Dans la nuit du Mardi à Mercredi 2 février 2022, plus de 60 civils ont été tués dans le site de déplacés de Savo/Bule, dans le territoire de Djugu, en Ituri. L’attaque a été particulièrement violente. Des victimes : en majorités des vieillards, des femmes, des enfants et des handicapés…
D’après des témoins, l’attaque a commencé vers 21h00 heure locale. Les assaillants tiraient en balles réelles sur des déplacés. Puis ils passaient pour achever à coups de machettes, de haches et de lances… ceux qui n’étaient pas morts. « Ils ont opéré calmement. L’armée est arrivée sur place le matin », indique Jean Richard Dhedda Lenga, chef de la Chefferie de Bahema-Badjere, joint au téléphone.
Ce site de Savo est habité en majorité par des Hema qui fuient des violences dans différentes contrées du territoire de Djugu depuis 2019. Un habitant qui a voulu rester anonyme explique qu’il s’agirait d’une vengeance du meurtre d’un homme proche d’une milice communautaire. Un fait qui n’est pas corroboré par des sources administratives locales. Les autorités et les organisations de la société civile, de leurs côtés, accusent la Coopérative pour le développement du Congo (CODECO). Ce groupe armé prétend défendre les intérêts de la communauté Lendu et attaque principalement les membres de la communauté Hema.
Un seul Policier pour une chefferie
« Ce n’est pas une première attaque contre des sites de déplacés dans ce territoire. Or c’est en grande partie des Hema qui sont dans des camps », explique un habitant. La coordination des organisations humanitaires, OCHA, rapporte que c’est la cinquième attaque depuis novembre 2021 visant directement les personnes déplacées dans le seul territoire de Djugu. Entre novembre 2021 et le 1er février 2022, les sites de Tche, Drodro, Duka, Ivo et Plaine Savo ont subi des attaques des groupes armés.
Malgré ces attaques, des dispositions sécuritaires peinent à être renforcées sur des sites des déplacés. Un peloton des FARDC (qui ne compte qu’une dizaine d’hommes, sans véhicule, sans moyens de communication adéquats…) se trouve à 3km du site. Une base temporaire de la MONUSCO se trouve à 5km également, avec plus d’hommes et de moyens (véhicules, matériels de communication…). « Depuis 3 mois, l’ensemble de la chefferie de Bahema-Badjere où se trouve le site ne compte qu’un seul policier basé à Bule. Les autres policiers étaient à Bunia on ne sait pour quel motif », déplore la société civile.
La sécurité mais aussi la justice
Les casques bleus de la MONUSCO ont été les premiers à arriver sur place, vers 22h30, soit une heure et demie après le début de l’attaque. Ils ont été rejoints ensuite par la dizaine de militaires FARDC qui avaient dû marcher à pied de leur position jusqu’au site. « La MONUSCO a permis de repousser les assaillants et de limiter les dégâts », affirme Charles Panza, secrétaire de l’association « Jeunes Patriotes pour la Paix ».
Le jeudi 3 février, plus de 24heures après l’attaque, 53 corps de victimes étaient exposés à même le sol, emballés dans des sacs ou des couvertures et placés dans une petite salle sur le site même. Des cercueils achetés par le gouvernement militaire de Bunia ont été chargés dans un camion et sont arrivés à Bule dans la nuit de ce vendredi 4 février. Pendant ce temps, des victimes attendent toujours l’assistance, mais surtout la sécurisation et la justice. Depuis le mercredi 2 février, la MONUSCO et les FARDC indiquent avoir renforcé les patrouilles.
Dans un communiqué, les députés nationaux d’Ituri évoquent « un génocide ». Ils ont au même moment exigé le changement de la chaîne de commandement de l’Armée dans cette province.
Une guerre au pluriel
En 2006, Thierry Vircoulon, Consultant indépendant qui coordonne l’Observatoire de l’Afrique centrale et australe de l’Ifri, avait indiqué que le problème de Djugu n’est que l’expression d’une coexistence historiquement difficile entre Lendu et Hema.
« Ce qui transparaît à travers le conflit foncier de Djugu est la longue histoire d’inégalité socio-économique entre des Lendu qui sont plus orpailleurs dans les carrières d’or et des Hema qui avaient fréquenté l’école des missionnaires belges et qui monopolisaient l’administration locale et le commerce et avaient bénéficié de la zaïrianisation des exploitations agricoles des colonisateurs », indique ce chercheur.
L’armée congolaise de son côté, se contente de rappeler que « s’attaquer au site des déplacés, à la population civile innocente sans moyen de défense est la folie, la lâcheté, un crime contre l’humanité ».
Umbo Salama