Parmi les affres de la riposte de la dixième épidémie d’Ebola, il y a le déplacement des populations qui avaient jugé bon de quitter leurs maisons. C’est le cas des quartiers situés dans la partie Est de la ville de Butembo (au Nord-Kivu). Dans ces quartiers, la résistance contre les équipes de la riposte était grande et le nombre des morts d’Ebola allait croissant. La situation était allée jusqu’à la crise des confiances entre voisins. Retour sur les moments forts de la résistance dans ces quartiers en début de l’année 2019
Pour mieux comprendre les affres qu’Ebola a causées au Nord-Kivu, il faut quitter le centre-ville de Butembo et se rendre dans les quartiers périphériques situés dans la partie Est de la ville. Ce lundi 20 juillet 2020, il est 7h30 quand nous arrivons en cellule Kamusonge, au quartier Wayene à environs 5km de la ville, dans la zone de santé de Katwa. Arrivée au rond-point Vuhira, il faut bifurquer vers le nord. Après 10 minutes de marche à pieds, c’est le climat d’un village qui renaît de ses centres qui vous accueille. Plusieurs personnes qui avaient fui le milieu à cause de la montée des cas de contamination d’Ebola s’adonnent à la réhabilitation de leurs maisons et parcelles. « C’est l’enfer ce que nous avons traversé ici », s’exclame Serge Fury Ndaliko qui vient de regagner le quartier après plus d’un an de fuite.
« J’étais d’abord surpris par la mort de quatre personnes d’une même famille dans cette parcelle derrière ma maison. Le lendemain, dans la parcelle voisine, le Papa et la Maman ont rendu l’âme. Quelques jours, c’est un enfant qui est mort dans l’autre parcelle. On entendait dire quelqu’un vient de mourir ici, puis là-bas, et ainsi de suite. On ne faisait que comptabiliser les morts et les pleurs de deuil se faisaient entendre de tous les côtés. Or tout le monde sait que devant un danger il faut fuir et c’est normal. Je vous jure, si je n’avais pas déplacé ma famille, on serait tous morts », indique-t-il avec insistance.
Difficile de parler encore d’Ebola
Dans cette cellule, chacun avait ses raisons d’abandonner sa parcelle. Si certains s’expliquent par la perte des membres de leurs familles, d’autres parlent de la crainte des représailles pour avoir appuyé les équipes de riposte. « Il y a ceux qui ne croyaient pas à l’existence de la maladie. Ainsi la population commençait à se regarder à chien défaillance. Chacun avait peur de l’autre. On ne se faisait plus confiance. J’ai même vu quelqu’un venir manifester alors qu’il venait d’enfermer la dépouille de son Père dans leur maison », se souvient encore amèrement Serge Fury.

Il faut trouver un guide, un vrai leader, accepté par toute la communauté. Dans le cas contraire vous risquez la lapidation. Il est vrai que la violence semble diminuer dans la zone, mais chacun reste encore sur ses gardes. Parler d’Ebola semble remonter des nerfs des uns et des autres. Surtout ceux qui ont perdu les leurs ne veulent pas qu’on lance même un mot sur cette maladie. Notre guide, Serge Fury Ndaliko, nous accompagne dans une famille qui a perdu trois de ses membres. Malgré ces pertes, la famille n’est pas toujours convaincue de l’existence de l’épidémie. Pas d’enregistrement ni des photos, prévient le chef notre guide pour question de sécurité et de confiance.
Dans cette parcelle, une jeune dame, prénommée Dorcas, vingtaine d’âges, bébé au dos, finies de sarcler son petit champ de haricot entretenu dans la parcelle. Elle avait perdu sa mère, sa belle-sœur, et son frère entre février et mars. Et le bébé qu’elle porte est le fils de son frère mort d’Ebola. Présentation, elle nous propose des chaises dans la cours. Avant qu’on pose la première question, elle s’éclipse derrière la maison et revient accompagnée de deux hommes et une dame. Les sages du quartier selon ses dires. Il faut ainsi recommencer la présentation.
Tous les maux au nom de la riposte !
Elle ne se rappelle plus les différentes dates. Toutefois, elle accepte de nous raconter certaines bribes d’évènements. « Une voisine avait trouvé la mort dans un poste de santé du quartier vers fin février 2019. Or elle était amie à ma belle-sœur. Quelques deux jours après l’enterrement de notre voisine, ma belle-sœur a commencé aussi à accuser des fortes fièvres et des vomissements. Nous l’avons amené aussi dans cette même structure. Quelques jours après elle a rendue l’âme. Le responsable de la structure sanitaire avait fait tout son mieux pour qu’on récupère le corps la nuit et qu’on puisse dire que la mort est intervenue à la maison et non dans sa structure. Nous avons suivi à la lettre ses recommandations ». Les larmes commencent à couler de ses yeux. Les vieux sages me suggèrent de ne plus poser des questions, mais la dame refuse. Elle essuie les larmes et poursuit.

« Le matin, le chef de cellule nous avait suggérés d’appeler d’abord les équipes de riposte car on devrait aller enterrer dans un cimetière familial loin de la ville. Nous avons fait tout le possible pour trouver un numéro de la coordination de la riposte et le chef de cellule avait même rassuré de s’occuper de la sécurité des équipes de la riposte. Nous avons attendu de 8h00 jusque vers 12h00, sans que personne ne se présente. C’est vers 13h00 que les équipes sont arrivées pour procéder au prélèvement des échantillons. Puis ils sont partis sans rien dire ». Les équipes de la riposte étaient revenues plus d’une heure après et avaient autorisé l’enterrement par la population locale sans donner aucune autre explication. « On l’a fait à l’ancienne sans trop de protection », lance un homme qui était assis à ma droite.
« Je crois qu’ils avaient peur de dire la vérité pour ne pas être lapidé », indique Dorcas. En effet, pendant qu’il y avait des discussions sur des modalités d’enterrement, c’est la Maman de Dorcas qui commence à accuser des malaises. Admises dans la même structure, elle trouve la mort le lendemain matin. Aucune disposition d’enterrement digne et sécurisé n’est envisagée.
Fétichisme et superstitions s’en mêlent
« Tout le monde disait qu’il y a un sorcier au quartier et qui enterre des moutons. Or dans la culture, le mouton est un animal de sacrifice », indique Ange Sawa Sawa, artiste musicien et qui vient de retourner dans sa maison après plus de huit mois de fuite. Celui-ci avait trouvé refuge chez ses parents. Sa femme et ses cinq enfants étaient les premiers à quitter la zone. Selon lui, toutes les scènes de violence n’étaient pas dirigées vers les équipes de riposte. Il y a des bagarres qui se passaient entre ceux qui croient à l’existence de Ebola et ceux qui n’y croient pas.
Nous l’avons rencontré pendant qu’il réaménager sa parcelle. Il évoque aussi sur l’histoire de Dorcas. En effet, moins de dix jours après la mort de la maman de Dorcas, c’est son frère qui a commencé à accuser des maux de tête et de fortes fièvres. « Or, c’était un grand ami. Pendant qu’il accusait des maladies, il est venu me voir. Après son départ, j’ai brûlé les coussins de la chaise où il était assis. Mes enfants m’avaient pris pour un fou car ils n’y comprenaient rien. Le lendemain matin, je les avais ordonné d’aller vivre chez le grand-père», indique Sawa Sawa.
Fuir pour protéger sa famille
La famille de Dorcas s’opposait farouchement à la riposte contre Ebola. « Son Père avait trouvé la mort vers 11h00. J’étais arrivé au quartier aux environs de 19h00. Jusque-là pas d’enterrement. Le matin, malgré que l’on disait qu’Ebola n’existait pas, tout le monde avait peur de se rendre au lieu de deuil. Vers 12h00, pendant qu’il pleuvinait, une dame est venue me demander d’aller aider le médecin qui préparait le corps pour l’enterrement. Arrivée sur le lieu, je rencontre un homme qui vient de mettre des gans sur ses mains et que tout le monde appelait « Docteur ». Ma première question était de savoir s’il a été envoyé par la coordination de la riposte. Une question qui a semblé choquait et j’ai vu tout le monde sur les nerfs. Je me suis dit, si je reste ici, je mets ma vie et la vie de ma famille en danger. Voilà pourquoi j’étais obligé de quitter le quartier, moi et ma famille, pour aller vivre à côté des grands- parents, au centre-ville ».
Plusieurs habitants avaient peur de passer la nuit dans leurs maisons seulement puisqu’ils avaient accepté de collaboré avec les équipes de la riposte. « Depuis la mort par balle de l’infirmier Kitshwa kuluma, la psychose avait encore pris de l’ampleur », reconnait encore amèrement le prénommé Halice, qui lui et ses enfants étaient devenus des sans domiciles fixes. Chacun passaient la nuit chez ses amis. Avec des sensibilisations des chefs coutumiers, des médias et des tribunes populaires de la société civile, la violence a baissé jusqu’à la déclaration de la fin de la dixième épidémie d’Ebola, le 26 juin 2020.
Umbo Salama