Un bilan inégal contre des ADF même sous Etat de siège


Malgré l’institution de l’Etat de siège au Nord-Kivu et en Ituri en début mai 2021, les offensives « de grande envergure » de l’armée congolaise contre les présumés rebelles ougandais d’ADF (Forces démocratiques alliées) présentent encore un bilan inégal. Si l’armée communique beaucoup sur les bastions qu’elle a repris, la menace des ADF persiste et les attaques leurs imputées sont encore nombreuses.

Le décompte du Baromètre sécuritaire du Kivu (KST),  établi le jeudi 5 août indique que « depuis la mise en place de l’Etat de siège à l’Est de la RDC, il y a plus de trois mois, des groupes armés présents dans les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri ont déjà tué près de 485 civils ». Ce rapport indique qu’à lui seul, le mouvement rebelle d’ADF est responsable de la mort de 254 civils. Les autres groupes armés, notamment les rebelles hutus des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), sont responsables de 231 morts.

Trois mois avant l’Etat de siège, le KST avait documenté « 464 civils tués du 1er février au 5 mai 2021 par tous les groupes armés confondus » dans les deux provinces. A eux seuls, les ADF sont accusé de massacrer « 225 personnes ». L’armée, de son côté, estime que 121 membres des groupes armés, dont 32 ADF, ont été tués depuis l’instauration de l’état de siège. A Beni, sur 39 miliciens morts, 31 appartenaient aux ADF.

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Des morts et des véhicules incendiés

Le nombre de civils tués dans cette région est en nette augmentation depuis la fin de 2019 et plus de 120 groupes armés sont toujours recensés dans l’Est du pays. L’axe routier Komanda-Luna, sur la route nationale numéro 4 (RN4) est actuellement dangereux en raison des multiples embuscades des rebelles depuis l’entrée en vigueur de l’état de siège. Selon les députés provinciaux du Nord-Kivu, une vingtaine de véhicules ont déjà été incendiés sur ce tronçon. L’armée a même décidé sans succès d’instaurer le convoyage de tous les véhicules sur cette route.

Pour plusieurs personnes, la situation s’est de plus en plus dégradée. Un activiste des droits humains basé à Beni et qui a voulu rester anonyme explique qu’« avant l’état de siège, on pouvait partir de Beni et arriver à Bunia. Pendant l’état de siège, il est devenu extrêmement dangereux d’effectuer le trajet. Le rayon des tueries s’est étendu. Les assaillants sont désormais actifs aussi dans l’Ituri, au nord de Beni ». Même son de cloche pour le député provincial du Nord-Kivu, Promesse Matofali. « Rien n’a changé. Il n’y a rien de nouveau qui a été entrepris », embraye-t-il. Selon l’honorable député, « Il faut circonscrire l’état de siège dans les territoires de Beni (Nord-Kivu) et Irumu (Ituri) où sont commis plus d’atrocités ».

Face à la détérioration de la situation sécuritaire, des populations locales ne décolèrent pas. Le lundi 16 Août, le mouvement citoyen « Lutte pour la Changement (LUCHA) » a appelé la population de Butembo à observer deux journées villes mortes pour protester contre l’insécurité. La mission onusienne, MONUSCO, est de son côté accusée de laxisme face aux tueries à répétition. À Beni, des élèves avaient aussi effectué un long sit-in devant la mairie pour rappeler au président sa promesse de s’installer dans l’Est. « Les gens continuent d’être tués, les kidnappeurs opèrent de la même manière sans se faire prendre. La situation devient plus grave qu’avant », se désole Masika Salama, 25 ans, étudiante à Beni.

Des militaires peu confiants

L’état de siège donne des droits étendus aux autorités militaires : perquisitions à toute heure, possibilité d’interdire la circulation ainsi que les publications et réunions « de nature à exciter » les populations. Les autorités militaires ont le droit de prendre « toute décision » qu’elles jugeront utile. Ce que dénoncent les militants de la LUCHA.

« Au lieu d’intimider tout celui qui émet son point de vue sur l’Etat de siège, les autorités doivent plutôt dire leurs exploits dans la recherche de la paix. Nous voulons tous le retour de la paix dans cette région longtemps meurtrie, mais nous ne sommes pas là pour dire « AMEN » à tout par crainte d’être arrêté, torturé ou tué par qui que ce soit. Personne ne peut nous priver notre liberté fondamentale d’émettre ce que nous pensons. Nous vivons la réalité sur terrain », indique Anelka Mwanya, militant de la LUCHA à butembo.

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Si ce passage de relais de commande des civils aux militaires, passe mal dans l’Etat de siège, c’est parce que les officiers militaires dans l’est de la RDC sont régulièrement accusés de violations des droits humains : viols, assassinats, massacres, exploitation illégale des ressources, vente d’armes aux groupes armés… Chaque mois, le bureau conjoint des Nations Unies aux droits de l’homme (BNUCDH), qui surveille ces abus, pointe du doigt les forces armées congolaises. Elles étaient responsables de 35 % de ces violations en février 2021, et de 49 % en janvier 2021.

Une vingtaine d’officiers sont poursuivis par la justice militaire, qui les accuse d’avoir détourné des fonds destinés à l’état de siège. Le gouvernement congolais a décaissé plusieurs dizaines de millions de dollars pour des opérations dans les deux provinces, selon un haut gradé. « Qu’on suspende cette mesure ! On ne peut décréter l’état de siège avec une armée infiltrée, une armée indisciplinée, une armée avec des officiers qui détournent les rations et les soldes des militaires au front », suggère le député provincial du Nord-Kivu, Jean Paul Kahangondi.

Impôts et taxes d’abord

Le tout premier communiqué officiel du gouverneur militaire de l’Ituri du vendredi 14 mai 2021appelle « les assujettis ou contribuables à s’acquitter convenablement et dans les délais de leurs obligations fiscales vis-à-vis de la province sous peine d’encourir les contraintes conformément aux lois portant fixation des règles de perception des impôts, droits, taxes et redevances provinciaux et locaux ». Même fait pour celui du Nord-Kivu qui précise de son côté que « Ceux-là qui vont chercher à  appeler la population à l’incivisme fiscal, seront également sanctionnés », avait souligné le Lieutenant Général Ndima Constant.

Au même moment, le député provincial Promesse Matofali, alerte sur des tracasseries fiscales en cette période d’État de siège. « Des fiches des intervenants dans le secteur minier, des carnets de reçus, l’attestation tenant lieu de permis de coupe de bois de feu et de carbone avec mention « État de siège » sont en circulation dans la province du Nord-Kivu », insiste-t-il.

Mais du côté du pouvoir, Augustin Kapila, cadre de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS, au pouvoir) à Goma, que « l’armée fait un bon travail ». « Il y a des groupes neutralisés et d’autres se rendent. Nous encourageons aujourd’hui l’armée à continuer dans ce sens », se réjouit-il.

Emma Kateri


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