l’environnement, ignorant que « les arbres sont des brise-vent qui protègent la ville », regrette Kighusu Richard, universitaire et chercheur en planification régionale. Peu à peu, l’environnement se dégrade et la chaleur augmente. « Il y a 10 ans, pour dormir la nuit, il fallait des couvertures épaisses. A présent, il fait tellement chaud qu’avec juste un drap on transpire. On ne s’en rend pas compte, mais le climat change », souligne Ranulf Hangi, juriste et chercheur en questions environnementales.
Les vents sont aussi plus forts. En début mars 2022, un vent violent a emporté des toits des maisons à Mavivi, à environs 20 km de la ville de Beni. Des animaux autrefois courants, comme le caméléon, disparaissent. « Les arbres règlent le climat par la photosynthèse. Lorsqu’ils se raréfient, cela joue énormément sur l’environnement. On ne le réalise pas tout de suite, mais ces changements sont déjà perceptibles », explique Ranulf Hangi. A cause des coupes incontrôlées d’arbres, « Il faut désormais marcher sur plusieurs kilomètres pour trouver certains animaux. Parmi eux, certaines espèces aidaient à guérir des maladies : par exemple, les maux d’oreilles avec la queue de caméléon… », renchérit ce chercheur.
Des services de l’Etat baissent les bras
Des environnementalistes redoutent des effets climatiques néfastes sur la ville et ses environs suite à la multiplication des fours à briques et à l’abatage désordonné des arbres. Mais ils s’arrêtent à lancer des messages dans des radios locales : « Même si l’arbre vous appartient, vous n’avez pas le droit de le couper sans l’aval du service habilité », prévient Eduije Kavira, inspectrice chargée des services généraux au bureau urbain de l’environnement. Selon Karungu Mahamba, un agent des services de l’environnement, pour abattre un arbre, il faut normalement d’abord planter un arbuste et obtenir l’autorisation du service compétent.
Mais sur les terrains, des services de protection de l’environnement sont encore les premiers à percevoir des taxes aux destructeurs. Ils se dédouanent faire face à l’obligation de maximiser les recettes de l’Etat. Les services de mines et de l’environnement exigent quelques taxes comme celle de la pollution de l’air, de l’extraction d’argile… « Il s’agit des contributions insignifiantes payées par tonne d’argile », répond un agent du bureau urbain des mines et géologies. Il reconnait toutefois qu’avec l’expansion rapide de la ville il faut plus d’efforts pour réglementer le secteur.
Umbo Salama