La politique agricole de la RDC est très sombre. Pour le chercheur en économie rurale, M. Jean-Louis Nzweve, il est temps de clarifier la politique agricole de la RDC. Doit- elle s’engager vers la promotion de l’agriculture familiale ou des parcs agro-industriels ? Pourtant, le pays a un potentiel agricole énorme. Interview :
Existe-t-il une vraie politique agricole en RDC ?
Depuis l’indépendance, le gouvernement a toujours élaboré des plans et des programmes agricoles. Une note de politique agricole a été pour la première fois formulée en 2009, avec l’appui de la FAO (Programme de nations unies pour l’alimentation et l’agriculture). Plusieurs documents d’explicitation de cette politique ont été produits par la suite, parmi lesquels le Programme national d’investissement agricole (PNIA).
En novembre 2011, le président de la république a promulgué la loi portant Principes fondamentaux relatifs à l’agriculture, dit code agricole. Avant sa promulgation, dans son va-et-vient entre l’assemblée nationale et le Sénat, la loi a été dépouillée de la composante Elevage. C’est une hérésie de séparer l’élevage de l’agriculture.
Au lendemain de sa promulgation, elle a été attaquée par certains acteurs, notamment la FEC (Fédération des entreprises du Congo), qui la trouvent inéquitable parce que faisant la part belle aux producteurs de petite taille. En conséquence, le processus de sa révision a été déclenchée avant même qu’elle ne soit appliquée. Bon, c’est déjà un premier effort de formalisation de ce qu’on peut appeler politique agricole de la RDC.
Quelles sont les grandes lignes de cette politique agricole ?
Trois objectifs sont clairs. La promotion de la sécurité alimentaire, la réduction de la pauvreté et l’accroissement de la production des produits vivriers et des produits pérennes. Dans le texte on trouve aussi des stratégies claires. Par exemple l’investissement, la distribution d’intrants et le renouvellement des méthodes d’encadrement des paysans. La politique d’investissement agricole a des antécédents.
Déjà en 2007, rappelez-vous, le gouvernement avait livré des tracteurs, mis à la disposition des producteurs à travers des attributaires, dans l’objectif d’augmenter la production agricole. Chacune des provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu en avait reçu environ 300. C’est dans le même cadre de l’investissement agricole que le gouvernement a lancé le projet de Parc agro-industriel de Bukanga-Lonzo.
Pour quels effets ?
C’est le moment de se poser la question. Pour déterminer l’impact de ce projet de mécanisation agricole, il faut une évaluation au niveau des Inspections provinciales et territoriales qui ont l’obligation du suivi, et même de la collecte du loyer auprès des attributaires.
En fait, ceux-ci sont liés à l’Etat par un contrat de crédit-bail ou leasing qui signifie que le tracteur deviendra une propriété de l’attribuer lorsque le cumul des loyers payés équivaudra au prix convenu. Je peux déjà vous dire qu’à plusieurs endroits, notamment dans la Plaine de la Ruzizi au Sud-Kivu, l’impact est mitigé parce qu’il y a une sorte de laisser-aller.
L’on voit des tracteurs en ville, transportant des matériaux de construction, et malheureusement détenus par des députés, des ministres, des commerçants nullement engagés dans l’agriculture. Sur terrain, certains tracteurs ne sont pas adaptés aux conditions locales, par exemple au type de sol, et les pièces de rechange viennent à manquer.
Qu’en est-il du parc de Bukanga-Lonze ?
L’Etat a imaginé ce parc agroindustriel pour augmenter la production agricole et desservir le grand marché de Kinshasa, en espérant inverser la tendance des importations des vivres. Il a été aménagé en Territoire de Kenge, au Bandundu.
Le gouvernement comptait expérimenter cette expérience dans au moins 11 provinces et les prospections sont en cours pour identifier les différents sites qui pourront abriter ces parcs, par exemple dans la vallée de Rugumba, près de Kalemie ou encore dans la Plaine de la Ruzizi au Sud-Kivu. Plus que le projet de mécanisation agricole, le Parc agro-industriel de Bukakango-Lonze a enregistré le fiasco le plus spectaculaire de l’histoire agricole de notre pays. Des missions d’évaluation ont dénoncé pas mal d’erreurs techniques et des malfaçons commises dans la planification, le montage du modèle et même dans le choix du site.
Sans compter les conflits fonciers dans lequel le projet est embourbé avec la communauté locale, la production est en deçà des attentes, malgré des centaines de millions de dollars investis, ainsi jetés par la fenêtre. La boutade avec laquelle les professeurs introduisent le cours de Planification se trouve ici confirmée : « L’erreur dans la planification est la planification de l’erreur ». Voici l’un des crimes économiques au Congo qui ne devrait rester impunie dans un Etat de droit.
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On peut dire que généralement les résultats sont médiocres. Le revenu moyen du paysan en RDC reste très faible. Il vit souvent en dessous du seuil de pauvreté, c’est-à-dire avec moins de 2$/jour. Le pays n’est pas capable de satisfaire le marché intérieur des vivres, la sécurité alimentaire est dépendante des importations alimentaires.
Pourtant, la RDC présente un gros potentiel agricole…
Selon le livre de l’ancien premier ministre Matata Ponyo, « Pour un Congo émergent », la RDC dépense au moins un milliard de dollars par an pour s’approvisionner en vivres sur le marché extérieur. C’est une perte énorme. Cette grosse somme, investie dans l’aménagement du territoire, pourrait financer l’asphaltage de 1000 km de routes qui traversent les milieux ruraux et faciliter l’évacuation de la production agricole.
Elle peut être investie aussi dans l’agro-industrie pour augmenter la valeur à la production locale. C’est quand même ridicule que les villes de Goma et de Bukavu, entourées des sols riches les plus riches d’Afrique, soient dépendantes des vivres venant du petit Rwanda dont les sols sont, en moitié, arides. Cette fuite de devises pour l’importation des vivres étale l’incapacité du gouvernement à mettre au point une politique économique cohérente.
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« Nous avons la possibilité de devenir une puissance économique »
C’est tout simplement inacceptable pour un pays qui a un si grand potentiel agricole. Tenez : La RDC possède au moins 80 millions d’hectares de terres arables. Avec un minimum d’organisation, elle est capable de nourrir toute l’Afrique. Forte du bassin du fleuve Congo, elle a aussi la plus grande réserve en eau douce en Afrique, et la deuxième au monde. Nous avons aussi 70 % d’une population rurale ou paysanne qui a juste besoin de conditions favorables pour produire : l’accès à des marchés équitables des produits et des intrants agricoles.
Et la demande alimentaire mondiale est en progression. Par exemple les chinois sont en train de devenir des consommateurs de café. Ce qui fait que le prix du café est en hausse car la demande mondiale augmente. Nous avons la possibilité de devenir une puissance économique à partir du moment où notre politique agricole est pertinente, à la hauteur de nos potentialités et des opportunités.
Qu’est-ce qui empêche, à votre avis, les décideurs politiques, à mettre au point cette politique?
Il y a plusieurs raisons. J’avance juste une hypothèse que je tire de mon temps passé au ministère de l’agriculture. En fait, la RDC est tombée dans la malédiction des ressources minières, faciles à ramasser.
Nous sommes presque dans une économie de prédation. Les dirigeants qui perçoivent les grosses sommes de redevances et impôts versés par sur les entreprises minières trouvent un peu fastidieux de s’occuper du secteur agricole. La conception de la politique agricole, sa mise en œuvre et son suivi sont des activités très techniques, qui exigent de l’expertise mais aussi de la volonté, de la détermination.
Or, au niveau des ministères, les politiciens recrutent des conseillers qui ne sont pas souvent à la hauteur de la tâche, c’est juste des membres de familles, des copains et des copines. En principe l’Etat a déjà une réglementation agricole qui a tout juste besoin d’être mise en jour pour répondre aux exigences de l’économie mondialisée. Il dispose d’un personnel qualifié au secrétariat général et dans les inspections provinciales. Mais le gouvernement ne lui laisse pas les mains libres pour agir. C’est ce qui explique l’incohérence dans la planification agricole.
Qu’est-ce à dire ?
Les objectifs agricoles de sécurité alimentaire ou d’augmentation de la part de l’agriculture dans le revenu national, sont devenus tout juste des slogans avant que les stratégies ne soient mises au point et exécutées. Les dotations au secteur agricole n’atteignent même pas 4 %, soit en dessous des 10 % convenus par les Etats africains dans les accords de Maputo dans le cadre du Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD).
Pour se justifier, le gouvernement se plaint toujours du déficit budgétaire à la fin de chaque exercice. Qu’est ce qu’on peut faire avec un budget annuel de quatre milliards de dollars pour un pays qui compte 80 millions d’habitants et qu’on ne sait même pas réaliser à 70% ? C’est un mélange d’incapacité et de mauvaise foi qui caractérisent notre gouvernement.
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Mais vous êtes expert auprès du gouvernement à travers vos consultances…
Je suis tout juste attaché à un projet du gouvernement en préparation dans une Province. Comme je l’ai dit tantôt, l’administration publique ne manque pas d’experts, c’est l’impulsion du gouvernement qui fait défaut. Bien souvent, les membres du gouvernement violent expressément les textes et démotivent ainsi le personnel technique.
Je voulais illustrer comment ce manque d’expertise se manifeste au gouvernement. Il arrive qu’on mette en place des stratégies incohérentes. Voyez-vous, les paysans représentent environ 60 % de la population congolaise. Avec cette proportion, la politique économique devrait être centrée sur l’agriculture et la politique agricole sur la petite exploitation paysanne. Contre toute attente, le gouvernement a quand même conçu un projet monstrueux du Parc agro-industriel de Bukangalonzo… J’ai l’impression qu’il ne sait pas ce qu’il veut.
« Les provinces, de leurs côtés, ne prennent aucune initiative dans ce sens »
Ce projet, conçu comme une grande entreprise, va d’abord accaparer des terres des paysans. Cette question est très documentée et très discutée dans la science de l’économie rurale. Je ne veux pas aborder ici toutes les controverses théoriques qui lui sont liées.
Le minimum pour le gouvernement aurait été de se rassurer de l’intégration de cette agro-industrie dans le système agraire dominé par les petites exploitations paysannes. Par ailleurs, le gouvernement a de sérieux problèmes institutionnels. Par exemple, à l’article 204 de la constitution, il est noté que les programmes agricoles sont une compétence exclusive des provinces.
Pour dire qu’on niveau national, le gouvernement doit se contenter d’élaborer la politique agricole et de donner des orientations générales (la constitution parle de planning national) pour laisser aux provinces le montage et la conduite des programmes et des projets agricoles. Mais, jusqu’à aujourd’hui, et en violation de cette disposition constitutionnelle, on continue à élaborer des programmes au niveau du gouvernement central pour les imposer par la suite aux provinces. Le comble est que les provinces, de leurs côtés, ne prennent aucune initiative dans ce sens.
Pourraient-elles le faire ?
Les provinces jouissent d’une certaine autonomie de gestion et encaissent des impôts et taxes propres à partir desquelles elles peuvent financer des programmes de développement local. Par ailleurs, dans le cadre de l’assistance humanitaire liée à la stabilisation de la RDC, pas mal de partenaires techniques et financiers dont les organismes internationaux, les agences des Nations-Unies ou de coopération bilatérale exécutent des projets agricoles dans les provinces.
Cette multiplicité d’intervenants implique une multiplicité d’approches. N’empêche, les ministères provinciaux du plan et d’agriculture ont le droit et l’obligation de se rassurer que ces projets contribuent au développement local et ne sont pas en déphasage avec son programme. Ainsi le gouvernement, central et provincial, pêche par inaction ou par omission, car il lui incombe de coordonner tous ces intervenants extérieurs.
Il ne le fait pas ?
Le gouvernement subit ce que les intervenants extérieurs ont conçu. Les uns prônent l’appui aux grands producteurs, d’autres s’intéressent aux petits producteurs, d’autres encore vont jusqu’à promouvoir l’approvisionnement à partir de l’extérieur…
Par exemple il y a une agence américaine qui prétend soutenir le développement de la filière caféière dans la région des grands lacs qui a pensé que toutes les usines de traitement du café seront installées au Rwanda, le Sud-Kivu devant se contenter de la production et du séchage des cerises. Et donc toute l’exportation du café de l’Est sera faite au nom du Rwanda. Vous imaginez les conséquences cette approche au niveau du marché mondial ?
Une telle approche n’est pas approuvée par le gouvernement mais ce dernier laisse faire. Le minimum pour le gouvernement serait de remercier une telle agence en résiliant l’accord de siège qu’il a signé avec une organisation qui travaille visiblement contre les intérêts du Congo. Ainsi, nous avons encore un long chemin à parcourir pour savoir ce que nous voulons pour le secteur agricole et comment le réaliser.
Propos recueillis par Emmanuel Kateri Mukosa
Journaliste à la Radio de la Voix de l’UCG