Au Nord-Kivu, difficile pour les femmes guéries d’Ebola de se marier


Des séquelles et stigmates de la dixième épidémie de la maladie d’Ebola pèsent sur les survivants et guéris de cette maladie. Déclarées immunisées à la sortie des CTE (Centre de traitement d’Ebola), mais pas dans la vie amoureuse. Le début d’un autre calvaire…  

Marie-Léa Nzyavake est une des surventes de la dixième épidémie d’Ebola qui a causé la mort à 2.287 personnes pour 3.470 cas enregistrés, au Nord-Kivu et en Ituri, à l’Est de la RDC, selon les autorités congolaises et l’OMS (Organisation mondiale de la santé), entre Août 2018 et juin 2020. Mais elle hésite encore pour raconter son histoire… Après plusieurs sollicitations, c’est ce mercredi 6 janvier 2021, aux environs de 9h30 qu’elle accepte de nous parler dans un restaurant de fortune, sur avenue Matekeo, au centre-ville de Butembo. A ces heures, les clients ne sont pas encore nombreux…

Quand Marie-Léa vous raconte son histoire sur son visage se lisent du désespoir, du regret, du chagrin… Elle ne reçoit même pas des simples sollicitations et dragues des jeunes hommes de son quartier… « Notre seul péché c’est d’être guérie d’Ebola », soupire-t-elle. Elle tire une chaise vers elle pour s’assoir, avant de procéder à la présentation.

Elle a eu la maladie d’Ebola à une semaine de réception de sa dote. Depuis, l’homme a disparu. Même après la guérison, Marie Léa n’a jamais vu celui qui comptait l’épouser. « Je n’ai aucune nouvelle de lui. Je ne sais même pas s’il a déjà épousé une autre femme. Même les membres de sa famille ne me disent absolument rien à son sujet », explique-t-elle, les yeux rivés sur la table. Marie-Léa Nzyavaque est tombée malade alors qu’elle gardait sa grande sœur à l’hôpital. « Après le dépistage, ma sœur, ces deux fils et moi, nous avons été testés positifs. Par la grâce, j’ai été la seule à survivre », nous raconte-t-elle en essuyant quelques larmes.

Quand la famille s’en mêle

Elles sont nombreuses ces femmes guéries d’Ebola qui se disent victimes de ces préjugées et de rupture unilatérale d’amitiés : copinages et fiançailles. Mêmes au foyer, certaines femmes guéries d’Ebola indiquent que leurs couples ne tiennent qu’au bout du fil. « De fois c’est la famille du mari qui s’oppose alors que l’homme et la femme s’aiment bien… J’ai vécu ces genres d’épreuves. Tout allait bien avec mon fiancé. Mais sa famille a dit pas question d’épouser cette dame. L’homme a rompu malgré lui », explique une dame au sortir de la messe à la paroisse Saint Cyrille d’Alexandrie.

Même son de cloche pour certaines femmes mariées, guéries d’Ebola. Pour ces femmes, leurs belles familles prennent leurs maladies pour des mascarades. « On n’a pas peur de nous puisqu’on peut être porteuse des virus d’Ebola. Le comble est qu’on va jusqu’à nous calomnier, à nous accuser faussement d’adultère, prostitution et d’autres maux… On nous humilie même devant nos enfants… Vous vous imaginez ! », embraye une autre dame, rencontrée au marché Kilokwa de Beni.

Pourtant la Constitution de la RDC du 18 février 2006, en son article 40, souligne que : « Tout individu a le droit de se marier avec la personne de son choix, de sexe opposé, et de fonder une famille ». Un droit reconnu aussi dans le Code de la famille (article 334). « C’est illégal le refus des parents qui brisent le rêve de mariage de certains ». Lorsque les parents refusent la dot, le mariage ne peut être célébré devant l’officier de l’état civil. Car, selon l’article 361 du Code de la famille, « le futur époux et sa famille doivent convenir avec les parents de la future épouse d’une remise de biens ou d’argent qui constituent la dot ». Et si la dot est refusée par ceux qui, selon la coutume, doivent la recevoir, les futurs époux (…) peuvent porter le litige devant le conseil de famille (article 367 du Code de la famille). Et, si le refus persiste, ils peuvent saisir le Tribunal de paix du lieu où le mariage doit être célébré.

Mais la situation n’est pas la même pour les hommes. Ceux-ci semblent être libres de choix. « Moi je viens de me marier et mon état de santé n’a jamais causé problème. J’avais tout raconté à ma femme. Elle a compris et on s’est mis d’accord. Je n’’ai jamais eu de problèmes avec elle pour cette histoire des maladies d’Ebola », témoigne le prénommé Moïse, guéri d’Ebola et aujourd’hui conducteur de mototaxi en ville de Butembo.

Guérir d’Ebola : quel péché ?

Face à tous ces traumatismes, Guilaine Mulindwa, aussi guérie d’Ebola, tente d’encadrer ces femmes en association pour qu’elles surmontent leurs difficultés. Aujourd’hui cette association compte plus  de 400 membres.  « On ne sait plus ce qu’on peut encore dire pour se faire comprendre. Nous sommes déjà guéries et nous sommes de femmes comme toutes les autres prêtes à tout même au mariage. Mais pourquoi nous considère comme malade ? Ce n’est pas juste », s’indigne-t-elle.

Des sources médicales renseignent que tous les guéris de la dixième épidémie d’Ebola ne présentent plus de danger. « C’est pourquoi ils sont dans la communauté. Les vainqueurs sont déjà déchargés ils sont immunisés et ils ne présentent de risque de contamination. Ils peuvent se marier sans problèmes », rassure Jules Kasereka Vahikeya, épidémiologiste et expert en santé publique.

Dans une telle situation, ces femmes se trouvent dans une sorte de rejet. Ce qui peut les amener dans un débordement de mémoire et même au trouble mental. C’est pourquoi le psychoclinicien Erasme du centre neuropsychiatrique CEPIMA croit qu’il faut recourir la psychoéducation qui peut aider la victime de ne pas tomber dans la fausse culpabilité.

Alpha Vwamara


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